Par Ruwaida Kamal Amer
Le 30 mai, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé que le dernier hôpital de Rafah, l’hôpital Al-Helal al-Emirati, était hors service. La destruction du système de santé de la ville du sud de Gaza, qui intervient après que plus de deux douzaines d’hôpitaux ont été complètement fermés dans toute la bande de Gaza à la suite de l’assaut israélien, résume le bilan humain de l’intensification de l’opération militaire israélienne à Rafah.
Loin de l’invasion «limitée» proclamée par les dirigeants israéliens, les forces israéliennes occupent actuellement le cœur de la ville (Rafah) et contrôlent le poste frontière de Rafah et le corridor Philadelphie [bande de terre de 14 km située le long de la frontière entre l’Egypte et la bande de Gaza; selon les accords de Camp David de 1978, le contrôle de ce corridor était censé appartenir à l’Egypte], tandis que les frappes aériennes continuent de pilonner les camps de familles déplacées. Depuis le début de l’incursion israélienne, le 6 mai, plus d’un million de Palestiniens ont fui le dernier refuge de Gaza.
Outre l’hôpital émirati, l’hôpital Abu Yousef al-Najjar et l’hôpital koweïtien ont été contraints de cesser toute activité au cours des dernières semaines. Avec la fermeture de plusieurs petites cliniques, il ne reste plus que deux petits hôpitaux de campagne dans la zone côtière d’Al-Mawasi – l’un géré par les Emirats arabes unis et l’autre par l’International Medical Corps – qui sont mal équipés pour faire face à l’ampleur des souffrances de ceux et celles qui ne peuvent ou ne veulent pas fuir la ville.
L’invasion terrestre d’Israël continuant à progresser vers l’ouest de Rafah, ces cliniques restantes pourraient également être bientôt forcées d’évacuer. Alors qu’un petit nombre de patients gravement blessés quittaient Gaza par le poste frontière de Rafah pour être soignés à l’étranger, personne n’a pu quitter la bande de Gaza depuis l’occupation par Israël de ce point de passage.
Muhammad Zaqout, directeur général des hôpitaux du ministère de la Santé de Gaza, a déclaré à +972 que le personnel des hôpitaux de Rafah a dû partir «parce qu’il craignait une répétition de ce qui s’est passé au complexe médical Nasser et à l’hôpital Al-Shifa». Les forces israéliennes ont assiégé et attaqué les deux hôpitaux au cours des derniers mois, respectivement à Khan Younès et dans la ville de Gaza. Après leur retrait, des charniers contenant des centaines de corps ont été découverts sur les deux sites.
«Les hôpitaux de Tel al-Sultan [à l’ouest de Rafah] sont bombardés par des missiles et des drones quadricoptères», a expliqué Muhammad Zaqout. «L’hôpital de campagne indonésien a été endommagé et les médecins sont terrifiés. Selon le ministère de la Santé de Gaza, près de 500 professionnels de la santé ont été tués à la suite des attaques israéliennes dans la bande de Gaza depuis octobre.
Les cliniques de campagne qui restent ouvertes, a ajouté Muhammad Zaqout, «ne disposent pas d’équipements de pointe pour accueillir les patients souffrant de blessures graves», qui doivent être transférés à l’hôpital européen près de Khan Younès. Ce trajet, a-t-il précisé, «nécessite une ambulance pendant une heure ou plus en raison de la longue distance, de la présence de chars [israéliens] et des bombardements continus sur la ville».
L’hôpital Nasser de Khan Younès, note Muhammad Zaqout, recommence lentement à recevoir de nouveaux patients après avoir été contraint de fermer pendant les raids israéliens sur le complexe. Mais lui aussi ne peut accueillir qu’un petit nombre de blessés transportés depuis Rafah.
Selon Muhammad Zaqout, la situation est tout aussi désespérée dans le nord de la bande de Gaza, où les opérations militaires israéliennes se poursuivent: Al-Shifa et l’hôpital Kamal Adwan étant tous deux hors service, l’hôpital Al-Ahli est le seul grand établissement médical à offrir quelques services.
«L’armée israélienne n’exclut pas le personnel médical de ses attaques»
La docteure Rima Sadiq, 29 ans, travaillait à l’hôpital koweïtien jusqu’à ce qu’il soit contraint de fermer ses portes le 28 mai. «Nous avons reçu un grand nombre de blessés au cours des premiers jours de l’opération militaire», a-t-elle déclaré. «Les bombardements ne s’arrêtent jamais. A chaque [attaque], nous avons reçu au moins 10 [patients avec] des blessures de gravité variable. Toutes les blessures nécessitent un traitement et un suivi, et la proximité d’un hôpital permet de sauver des vies.»
Rima Sadiq a expliqué que le personnel était désireux de continuer à travailler pour aider les habitants de la ville, mais qu’il n’avait finalement pas d’autre choix que d’abandonner l’hôpital. Alors que les bombardements israéliens s’intensifiaient, le personnel craignait pour sa propre vie et celle de ses patients, ainsi que pour les dommages potentiels infligés aux appareils et équipements médicaux.
«La situation est devenue très dangereuse», a-t-elle déclaré. «Deux ambulanciers sont tombés en martyrs alors qu’ils transportaient les blessés. L’armée israélienne n’exclut pas le personnel médical de ses [attaques]. Nous risquons tous d’être pris pour cible ou arrêtés.»
