Editorial de Haaretz
La remarque faite dimanche 5 novembre par le ministre du Patrimoine Amichai Eliyahu (Otzma Yehudit – Force juive), qui a déclaré que le largage d’une bombe nucléaire sur la bande de Gaza était une option, est un problème non pas pour la diplomatie officielle israélienne, mais plutôt pour ce qui a trait à la société israélienne.
Le problème n’est pas cette déclaration particulière, mais plutôt le pouvoir et la légitimité dont jouit aujourd’hui, dans l’ensemble d’Israël et au sein du gouvernement, l’extrême droite juive kahaniste [1] et messianique, qui soutient l’annexion et l’occupation et la prière juive sur le mont du Temple [où se situent la mosquée Al-Aqsa et le dôme du Rocher], qui considère la guerre actuelle comme une bonne occasion et qui méprise la communauté internationale, les institutions internationales et les lois qui constituent le «droit de la guerre».
Il ne s’agit pas d’un écart de langage. Dans un entretien accordé à Radio Kol Barama [radio ultra-orthodoxe établie en 2009], Amichai Eliyahu a déclaré qu’«il n’y a pas de [civils] non engagés» dans la bande de Gaza. Interrogé par son interlocuteur pour savoir si cela signifiait qu’Israël devait larguer une bombe nucléaire sur la bande de Gaza, il a répondu: «C’est une solution.» La «clarification» qu’il a apportée par la suite – «Il est clair pour toute personne sensée que la remarque sur le nucléaire était métaphorique» – est ridicule. Une métaphore de quoi?
Il n’est pas non plus une exception. Le membre du même parti qu’Amichai Eliyahu, le député Yitzhak Kroizer [qui a remplacé Eliyahu, devenu ministre, à la Knesset le 1er janvier 2023], a déclaré dimanche [5 novembre] à la radio de l’armée que «la bande de Gaza devrait être rasée et qu’il ne devrait y avoir qu’une seule sentence pour tous ceux qui s’y trouvent: la mort. Nous devons rayer la bande de Gaza de la carte. Il n’y a pas d’innocents dans cette bande.» Des pans entiers [dont le profil individuel mérite l’attention] du gouvernement appartiennent à la dangereuse extrême droite: Bezalel Smotrich, Itamar Ben-Gvir, Simcha Rothman [2], Orit Strock [3], Avi Maoz [4], Zvi Sukkot [5], Limor Son Har-Melech [6] et leurs partenaires.
La réponse du Premier ministre Benyamin Netanyahou a été lamentable. Il a déclaré que la déclaration d’Amichai Eliyahu était «détachée de la réalité» et que le ministre serait exclu des réunions du cabinet jusqu’à nouvel ordre. Il aurait dû révoquer Amichai Eliyahu, mais il a choisi de ne pas le faire. Il a donné la priorité à la préservation de son gouvernement plutôt qu’à celle d’Israël.
Netanyahou n’est pas la solution, mais le problème. Il a légitimé le kahanisme et l’extrême droite. Au cours de ses années au pouvoir, Israël est devenu plus extrêmiste, et des personnes qui étaient auparavant des parias détestables sont aujourd’hui des ministres de premier plan. Des idées et des valeurs qui n’étaient pas consensuelles, comme le «transfert» des Arabes d’Israël, une deuxième Nakba et la prière juive sur le mont du Temple, ont été normalisées sous la direction irresponsable de Benyamin Netanyahou.
C’est lui qui a légitimé les alliances politiques avec les admirateurs du rabbin Meir Kahane, le meurtrier de masse Baruch Goldstein [auteur de la tuerie de 29 Palestiniens, en en blessant 125, à l’arme automatique au Caveau des Patriarches à Hébron le 25 février 1994] et l’assassin [le colon Amiram Ben-Uliel] de la famille Dawabsha [en juillet 2015, dans le village de Douma au nord-est de Ramallah]. Sous sa direction, les colons ont commencé à s’intéresser à la zone B de la Cisjordanie, qui, en vertu des accords d’Oslo, est placée sous le contrôle des forces de sécurité israéliennes et des autorités civiles palestiniennes. Des colons radicaux nommés «jeunes des collines» sont passés du statut de groupes surveillés par les services de sécurité du Shin Bet à celui de ministres, de membres de la Knesset, d’assistants et de conseillers.
