Dossier-Presse-Gaza. «La visite d’un avocat dans un centre de détention israélien pour y rencontrer un journaliste» (I)

Muhammad Arab, un journaliste palestinien pour Al Araby TV. (Courtesy)

Par Baker Zoubi

«La situation là-bas est plus horrible que tout ce que nous avons entendu à propos d’Abou Ghraib [complexe pénitencier, en Irak – centre de torture sous Saddam Hussein –, géré par l’armée US et la CIA avec multiplication de tortures, d’abus physiques de toutes sortes, dénoncés par Amnesty durant l’été 2003] et de Guantanamo [centre de détention militaire sur la base de américaine dans le sud-est de Cuba, créé en 2001, afin de se soustraire au système judiciaire des Etats-Unis].

C’est ainsi que Khaled Mahajneh décrit le centre de détention de Sde Teiman, alors qu’il est le premier avocat à le visiter. Plus de 4000 Palestiniens arrêtés par Israël à Gaza sont détenus dans la base militaire du Naqab/Néguev depuis le 7 octobre. Certains d’entre eux ont été libérés par la suite, mais la plupart sont toujours détenus par Israël.

Khaled Mahajneh, citoyen palestinien d’Israël, a d’abord été contacté par Al Araby TV, qui cherchait des informations sur Muhammad Arab, un reporter de la chaîne arrêté en mars 2024 alors qu’il couvrait le siège israélien de l’hôpital Al-Shifa dans la ville de Gaza. «J’ai contacté le centre de contrôle de l’armée israélienne et, après leur avoir fourni une photo et une carte d’identité du détenu, ainsi que mon document officiel d’avocat, j’ai été informé que [Muhammad Arab] était détenu à Sde Teiman et que l’on pouvait lui rendre visite.»

Lorsque Khaled Mahajneh est arrivé à la base le 19 juin, on lui a demandé de laisser sa voiture loin du site, où une jeep de l’armée l’attendait pour le transporter à l’intérieur. C’est «quelque chose que je n’avais jamais rencontré lors d’une visite précédente dans une prison», a-t-il déclaré à +972. Ils ont roulé pendant environ 10 minutes à travers l’installation – un réseau tentaculaire de semi-remorques – avant d’arriver à un grand entrepôt, qui contenait une semi-remorque gardée par des soldats masqués.

«Ils ont répété que la visite serait limitée à 45 minutes et que toute action susceptible de porter atteinte à la sécurité de l’Etat, du camp ou des soldats entraînerait l’arrêt immédiat de la visite. Je n’ai toujours pas compris ce qu’ils voulaient dire», a déclaré Khaled Mahajneh.

Les soldats ont traîné le journaliste détenu, dont les bras et les jambes étaient entravés, tandis que Khaled Mahajneh est resté derrière une grille. Après que les soldats lui ont retiré son bandeau, Muhammad Arab s’est frotté les yeux pendant cinq minutes, peu habitué à la lumière vive. «La première question qu’il a posée à Khaled Mahajneh a été: “Où suis-je?” La plupart des Palestiniens de Sde Teiman ne savent même pas où ils sont détenus; comme au moins 35 détenus sont morts dans des circonstances inconnues depuis le début de la guerre, beaucoup l’appellent simplement «le camp de la mort.» [Voir à ce sujet l’article publié sur ce site le 11 mai 2024 de l’équipe d’enquête internationale de CNN – publié en dessous de l’article «Haaretz décrit le choix des FDI» ]

«Cela fait des années que je rends visite aux détenus et prisonniers politiques et de sécurité dans les prisons israéliennes, y compris depuis le 7 octobre», a fait remarquer Khaled Mahajneh. «Je sais que les conditions de détention sont devenues beaucoup plus dures et que les prisonniers sont maltraités quotidiennement. Mais Sde Teiman ne ressemble à rien de ce que j’ai vu ou entendu auparavant.»

Même les tribunaux sont remplis de haine

Khaled Mahajneh a déclaré à +972 que Muhammad Arab était presque méconnaissable après 100 jours dans le centre de détention; son visage, ses cheveux et la couleur de sa peau avaient changé. Il était couvert de saleté et de fientes de pigeons. Le journaliste n’avait pas reçu de nouveaux vêtements depuis près de deux mois et n’avait été autorisé à changer de pantalon pour la première fois ce jour-là qu’en raison de la visite de l’avocat.

Selon Muhammad Arab, les détenus ont continuellement les yeux bandés et sont attachés les mains dans le dos, contraints de dormir recroquevillés sur le sol sans aucun matelas. Leurs menottes en fer ne leur sont retirées que lors d’une douche hebdomadaire d’une minute. «Mais les prisonniers ont commencé à refuser de se doucher parce qu’ils n’ont pas de montre, et que dépasser la minute allouée expose les prisonniers à de sévères punitions, y compris des heures à l’extérieur dans la chaleur ou sous la pluie», a déclaré Khaled Mahajneh.

Tous les détenus, note Khaled Mahajneh, voient leur état de santé se détériorer en raison de la mauvaise qualité du régime alimentaire quotidien de la prison: une petite quantité de labaneh [sorte de fromage à tartiner] et un morceau de concombre ou de tomate. Ils souffrent également de constipation sévère et, pour 100 prisonniers, seul un rouleau de papier hygiénique est fourni par jour.

