Palestine. La topographie d’une ségrégation raciste

Des jeunes Palestiniens regardent le mur depuis le camp de réfugiés de Aida
Des jeunes Palestiniens regardent le mur depuis le camp de réfugiés d’Aida, 14 décembre 2013

Par Haggai Matar

Le 16 décembre 2013, le quotidien israélien Haaretz a publié un bref reportage (qui n’est pour le moment accessible qu’en hébreu) sur les dommages entraînés par le récent orage concernant aussi bien les colons israéliens dans les territoires occupés que les Palestiniens de Cisjordanie. Les formules utilisées dans cet article nous donnent l’occasion de constater à quel point la couverture médiatique est différente lorsqu’il s’agit des Juifs (les colons) ou des Palestiniens, alors même qu’ils vivent sur le même bout de territoire. Les reportages sur la souffrance des colons occupent cinq paragraphes, alors que les Palestiniens n’ont droit qu’à un seul. Mais ce qui frappe surtout c’est la différence entre la manière dont sont décrits les espaces habités par les deux populations. Le texte (tout comme le gros titre, du moins dans la version imprimée) sépare totalement l’espace géographique et humain en deux: la première partie du reportage traite des «colonies en Judée et en Samarie», alors que la deuxième commence avec ces mots: «L’orage a également entraîné d’importants dommages en Cisjordanie».

Je trouve qu’il s’agit là d’un exemple remarquable de la topographie mentale qu’imaginent beaucoup d’Israéliens lorsqu’ils pensent à l’occupation. Même s’ils sont nombreux à savoir que les colonies sont en réalité situées en Cisjordanie, ils imaginent également une profonde séparation, comme s’il s’agissait de deux espaces existant dans un même emplacement physique. Le premier est «Israël», habité par «les nôtres» et dirigé par le gouvernement israélien. L’autre se trouve «quelque part derrière le Mur» (dont ils sont très peu nombreux à pouvoir indiquer le trajet sur une carte), habité par des Palestiniens et dirigé par l’Autorité palestinienne, avec des postes de contrôle israéliens entre les deux.

Une telle séparation spatiale imaginaire n’est évidemment pas dépourvue de fondement. Tout d’abord il y a la Zone A, contrôlée par l’Autorité palestinienne, qui est séparée des zones B et C contrôlées par l’armée israélienne. Il existe également une ségrégation légale profondément gravée qui permet aux Juifs de vivre sous la loi civile israélienne et condamne les Palestiniens à vivre sous le régime militaire.

Pourtant la séparation est beaucoup moins marquée entre, d’une part, les colonies et, d’autre part, les hameaux, villages et villes palestiniens. Ces espaces sont interconnectés et cela va de l’exemple le plus extrême de «partage» de la ville d’Hébron à l’expansion routinière des colonies sur des terres appartenant à des villages palestiniens.

Comme l’a souligné l’article de Mairav Zonszein du 15 décembre 2013 dans +972mag, les tempêtes de neige affectent évidemment les deux populations. Mais l’éditeur de Haaretz qui a travaillé sur ce reportage doit imaginer la zone couverte de neige comme s’il s’agissait de deux emplacements séparés, habités par des populations distinctes et qui méritent une couverture et des droits différents. Le reportage ne nous dit par exemple pas si les forces de l’armée israélienne ont aidé des Palestiniens des collines du sud d’Hébron à être en sécurité ou à atteindre un hôpital comme ils l’ont fait pour les colons dans cette même région.

Il s’agit d’une autre manière de contribuer à enraciner encore plus la ségrégation raciale dans la tête des Israéliens: de la carte mentale de l’éditeur à celle du lecteur, avec son effet en retour. (Article publié sur le site +972, le 16 décembre 2013, traduction A l’Encontre)

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