L’appartenance de l’extrême droite au gouvernement a conféré à l’ensemble du gouvernement, et à tout Israël, les couleurs de l’extrême droite. La seule façon de régler le problème est d’exclure l’extrême droite du gouvernement et de la définition de la licéité israélienne. La seule façon de rejeter la déclaration d’Amichai Eliyahu est de le révoquer, lui et ceux qui lui ressemblent. Les partis Otzma Yehudit et Religious Zionism doivent être immédiatement exclus du gouvernement. – «Editorial principal de Haaretz, tel qu’il a été publié dans les journaux hébreux et anglais en Israël» – comme précisé par la rédaction du quotidien. (Publié dans Haaretz le 6 novembre 2023; traduction et titre de la rédaction A l’Encontre; titre original: «Fire Israel’s Far Right»)
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[1] Meir David HaKohen Kahane, originaire de Brooklyn (New York), a fondé en 1968 la Jewish Defense League. Cette organisation était caractérisée par le FBI comme «une organisation juive violente et extrémiste». Par la suite, ce rabbin américain fondera le parti Kach se réclamant du sionisme religieux et se positionnant à l’extrême droite. La revendication du Eretz Israël renvoie, d’une part, à «un commandement divin» et, d’autre part, à un projet d’implantation juive massive en Judée et Samarie (Cisjordanie). Il en découle l’objectif d’expulsion («transfert») de «tous les Arabes», y compris les Arabes israéliens. Le fondement de l’Etat fait référence à la loi religieuse. La violence mise en pratique est légitimée sur cette base.
Meir Kahane sera élu à la Knesset en 1984. Il développe une certaine influence dans des secteurs dits périphériques (déclassés) de la société. Le Monde du 7 novembre 1990, suite à son assassinat en novembre à New York, écrit: «A la veille des élections de novembre 1988, alors que l’“Intifada” [décembre 1987-1993] bat son plein, les sondages créditent le Kach de suffisamment de suffrages pour obtenir quatre députés. Mais le “mouton noir” de la classe politique commence à faire peur à ses collègues. A l’initiative des grands partis, la Cour suprême, à la mi-octobre 1988, va “disqualifier” le Kach, interdisant à la formation de Kahane de se présenter aux élections. Le Kach est banni de scrutin pour “racisme et incitation au racisme” (…) parce qu’il défend “un programme encourageant à la haine contre les Arabes» et qui, dit encore la Cour, «rappelle les heures les plus sombres vécues par le peuple juif”.» De 1988 à 2023, un courant que l’on peut qualifier de kahaniste a obtenu une place bien plus ample que celle redoutée par certains en 1988. (Réd.)
[2] Simcha Rothman est président de la commission de la Knesset «Constitution, Loi et Justice». (Réd.)
[3] Orit Strock était membre de la direction de la colonie installée à Hébron, elle est ministre des Colonies et Missions nationales – dont les nouvelles fonctions comportent: colonies, identité et sociétés juives et préparation scolaire prémilitaire (Jerusalem Post). (Réd.)
[4] Avi Maoz est ministre délégué au cabinet du Premier ministre, chargé de l’Identité nationale juive, antérieurement directeur du ministère de l’Intérieur, puis de la Construction et du logement. Il figure parmi les créateurs, en 2019, du parti d’extrême droite sioniste religieux Noam. (Réd.)
[5] Zvi Sukkot a été élu à la Knesset sur la liste commune entre Force juive, Noam et le Parti sioniste religieux. Il a soutenu le «pogrom» contre les Palestiniens du village de Huwara. Il a été nommé le 1er novembre président du sous-comité de la Knesset pour la Judée et la Samarie. (Réd.)
[6] Limor Son Har-Melech, élue en 2022 sur la liste du parti Otzma Yehudit. Elle réside dans la colonie Shavei Shomron. (Réd.)
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