«Les prisonniers ne peuvent pas se parler, même si plus de 100 personnes sont gardées dans un entrepôt, dont certaines sont des personnes âgées et des mineurs», nous a déclaré Mahajneh. «Ils ne sont pas autorisés à prier ni même à lire le Coran.»

Muhammad Arab a également confié à son avocat que des gardes israéliens avaient agressé sexuellement six prisonniers à l’aide d’un bâton devant les autres détenus après qu’ils ont enfreint les ordres de la prison. «Lorsqu’il a parlé de viols, je lui ai demandé: “Muhammad, tu es journaliste, es-tu sûr de ce que tu dis?”. Il m’a répondu qu’il l’avait vu de ses propres yeux et que ce qu’il me disait n’était qu’une petite partie de ce qui se passait là-bas.»

De nombreux médias, dont CNN et le New York Times, ont fait état de cas de viols et d’agressions sexuelles à Sde Teiman. Dans une vidéo circulant sur les réseaux sociaux en début de semaine, un prisonnier palestinien récemment libéré du camp de détention a déclaré qu’il avait été personnellement témoin de multiples viols et de cas où des soldats israéliens avaient fait agresser sexuellement des prisonniers par des chiens.

Selon Muhammad Arab, au cours du mois dernier seulement, plusieurs prisonniers ont été tués lors d’interrogatoires violents. D’autres détenus blessés à Gaza ont été contraints de se faire amputer d’un membre ou retirer une balle sans anesthésie. Ils ont été soignés par des étudiants en soins infirmiers.

Les équipes de défense juridique et les organisations de défense des droits de l’homme ont été largement incapables de s’opposer à ces graves violations des droits des prisonniers à Sde Teiman. La plupart d’entre elles sont empêchées de visiter l’établissement afin d’éviter un examen plus approfondi. «Le bureau du procureur de l’Etat a déclaré que ce centre de détention allait être fermé à la suite de critiques sévères, mais rien ne s’est produit», a indiqué Khaled Mahajneh. «Même les tribunaux sont empreints de haine et de racisme à l’égard de la population de Gaza.»

La plupart des détenus, note Mahajneh, ne sont pas formellement accusés d’appartenir à une organisation ou de participer à une activité militaire. Muhammad Arab lui-même ne sait toujours pas pourquoi il a été détenu ni quand il pourra être libéré. Depuis son arrivée à Sde Teiman, des soldats des unités spéciales de l’armée israélienne l’ont interrogé à deux reprises. Après le premier interrogatoire, il a été informé que sa détention avait été prolongée pour une durée indéterminée, sur la base de «soupçons d’affiliation à une organisation dont l’identité ne lui a pas été révélée».

Pour se venger de qui?

Ces derniers mois, les médias internationaux ont publié plusieurs témoignages de prisonniers libérés et de médecins ayant travaillé à Sde Teiman. Pour le docteur Yoel Donchin, médecin israélien, qui s’est entretenu avec le New York Times, les raisons pour lesquelles les soldats israéliens avaient détenu un grand nombre des personnes qu’il soignait n’étaient pas claires, certaines d’entre elles étant «très peu susceptibles d’avoir été des combattants impliqués dans la guerre» en raison de leurs pathologies physiques ou de handicaps préexistants.

Le New York Times a également rapporté que les médecins de l’établissement avaient reçu pour instruction de ne pas écrire leur nom sur les documents officiels ou de ne pas s’adresser les uns aux autres par leur nom en présence des patients, de peur d’être ultérieurement identifiés et accusés de crimes de guerre devant la Cour pénale internationale (CPI).

«Ils les ont dépouillés de tout ce qui pouvait leur donner l’apparence d’êtres humains», a déclaré à CNN un témoin qui travaillait comme infirmier dans le dispensaire de fortune du centre. «Les coups n’ont pas été portés dans le but de recueillir des renseignements. Ils l’ont été par vengeance», a déclaré un autre témoin. «C’était une punition pour ce qu’ils [les Palestiniens] ont fait le 7 octobre et une punition pour leur comportement dans le camp.»

Depuis sa visite à Sde Teiman, Khaled Mahajneh a ressenti une profonde irritation et de la colère, mais surtout de l’horreur. «Je ne m’attendais pas à entendre parler de viols de prisonniers ou d’humiliations de ce genre. Et tout cela non pas dans le but d’interroger les prisonniers – puisque la plupart d’entre eux ne sont interrogés qu’après de nombreux jours de détention – mais dans un but de vengeance. Pour se venger de qui? Ce sont tous des citoyens, des jeunes, des adultes et des adolescents. Il n’y a pas de membres du Hamas à Sde Teiman parce qu’ils sont entre les mains des Shabas [services pénitentiaires israéliens].»

Dans sa réponse aux questions posées pour cet article, l’armée israélienne a déclaré: «Les FDI rejette les allégations de mauvais traitements systématiques des détenus, y compris par la violence ou la torture… Si nécessaire, des enquêtes de la police militaire sont ouvertes lorsqu’il y a des soupçons de comportement inhabituel qui le justifient.» L’armée a nié les récits de privations de Muhammad Arab et de Khaled Mahajneh, et a insisté sur le fait que les détenus reçoivent suffisamment de vêtements et de couvertures, de la nourriture et de l’eau («trois repas par jour»), l’accès aux toilettes et aux douches («entre 7 et 10 minutes»), et d’autres commodités.

