Par Haggai Matar
Les traités commerciaux signés fin juillet 2012 entre Israël et l’Autorité palestinienne servent à rappeler combien le statu quo de l’occupation est opportun. Ils illustrent également à quel point l’Autorité palestinienne (AP) est sans relief dans la lutte contre le régime militaire étranger (israélien). Ils posent la question de savoir quand et comment l’AP en paiera le prix.
A première vue, on aurait pu s’attendre à ce qu’un nouveau traité signé après une série de rencontres secrètes entre le gouvernement d’ultra-droite à Jérusalem et celui, de moins en moins influent, à Ramallah, fasse partout les grands titres des journaux israéliens. Mais en lisant les détails ternes et ennuyeux de ces nouveaux accords tarifaires on comprend rapidement pourquoi cette histoire n’a été rapportée qu’en dernière page dans les journaux locaux et n’a soulevé aucun intérêt à l’étranger.
Il s’agit en fait d’une série de mises à jour du Protocole de Paris, cet arrangement sur les relations économiques qui a précédé de peu les Accords d’Oslo (1993), et qui assurait à Israël la domination durable sur l’économie palestinienne. Le protocole maintient le contrôle d’une zone tarifaire unique entre le Jourdain et la Méditerranée en mains israéliennes. Il édicte également qu’Israël percevra les taxes pour les Palestiniens avant de les leur transférer (ou, comme cela s’est passé au cours des années, de ne pas les leur transférer comme moyen discutable de punir l’AP). Enfin, le protocole oblige l’AP à maintenir les marchés palestiniens ouverts aux produits israéliens. Tous ces outils étaient évidemment déjà aux mains des Israéliens lorsque le protocole a été signé. Toutefois, le fait de les mettre par écrit a permis à Israël de s’assurer que ses intérêts économiques dans les territoires occupés ne seraient pas menacés par les premiers pas des Palestiniens vers l’indépendance. Comme l’a expliqué B’Tselem (Centre d’information israélien pour les droits humains dans les territoires occupés), l’AP n’avait en réalité d’autre choix à l’époque que d’accepter ces conditions.
En réalité, le Protocole de Paris promettait que les deux marchés – aussi bien le palestinien que l’israélien – resteraient ouverts l’un pour l’autre, permettant le libre passage de la main-d’œuvre et des marchandises. Mais comme Israël a le dessus sur le plan militaire et peut par conséquent définir les standards régionaux en matière de sécurité, les deux dernières décennies ont conduit à une restriction croissante du nombre de travailleurs palestiniens autorisés à entrer en Israël, à une limitation des biens palestiniens vendus sur les marchés israéliens et même à une limitation sévère du commerce intérieur palestinien. Donc à une dépendance croissante de l’économie palestinienne par rapport aux produits israéliens. Comme le montre la campagne Who profits dans un rapport sur l’«économie captive»: «…entre 2000 et 2008, la dépendance palestinienne par rapport à l’économie israélienne s’est accrue de 52% en passant de 29% du PIB en 2000 à 44% en 2008. En même temps, les importations de produits israéliens dans les Territoires occupés ont atteint approximativement 80% des importations annuelles totales.»
Un clou dans le cercueil
Alors à quoi servent donc ces nouveaux traités signés récemment s’ils ne font que confirmer le Protocole de Paris et créer davantage de moyens pour l’appliquer? Selon le ministre des Finances israélien, Yuval Steinitz, ils constituent un pas important dans la lutte contre les gains non déclarés dont il a été question récemment dans les journaux financiers israéliens. Le premier ministre palestinien Salam Fayyad a déclaré que ces traités renforçaient la base de l’économie palestinienne.
Mais pour comprendre ces traités il faut tenir compte du contexte politique général. Vingt ans après le début des négociations à Oslo et trois ans après le discours de Netanyahou à Bar Ilan, le contrôle israélien sur les Territoires occupés est aussi fort et inébranlable que jamais. Des colonies se développent et obtiennent des profits massifs; les constructions se poursuivent; une université est inaugurée à Ariel et un nouveau programme soutenu par le gouvernement fait la promotion de l’industrie touristique des colonies.
Et tout cela alors que l’armée continue à poursuivre les Palestiniens dans le désert pour démolir leurs logis et leurs puits, que le siège de Gaza n’a pas été levé, et qu’aucune force politique ou publique ne fait pression sur le gouvernement pour qu’il retourne aux négociations et favorise la fin de l’occupation par la paix, la justice, l’égalité et la démocratie pour tous.
C’est dans le cadre de cette réalité propre au statu quo dont bénéficie Israël qu’il faut comprendre les nouveaux traités que l’Autorité palestinienne a accepté de signer. Des traités qui, loin de promouvoir la fin de l’occupation, précisent les conditions pour sa poursuite plus efficace. Lorsque l’AP ignore cette réalité et évite de favoriser un réel soulèvement populaire, voire collabore parfois avec les tentatives d’Israël de mater de tels soulèvements, elle ne fait que renforcer dans le public palestinien son image d’une direction devenue pour le moins dénuée de sens par rapport à un objectif proclamé.
Si l’on tient compte du fait que Fayyad, l’ancien homme de la Banque mondiale, ainsi que l’AP dans son ensemble tentent de justifier leur existence en gagnant une certaine légitimité de la part des Etats-Unis, de l’Union européenne et de Bretton Woods, ces traités font sens. Mais dans une période de changement, de transformation et de révolutions constantes à travers le Moyen-Orient, ces traités font davantage penser à un clou de plus dans le cercueil de l’AP. Il est encore trop tôt pour savoir comment et quand celle-ci s’effondrera, et ce qui la remplacera, mais elle avance sur une voie sans issue. Et quand elle arrivera au bout nous en souffrirons probablement tous. (Traduction A l’Encontre)
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Haggai Matar a publié cet article sur le site +972 en date du 4 août 2012. On peut lire ses divers articles sur ce site ayant trait «aux dix ans» de la construction du mur.
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