«Il y a des patients qui ont été forcés de quitter l’hôpital en mauvais état et qui ont besoin d’un suivi», poursuit Rima Sadiq. «Les hôpitaux de campagne ne sont pas en mesure d’accueillir un grand nombre de patients en raison de leur capacité médicale et du manque de médicaments. Le manque de nourriture ne fait qu’aggraver leur état et les empêche de se rétablir complètement.»
Alors que la capacité des services de santé de Rafah à traiter les blessés diminue, les besoins sont de plus en plus importants. Au moment où l’assaut terrestre d’Israël s’intensifie, les attaques de l’armée contre les Palestiniens restés dans la ville redoublent également, y compris dans les secteurs qu’elle avait désignés comme «zones de sécurité», tels que Al-Mawasi et Tel al-Sultan.
Environ 45 Palestiniens ont été tués lors d’une seule attaque contre un camp de réfugiés dans la nuit du 26 mai, lorsqu’une grande partie du campement a été la proie des flammes et que de nombreuses personnes sont mortes brûlées à l’intérieur de leurs tentes. Deux jours plus tard, une autre attaque contre des tentes à Al-Mawasi a fait 21 morts.
«Nous avons vu des tentes prendre feu et des enfants brûler à l’intérieur»
Marwa Asraf, 38 ans, a assisté à l’attaque d’Al-Mawasi. Originaire de Beit Hanoun, dans le nord du pays, elle a été déplacée à Al-Mawasi avec six membres de sa famille. «Ce que nous vivons dans cette zone est terrifiant», a-t-elle déclaré à +972. «Nous ne nous sentons pas du tout en sécurité. Des obus et des missiles tombent en permanence.»
Au moment du bombardement d’Al-Mawasi, Marwa Asraf était partie chercher de l’eau pour sa famille. «J’ai laissé mes enfants avec leur père et leur grand-mère», raconte-t-elle. «Soudain, j’ai entendu le bruit d’une explosion, puis les cris des personnes déplacées. Je suis tombée par terre à cause de l’intensité du bruit. Je pleurais. Je pensais que mes enfants avaient été bombardés. J’ai commencé à courir sans réfléchir et j’ai laissé la cruche d’eau par terre. Je suis retournée à la tente et j’ai trouvé mes enfants en train de pleurer. Leur grand-mère pleurait également; elle m’a dit que mon mari Ahmed avait couru vers les tentes pour s’occuper des blessés et qu’elle était très inquiète pour lui. Je ne croyais pas que mes enfants allaient bien. Une personne déplacée qui vivait près de nous a été tuée par des éclats d’obus qui ont pénétré dans sa tente. Cette situation est très fatigante. Nous sommes fatigués d’être déplacés du nord de la bande de Gaza depuis huit mois et nous attendons de rentrer chez nous. Nous étions un peu rassurés parce que nous étions dans une “zone sûre”, mais celui qui dit cela est un menteur. Nous avons perdu plus de soixante-dix personnes, dont des femmes et des enfants, alors qu’elles se trouvaient dans leurs tentes.»
Au-delà du coût émotionnel, Marwa Asraf explique que les déplacements constants de sa famille ont eu un impact financier. «Nous devons louer un taxi pour nous emmener dans un nouvel endroit à chaque fois que nous devons déménager. Nous avons dépensé tout notre argent pendant cette guerre, juste pour acheter des produits de première nécessité. Aujourd’hui, je regrette beaucoup d’avoir quitté le nord. J’aurais préféré rester là-bas et mourir dans ma maison plutôt qu’ici, dans la zone qu’ils disaient sûre.»
Riyad Rawida, 43 ans, a également été déplacé à Al-Mawasi depuis sa maison du centre de Rafah. Il a fui avec 20 membres de sa famille après avoir repéré des chars israéliens pénétrant dans la zone du rond-point de Zoroub, à l’approche de Tel al-Sultan. «Nous avons commencé à entendre des tirs d’obus et des affrontements. Nous avons vu des gens quitter leurs maisons et fuir vers Al-Mawasi. Tel al-Sultan est devenu presque vide. Nous n’avions pas le choix.»
Contrairement à la grande majorité des habitants déplacés de Gaza, c’était la première fois que Riyad Rawida et sa famille étaient obligés de fuir leur maison. «C’était difficile pour nous, car nous sommes restés dans nos maisons depuis le début de la guerre, pendant plus de sept mois et demi. De nombreuses déclarations [israéliennes] nous ont rassurés en nous disant que la région était sûre et qu’internationalement existait le rejet de toute opération militaire israélienne à Rafah. Mais l’armée a brisé ces lignes et a attaqué la ville, avançant progressivement vers les zones occidentales. Nous sommes maintenant à Al-Mawasi et nous avons peur d’être pris pour cible à tout moment, comme cela s’est produit dans les tentes la semaine dernière. Il n’y a aucune sécurité. J’ai peur pour mes enfants. Les tentes ne protègent personne. A Tel al-Sultan, nous avons vu les tentes prendre feu et les enfants brûler à l’intérieur. La situation à Rafah est dangereuse, les rues sont vides, et malheureusement la vie s’est arrêtée ici.» (Article publié sur le site israélien-palestinien +972 le 5 juin 2024; traduction rédaction A l’Encontre)
Ruwaida Kamal Amer est une journaliste indépendante de Khan Younès.
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