L’armée a également ajouté: «Depuis le début de la guerre, il y a eu des décès de détenus, y compris des détenus qui sont arrivés blessés du champ de bataille ou dans des conditions médicales problématiques. Chaque décès fait l’objet d’une enquête de la police militaire. A la fin des enquêtes, leurs conclusions seront transmises au bureau de l’avocat général des armées.»

Khaled Mahajneh a relayé un message clair du Sde Teiman: «Muhammad Arab et les autres prisonniers du centre de détention appellent la communauté internationale et les tribunaux internationaux à agir pour les sauver. Il est inconcevable que le monde entier parle des personnes enlevées par Israël et que personne ne parle des prisonniers palestiniens.»

Khaled Mahajneh ne sait pas ce qu’il est advenu du journaliste détenu après sa brève interview de 45 minutes. «L’ont-ils frappé? L’ont-ils tué? J’y pense tout le temps.» (Article publié sur le site israélien +972, et en hébreu sur le site Local Call, le 27 juin 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

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«Gaza: quand la guerre des drones vire à l’hécatombe pour les journalistes palestiniens» (II)

Mohammad Al-Aloul, photojournaliste pour l’agence de presse turque Anadolu, pleure avec ses proches après qu’une frappe aérienne israélienne a tué quatre de ses enfants et trois de ses frères dans le camp de réfugiés d’Al-Maghazi, à l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa à Deir al-Balah, dans la bande de Gaza, le 5 novembre 2023. (Mohammed Zaanoun/Activestills)

Par Mariana Abreu, avec Aïda Delpuech et Eloïse Layan (voir la liste des journalistes de Forbidden Stories en cliquant sur ce lien https://forbiddenstories.org/fr/equipe/ )

Mohammad Al-Aloul, photojournaliste pour l’agence de presse turque Anadolu, pleure avec ses proches après qu’une frappe aérienne israélienne a tué quatre de ses enfants et trois de ses frères dans le camp de réfugiés d’Al-Maghazi, à l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa à Deir al-Balah, dans la bande de Gaza, le 5 novembre 2023. (Mohammed Zaanoun/Activestills)

Un soldat israélien tient un drone près de la barrière de Gaza le 6 janvier 2024. (Flash90)

Dans sa guerre contre Gaza, Israël affirme prendre les plus strictes précautions afin d’éviter les victimes civiles dans son usage des drones de combat. Mais depuis le 7 octobre, au moins 18 professionnels des médias ont été touchés. Un ensemble d’indices qui accréditent l’hypothèse d’un ciblage des journalistes par l’armée israélienne à Gaza.

  • Plus de 18 journalistes auraient été tués ou blessés par des drones à Gaza depuis le 7 octobre. Au moins quatre d’entre eux étaient clairement identifiables comme journalistes et portaient des gilets siglés «Press».
  • Depuis le 7 octobre, des frappes de drones ont été pilotées par le programme «Lavender» [voir sur le site alencontre en date du 8 avril 2024 la traduction de l’article de Yuval Abraham «Lavander: l’intelligence artificielle qui commande les bombardements israéliens à Gaza»], qui recourt à l’intelligence artificielle pour dresser une liste de cibles à abattre.
  • Les drones sont équipés de technologies permettant d’éviter les victimes civiles, mais sont utilisés dans le cadre d’une stratégie plus large de riposte disproportionnée contre les civils, y compris les journalistes.

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Ils sont quatre journalistes à se hisser au sommet de la colline de Tal Al-Zaatar, dans le nord de la bande de Gaza, dans l’après-midi du 22 janvier 2024. Anas Al-Sharif, Mahmoud Shalha, Emad Ghaboun et Mahmoud Sabbah font partie des rares reporters encore présents dans la zone. Depuis l’offensive israélienne lancée à l’automne, après l’attaque terroriste du 7 octobre menée par le Hamas sur le sol israélien, ils couvrent la famine qui s’est emparée du nord de Gaza. Alors qu’ils cherchent à se connecter à internet pour transmettre leurs derniers reportages à leurs rédactions, une explosion les propulse à terre.

Anas Al-Sharif n’est que légèrement blessé au niveau du dos. Vêtu de son gilet «Press», il se fraie un chemin à travers l’épais nuage de fumée en direction de ses collègues, qui gisent dans les décombres maculés de sang. Emad Ghaboun est transporté en urgence vers un hôpital à proximité à l’avant d’un bulldozer. Un civil perd aussi la vie dans cette attaque. Plus tard, les journalistes se rappelleront avoir repéré un «drone de surveillance» les prenant en joue. Bien que nous n’ayons pas pu obtenir d’images en temps réel de la frappe, une vidéo prise par Anas Al-Sharif et analysée par des experts consultés par le consortium renforce cette hypothèse.

Pendant quatre mois, une équipe de 50 journalistes, coordonnée par Forbidden Stories, a enquêté sur plus de cent professionnels des médias blessés ou tués par l’armée israélienne à Gaza. Nos résultats suggèrent qu’au moins 18 d’entre eux auraient été touchés par des tirs de précision émanant de drones de combat. Quatre de ces victimes portaient des gilets «Press» et étaient clairement identifiables comme journalistes au moment de l’attaque. Une violation du droit international démentie par Israël, qui certifie «ne pas avoir délibérément visé de journalistes» depuis le 7 octobre. Ce qui est arrivé à Tal Al-Zaatar n’est pourtant pas un cas unique.

Un soldat israélien tient un drone près de la barrière de Gaza le 6 janvier 2024. (Flash90)
Le drone, une arme à la précision chirurgicale

Le droit international humanitaire impose aux armées de distinguer les combattants des non-combattants et de réserver les attaques directes aux cibles militaires, en évitant les pertes civiles excessives ou dommages disproportionnés par rapport à l’objectif visé. Le ciblage intentionnel de civils – y compris de journalistes – constitue un crime de guerre.

De l’avis général des experts, les drones sont capables de réduire au minimum le nombre de victimes civiles. Au cours d’une campagne militaire israélienne menée contre le Hamas en 2021, ils permettaient par exemple une «annulation en temps réel» des tirs qui menaçaient d’engendrer des victimes collatérales, d’après une analyse publiée en 2022 par la chercheuse israélienne Lirian Antebi, spécialiste des technologies militaires. La récurrence des faits observés soulève donc une question centrale: comment autant de journalistes ont-ils pu être abattus par des drones?

Moins volumineux que ceux embarqués à bord des avions de chasse, les explosifs des drones de combat sont capables d’atteindre leur cible avec une précision chirurgicale, «à moins de trente centimètres de l’endroit où on pointe notre laser», précise Brandon Bryant, un ancien sergent-chef de l’armée de l’air américaine. «Avec le drone, le rayon de létalité est de quelques mètres seulement. Vous allez pouvoir faire un petit tour du bâtiment avant, vérifier qu’il n’y a pas des civils à côté (…) et éviter, pour des questions d’image, d’exploser trop de monde autour», confirme auprès de Forbidden Stories un spécialiste français des drones de combat qui souhaite rester anonyme.

Pourtant, le 22 janvier 2024, au sommet de cette colline de Tal Al-Zaatar, une explosion a eu lieu «au beau milieu du groupe», témoigne Anas Al-Sharif. Le bourdonnement caractéristique que l’on entend dans la vidéo qu’il a enregistrée quelques instants après l’explosion est «sans aucun doute celui d’un drone», atteste l’ancien sergent-chef Brandon Bryant, qui a plus de 6000 heures de vol à son actif. «Je n’oublierai jamais ce bruit», ajoute-t-il, avant de préciser qu’il s’agit d’un engin «équipé d’un moteur à hélice, volant à basse altitude et se déplaçant lentement».

Une évaluation confirmée par un chercheur allemand, spécialiste des drones et des systèmes de défense, qui a répondu aux questions du consortium sous couvert d’anonymat. «Le son en arrière-plan ressemble en effet à celui produit par les drones utilisant des moteurs à pistons ou des turbopropulseurs», décrypte-t-il.

Pour analyser les bandes audios des vidéos collectées par le consortium, Forbidden Stories a fait appel à Earshot, une organisation à but non lucratif spécialisée dans l’analyse d’enregistrements audios. Leurs résultats, couplés aux éléments récoltés par le consortium, indiquent qu’Israël utilise actuellement des drones turbopropulsés et des drones munis de moteurs à piston, dans le cadre de missions de reconnaissance et de frappes aériennes à Gaza.

À Tal Al-Zaatar, les traces laissées par l’explosion suggèrent l’utilisation d’un missile doté d’une faible charge explosive, poursuit Brandon Bryant, un type de missile habituellement embarqué à bord des drones. «S’ils larguaient des bombes depuis des avions de chasse ou des F-16, les personnes en dessous seraient désintégrées, il n’y aurait aucun survivant, déclare-t-il. Je suis convaincu qu’il s’agit d’une attaque de drone.» Selon les renseignements recueillis par Forbidden Stories en source ouverte, toutes les infrastructures environnantes avaient déjà été détruites avant la frappe, ce qui exclut la possibilité que le missile ait visé des bâtiments environnants.

Sollicitée par le consortium, l’armée israélienne a déclaré ne pas avoir connaissance de frappes à cet endroit en janvier dernier.

«L’armée israélienne est extrêmement bien renseignée sur les personnes qu’elle cible»

Si certains experts louent la précision des drones, d’autres rappellent qu’une frappe chirurgicale ne signifie pas que celle-ci soit légale ou légitime. Pour James Rogers, spécialiste des drones à l’Université de Cornell aux États-Unis, la précision peut permettre d’épargner des vies civiles, comme de les viser: «C’est simplement la garantie d’atteindre sa cible», résume le chercheur. «Nous vivons dans un monde dans lequel les drones sont très prolifiques, avec un éventail d’acteurs étatiques et non étatiques, reprend-il. Certains cherchent à réduire les coûts de la guerre et d’autres à en maximiser les dommages.»

Les télécommunications sont un élément central dans l’acquisition de cibles par les opérateurs chargés d’ordonner les frappes de drones. D’après les experts, les activités en ligne peuvent être interceptées pour révéler l’emplacement d’une personne. Les frappes de drones sont alors dirigées vers le téléphone utilisé pour se connecter. «La guerre des drones opère dans un contexte de renseignement qui exploite le réseau internet et les infrastructures de communication, explique Khalil Dewan, avocat et chercheur spécialiste des drones de combat. Ce qui fait que l’armée israélienne est extrêmement bien renseignée sur les personnes qu’elle cible.» Dans ce contexte de «guerre des drones», poursuit le spécialiste, les téléphones portables, les cartes SIM, les réseaux sociaux et la diffusion de contenus en direct font courir le risque à l’utilisateur d’être identifié comme une cible.

Tout comme les êtres humains sont dotés de sens – ils entendent, voient et sentent –, les drones disposent de capteurs embarqués et d’une liaison radio qui transfère les données collectées à un opérateur posté dans une station au sol, chargé d’identifier les cibles à abattre. Des caméras infrarouges et des capteurs photosensibles permettent également une confirmation visuelle, à condition que les conditions météorologiques soient favorables et que le drone vole suffisamment bas.

Bryant, qui a piloté le drone MQ-1B Predator, un modèle aujourd’hui retiré, souligne que la visibilité était déjà bonne au début des années 2010. Bien qu’il ne soit pas possible de distinguer les détails d’un visage, «lorsque nous nous rapprochions suffisamment, nous arrivions à distinguer un détail sur un vêtement, et je dirais que la définition des caméras s’est améliorée depuis.» «Vous pouvez voir la taille d’une personne, vous pouvez dire d’après sa démarche s’il s’agit d’un homme ou d’une femme, s’il est gros ou mince», précise de son côté une source militaire israélienne, qui a travaillé avec des drones.

D’après plusieurs experts interrogés par Forbidden Stories, certains modèles de drones utilisés par l’armée israélienne offrent une visibilité suffisamment bonne pour que l’opérateur puisse distinguer un gilet portant l’inscription «Press». «On ne peut en aucun cas imaginer que des soldats aient la permission de tirer sur une personne clairement identifiée comme journaliste, qui n’a pas pris part aux hostilités», déclare Asa Kasher, auteur du Code d’éthique de l’armée israélienne, rédigé en 1994.

«Je suis sûr qu’il a filmé jusqu’au bout»

Le 15 décembre, Samer Abu Daqqa, un caméraman d’Al Jazeera, âgé de 45 ans, père de quatre enfants, filme les destructions dans le centre de Khan Younès avec son ami et collègue Wael Al-Dahdouh, l’un des journalistes les plus éminents de Gaza. Vêtus de leurs gilets siglés «Press», les deux journalistes accompagnent une unité de protection civile, composée de secouristes et de pompiers. Alors qu’ils terminent leur reportage et s’apprêtent à regagner leurs véhicules, ils sont touchés par ce que des témoins, des organisations indépendantes et Al Jazeera reconnaissent comme étant une frappe de drone. «Je me suis effondré à terre, j’arrivais à peine à me relever, ma tête tournait et je m’attendais à ce qu’un deuxième missile nous frappe à tout moment» déclarera plus tard Wael Al-Dahdouh à Al Jazeera depuis son lit d’hôpital.

Wael Al-Dahdouh dit avoir vu trois membres de l’équipe au sol, morts sur le coup. Et plus loin, son collègue Samer Abu Daqqa, blessé au niveau des jambes, mais encore vivant.

Blessé au bras, Wael Al Dahdouh parvient tant bien que mal à rejoindre les véhicules de l’unité de protection civile garés à quelques centaines de mètres. «J’ai demandé aux ambulanciers de retourner chercher Samer, mais ils m’ont répondu qu’il fallait partir immédiatement et envoyer un autre véhicule pour éviter d’être ciblés», raconte le journaliste au micro d’Al Jazeera. Une «nuée de drones» flottait autour d’eux, décrit-il.

Après avoir été bloqués durant cinq heures, et après autorisation de l’armée israélienne, les secouristes reviennent finalement sur le lieu de l’explosion. Ils y trouvent le gilet de presse de Samer Abu Daqqa reposant contre un mur. «Pour nous, ça a tout de suite été le signe qu’il était en vie et qu’il avait retiré sa veste parce qu’elle était trop lourde à porter», se souvient Bilal Hamdan, l’un des secouristes. Au bout d’une demi-heure, un autre secouriste retrouve le corps «en lambeaux» de Samer Abu Daqqa. L’équipe conclut qu’il a été touché à au moins deux reprises. «Je suis sûr qu’il a filmé jusqu’au bout, il était tellement professionnel», témoigne Ibrahim Qanan, un collègue de Samer Abu Daqqa.

Dans un entretien avec Forbidden Stories, Al Jazeera confirme porter le cas de Samer Abu Daqqa devant la Cour pénale internationale, en tant que potentiel crime de guerre et crime contre l’humanité. L’avocat Rodney Dixon insiste sur le fait qu’Al Jazeera n’a décelé jusqu’à présent aucune preuve de la nécessité d’attaquer le groupe dans lequel se trouvait Samer Abu Daqqa, «ce qui revient donc à cibler délibérément des journalistes civils». Contactée par le consortium, l’armée israélienne n’a pas fourni d’informations sur les cibles militaires visées ce jour-là, ni sur l’objectif atteint par cette frappe. Un porte-parole militaire israélien a déclaré que le cas d’Abu Daqqa était en cours d’examen.

L’ombre de Lavender

Pour l’avocat et chercheur Khalil Dewan, la guerre des drones menée par Israël est particulièrement inquiétante: «C’est une obligation légale de distinguer les combattants des non-combattants, rappelle-t-il, et même si Israël prétend détenir l’armée la plus morale au monde, cela reste sujet à débat étant donné le nombre colossal de victimes civiles rapporté par les médias».

L’enquête menée par le consortium démontre, experts à l’appui, que l’armée israélienne dispose de toute la technologie et des moyens nécessaires pour éviter les dommages collatéraux. «L’armée israélienne sait très bien ne pas faire de victimes collatérales», insiste une experte française en intelligence artificielle et en technologie militaire, qui requiert l’anonymat. «Mais pour l’instant, il n’y a aucune volonté politique en ce sens, observe-t-elle. La politique actuelle tend plutôt vers une stratégie de riposte disproportionnée.»

Comme le révélait le média +972, Israël a élargi l’autorisation de bombarder des cibles non-militaires et assoupli les contraintes en matière de protection des civils depuis le mois d’octobre. L’armée utilise également plusieurs programmes basés sur l’intelligence artificielle pour identifier ses cibles. C’est le cas de Lavender, un programme ayant généré une liste de plus de 37?000 personnes à abattre, utilisé depuis le 7 octobre pour piloter les frappes ciblées de certains drones, d’après les informations du consortium.

L’enquête de +972 et de Local Call a révélé que la méthode de Lavender pour identifier les cibles consiste à évaluer la quasi-totalité de la population palestinienne de Gaza sur la base de certaines caractéristiques, censées permettre de cibler précisément les Gazaouis susceptibles d’être des militants du Hamas. Selon un livre écrit par le chef de l’unité 8200 et paru en 2021, la division d’élite du renseignement israélien, changer fréquemment de téléphone portable et d’adresse, ou encore partager des groupes Whatsapp en commun avec des membres du Hamas pourraient aussi être des facteurs pris en compte par l’IA pour cibler les habitants de Gaza.

D’après un membre du renseignement militaire israélien, qui s’est adressé au consortium sous couvert d’anonymat, il se pourrait que Lavender identifie par erreur des journalistes comme étant des membres du Hamas, une organisation qualifiée de mouvement terroriste par les États-Unis et l’Union européenne. Une hypothèse «plausible» selon lui, bien qu’il ne soit pas en mesure de la démontrer. Il se souvient notamment du cas d’un journaliste qui aurait été épargné «de justesse». Plusieurs autres sources ont déclaré qu’à leur connaissance, l’armée israélienne ne disposait pas d’une liste de journalistes palestiniens à Gaza, permettant de les écarter des listes générées par l’intelligence artificielle.

Une autre source militaire israélienne explique comment ce genre de confusion pourrait survenir: «Il est fréquent pour un journaliste à Gaza de se trouver dans des boucles WhatsApp avec des membres du Hamas, certains échangent régulièrement avec des responsables ou des militants, il est donc logique que Lavender puisse les étiqueter comme des militants.»

Des erreurs semblables se sont déjà produites par le passé. Au début des années 2010, un document confidentiel de l’Agence nationale de la sécurité américaine (NSA) révélait que les États-Unis avaient qualifié par erreur Ahmad Muaffaq Zaidan, chef du bureau d’Al Jazeera à Islamabad, de messager d’Al-Qaïda, le plaçant ainsi sur une liste de terroristes présumés. Le document en question faisait référence au programme SKYNET, qui analyse les métadonnées des utilisateurs dans le but d’y détecter des comportements suspicieux. Les cibles identifiées par ce programme pouvaient ensuite être exécutées par des frappes de drones ciblées.

Comme Israël, le gouvernement américain garantissait une présence humaine derrière l’intelligence artificielle. Mais d’après Jennifer Gibson, une avocate spécialisée dans les droits de l’Homme qui connaît bien le cas d’Ahmad Muaffaq Zaidan, le système est tellement défectueux que la question «n’est plus de savoir si oui ou non une personne appuie sur le bouton, à partir du moment où c’est la machine qui a choisi sa cible.»

Questionnée sur la présence éventuelle de journalistes touchés par des tirs de drones dans la liste dressée par Lavender, l’armée israélienne a déclaré «ne pas utiliser de systèmes d’intelligence artificielle pour identifier les combattants».

Une fragmentation de la chaîne de responsabilité ?

La liste des journalistes victimes d’attaques de drone est longue.

Ahmed Fatima, photojournaliste travaillant en parallèle pour la Maison de la Presse à Gaza, une organisation à but non lucratif qui soutient les médias indépendants  palestiniens, a été tué par un drone le 13 novembre 2023. Plusieurs témoins disent avoir aperçu un drone israélien abattre le journaliste à une cinquantaine de mètres de sa maison, alors qu’il tenait son fils de 6 ans, blessé, dans ses bras. D’après sa veuve, Ahmed Fatima tentait de conduire l’enfant à l’hôpital après le bombardement de leur maison.

En réponse aux questions du consortium, un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré que la frappe visait «une infrastructure terroriste et un agent militaire du Hamas.»

Le 24 janvier 2024, Abdallah Al Hajj, a quant à lui échappé de peu à la mort. Ce photojournaliste travaillant pour l’UNRWA et le quotidien Al Quds basé à Jérusalem, était l’un des rares à réaliser des photos aériennes depuis Gaza, avec son drone. Ses images ont fait le tour du monde.

Ce jour-là, le journaliste s’était rendu sur place pour «montrer au monde l’ampleur des destructions.» Après avoir tourné quelques images, «j’ai rangé mon drone et me suis dirigé vers des pêcheurs qui vendaient du poisson. À la seconde où j’ai demandé le prix, j’ai été pris pour cible (…) J’ai perdu connaissance pendant trois jours.» Il est aujourd’hui soigné au Qatar, où des membres du consortium l’ont rencontré. Il est amputé des deux jambes, au-dessus des genoux.

Le lendemain de l’attaque, l’armée a par ailleurs publié sur X des images du raid, affirmant avoir «éliminé plusieurs terroristes».

Un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré que l’attaque visait «une cellule terroriste utilisant un drone».

«[Un journaliste tué] cela ne devrait jamais arriver, pas même une seule fois», déclare Asa Kasher, l’auteur du Code d’éthique de l’armée israélienne à Forbidden Stories. «Aucun membre de la presse n’aurait dû être tué dans des circonstances normales d’hostilités à Gaza. C’est illégal. C’est contraire à l’éthique. Le responsable doit être traduit en justice».

Dans le cadre d’une guerre des drones, il est cependant peu probable que les responsables aient à rendre des comptes, d’après Lisa Ling, une ancienne sergente, chargée des systèmes de surveillance par drones de l’armée américaine. «Il y a une fragmentation de la responsabilité, chaque chaînon dispose de très peu d’informations, et les paramètres déterminants sont si nombreux qu’il est vraiment difficile de désigner un responsable», développe-t-elle.

En réponse au consortium, un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré qu’aucune frappe aérienne n’est «menée sans la supervision, l’approbation et l’exécution finale des officiers de l’IDF» et que «l’IDF ne dirige ses frappes que vers des cibles militaires et des agents militaires et mène ses frappes conformément aux règles de proportionnalité et de précaution dans les attaques».

Lors de l’élaboration des règles relatives aux assassinats ciblés au début des années 2000, la division juridique internationale de l’armée israélienne stipule que seuls les individus participant directement aux hostilités peuvent constituer une cible. «La logique était d’y avoir recours avec parcimonie, contre les personnes les plus haut placées et uniquement lorsqu’il n’y a pas d’autre solution, avait affirmé en 2018 à The Intercept Gabriella Blum, qui a participé à la rédaction de ces directives. Cela ne semble plus être le cas aujourd’hui.»

L’ancienne sergente américaine, Lisa Ling, qualifie quant à elle de «nauséabonde» l’idée selon laquelle les gens pourraient «s’habituer» à la présence constante de ces drones: «Lorsqu’un drone armé vole au-dessus de vous pendant un temps excessivement long, c’est de la terreur».

Depuis qu’ils ont été touchés, plusieurs journalistes ont confié au consortium être inquiets à l’idée de porter leurs gilets de presse. Certains les enfouissent dans leurs sacs et ne les sortent que devant la caméra. Aujourd’hui rétabli, Emad Ghaboun estime que «le gilet de protection lui-même est devenu un moyen de cibler, plus qu’un moyen de protéger.» (Traduit par Paciane Rouchon)

* Avec la participation de Walid Batrawi ; Phineas Rueckert, Sofía Álvarez Jurado, Youssr Youssef (FS); Hoda Osman (Arab Reporters for Investigative Journalism-ARIJ); Yuval Abraham (+972); Arthur Carpentier et Madjid Zerrouky (Le Monde); Maria Christoph, Maria Retter, Dajana Kollig, Christo Buschek (Paper Trail Media-PTM).

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«Gaza après le 7 octobre» (III)

Synopsis

«Ce film est écrasant, effroyable… Voilà ce qu’est vraiment la supposée “guerre contre le Hamas”. Cette réalité terrible doit être montrée crûment. Il est bon que ce film puisse être vu. On aimerait qu’il soit vu en Israël.» -Rony Brauman (Médecin, essayiste, ex-président de Médecins Sans Frontières)

Le Film vu par les Mutins de Pangée (coopérative cinématographique)

Attention, si vous décidez d’appuyer sur le bouton de lecture, vous ne sortirez pas indemne de ce visionnage. Personne n’a envie de voir des images aussi effroyables, mais elles témoignent de ce qui se passe à Gaza depuis l’attaque du 7 octobre 2023.

Un cauchemar

«C’est un rêve ou une réalité?» demande une petite fille abasourdie par ses blessures. C’est un cauchemar, sans aucun doute, et rien ne peut le justifier, ni les crimes du 7 octobre ni la détention des otages israéliens par le Hamas. Condamner tous les crimes du 7 octobre, d’avant et d’après, condamner l’antisémitisme et toutes les formes de racisme, c’est le sens commun. Il semble cependant qu’il faille le préciser. Toute personne normalement constituée souhaite que les otages survivants puissent un jour retrouver leurs familles et que s’arrête immédiatement le massacre à Gaza. Mais aller jusqu’au bout de la démarche, c’est voir les choses en face, voir ce qui se passe à Gaza depuis le 7 octobre, ce que fait l’armée israélienne, ce que ne montrent pas les chaînes de télévision.

Des journalistes documentent

Reporters Sans Frontières a dénoncé la mort d’une centaine de journalistes, tués à Gaza par l’armée israélienne entre le 7 octobre 2023 et début juin 2024, souvent délibérément ciblés, comme l’ont été des soignants et du personnel humanitaire, parmi les dizaines de milliers de gens bombardés ou visés par des snipers, mutilés, déplacés, affamés, harcelés, torturés, des familles entièrement décimées (dont au moins 40% sont des enfants), dans leurs habitations, dans la rue, dans des écoles, dans des hôpitaux, dans des ambulances, dans des camps de réfugiés… Le bilan s’alourdit en permanence, il est mis à jour par les ONG. L’Unicef alertait dès le début: «La bande de Gaza est aujourd’hui l’endroit le plus dangereux au monde pour un enfant.» (voir site de l’Unicef)

Ce film de montage a été réalisé par le journaliste et député Aymeric Caron avec l’aide d’une équipe, qui a identifié, trié et daté ces images, contacté des journalistes sur place. Sans autres commentaires que les titres et légendes qui datent et donnent les sources des images envoyées depuis Gaza comme des bouteilles à la mer par des filmeurs et des filmeuses, journalistes qui continuent à travailler dans des conditions terribles alors qu’aucun de leurs collègues étrangers n’est autorisé à entrer dans cette zone de crime de 360 km2. Leurs images se percutent avec des prises de paroles israéliennes, officielles et dissidentes, ainsi que des vidéos postées sur les réseaux par des soldats israéliens.

Le film contient beaucoup d’images du journaliste palestinien Motaz Azaiza, aujourd’hui en exil, et qui vient de recevoir le prix Liberté à Caen, décerné par la région Normandie avec l’Institut international des droits de l’homme et de la paix (Le Monde, 17 juin 2024)

Une première séance à l’Assemblée nationale

Le député Aymeric Caron a d’abord organisé une séance à l’Assemblée nationale pour ses collègues de tous les groupes parlementaires, le 29 mai dernier. Seulement 17 députés ont assisté à cette projection, quelques journalistes étaient présents. Aymeric Caron a alors précisé qu’il souhaitait mettre son film «à disposition de tous ceux qui veulent le voir». Nous l’avons aussitôt contacté pour en parler. Nous nous sommes bien sûr demandé s’il fallait vous montrer ces images sur CinéMutins. Après réflexions, discussions, consultations, nous avons voulu vous laisser la libre décision de visionner ce film (ou pas), en libre accès, après vous avoir averti de la nature de ces images, le réalisateur ayant ajouté un carton au début du film.

Un film qu’on voudrait voir s’arrêter

Préalablement, il a fallu donc visionner le film et nous l’avons jugé terrible, insoutenable… mais nécessaire. Car, au-delà de tous les discours et de «la guerre des mots» qui montrent le visage assez délirant de l’environnement politico-médiatique dans lequel on baigne en France, ces images documentent les crimes de guerre perpétrés, dans une démocratie, par l’autoproclamée «armée la plus morale du monde». Des crimes commis avec des armes fournies en grande partie par les États-Unis et l’Union européenne, l’Allemagne surtout et même la France comme l’ont révélé Disclose et Marsactu en mars 2024.

Dès les premières minutes de visionnage, on voudrait que le film s’arrête, que ça cesse immédiatement… que cessent les crimes, que cesse le feu, que tout ça n’ait jamais existé.

Qui peut encore nier ou justifier ces crimes après avoir vu ces images?

Nous ne trouvons pas les mots à opposer à la mauvaise foi où le poids d’une photo ne pèse plus bien lourd au milieu de la masse d’images qu’il faut digérer chaque jour, où les réalités sont niées avec aplomb, voire même, carrément justifiées ouvertement avec mépris, insultes et menaces, par des criminels de guerre et leurs complices, qui osent salir les morts qu’ils engendrent, mais aussi la mémoire des victimes de l’antisémitisme dans l’histoire, en usant de cette grave accusation à tous propos dans le but de faire taire toute contestation. Ces images témoignent pour que ça cesse, avant tout. Face à ceux qui continuent à soutenir ces crimes, face aux discours de haine, de vengeance et de déshumanisation, plutôt que de se laisser entrainer dans une forme de surenchère verbale, nous préférons opposer ce miroir sans tain. Bon courage.

Réalisation Aymeric Caron  – Thématiques Gaza – Année de sortie 2024 – Pays de production France – Langue VF – Zone de diffusion Monde – Disponibilité Gratuit – Genre Documentaire

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