Agée de 82 ans, frappée par la maladie d’Alzheimer… mais arrêtée comme «combattante illégale» par Israël. En fait un révélateur de la guerre menée à Gaza 

Fahamiya Khalidi

Par Amira Hass

Les Forces de défense israéliennes (FDI) et l’Autorité pénitentiaire israélienne ont arrêté et emprisonné pendant près de deux mois une femme de Gaza âgée de 82 ans qui souffre de la maladie d’Alzheimer. Elle a été emprisonnée en vertu de la loi sur l’incarcération des «combattants [ennemis] illégaux». Parce qu’elle était considérée comme une combattante illégale, la prison de Damon, dans le nord d’Israël, a également refusé la demande d’un avocat de l’organisation israélienne Physicians for Human Rights Israel (PHRI) qui souhaitait la rencontrer. Elle a été libérée il y a deux semaines après avoir fait appel du refus de l’autoriser à rencontrer l’avocat.

Fahamiya Khalidi, née en 1942, a été arrêtée dans la bande de Gaza au début du mois de décembre par des soldats israéliens. A l’époque, elle s’était réfugiée dans une école du quartier Zeitoun [le nom signifie quartier des oliviers] de la ville de Gaza, après avoir quitté son domicile en raison des bombardements israéliens.

En raison de son état de santé et du fait que ses enfants vivent à l’étranger, elle était accompagnée d’une aide-soignante à temps plein. Cette dernière a également été arrêtée mais n’a pas été libérée en même temps que Fahamiya Khalidi et, pour autant que nous le sachions, elle est toujours en détention. De nombreux détails concernant l’incarcération de Fahamiya Khalidi restent inconnus car, depuis sa libération, elle n’a pas été en mesure de retracer ce qui lui est arrivé.

La fille et les fils de Fahamiya Khalidi ont appris l’arrestation de leur mère par des voisins, mais ils n’ont pas pu savoir où elle se trouvait. Depuis le début de la guerre à Gaza, le 7 octobre, Israël a refusé de fournir aux familles et aux organisations de défense des droits de l’homme la moindre information sur l’endroit où se trouvent les détenu·e·s de Gaza.

Physicians for Human Rights a appris par hasard que Fahamiya Khalidi était détenue à la prison de Damon. Un avocat d’une autre organisation de défense des droits de l’homme a rendu visite à des prisonnières de Cisjordanie et a entendu parler d’une prisonnière âgée de Gaza qui ne parlait pas et avait des difficultés à marcher. L’avocat a prévenu la famille et a transmis les coordonnées de Fahamiya Khalidi à PHRI.

Le 27 décembre, Muna Abu al-Younes Khatib, une avocate de PHRI, a déposé une demande pour rencontrer la femme âgée de Gaza. Le 31 décembre, une réponse de la prison de Damon est arrivée, indiquant ce qui suit: «Les [femmes] incarcérées sont privées de la possibilité de rencontrer un avocat jusqu’au 21 février 2024 sur la base d’une décision du fonctionnaire responsable en vertu de la section 6A de la loi de 2002 sur l’incarcération des combattants illégaux.»

Selon les données de l’administration pénitentiaire israélienne, à la fin du mois de décembre, 661 personnes qui avaient été déclarées combattants illégaux étaient emprisonnées dans ses installations. Il s’agit de 10 jeunes hommes âgés de 16 ou 17 ans, d’une jeune femme et de 42 femmes adultes. Cela signifie que l’une de ces femmes était Fahamiya Khalidi. Ces chiffres ne tiennent pas compte des habitants de Gaza qui sont toujours détenus dans les installations des FDI [1].

La loi de 2002 définit les combattants illégaux comme toute personne ayant participé directement ou indirectement à des actes hostiles contre l’Etat d’Israël et n’ayant pas droit au statut de prisonnier de guerre en vertu de la Convention de Genève [2]. Sur la base d’un amendement de 2023, la loi n’autorise ces prisonniers à rencontrer un avocat que 30 jours après leur incarcération. Le fonctionnaire de la prison responsable de l’application de la loi est autorisé à prolonger la période sans accès à un avocat jusqu’à 75 jours – comme cela a été fait dans le cas de Fahamiya Khalidi.

Le 10 janvier, un autre avocat, Tamir Blank, a fait appel du refus de la prison d’accorder un entretien à Fahamiya Khalidi. Il a également fourni un rapport médical datant de juin de l’année dernière, selon lequel Fahamiya Khalidi souffrait d’une série de problèmes médicaux et avait des difficultés à marcher, en plus d’être atteinte de la maladie d’Alzheimer. Tamir Blank a également souligné qu’il ne disposait pas d’une procuration signée car Fahamiya Khalidi s’était vu refuser un entretien avec l’avocat des PHRI. Le lendemain, le juge Ron Shapiro du tribunal de district de Haïfa a donné au bureau du procureur de Haïfa jusqu’au 14 janvier pour répondre.

Einat Shterman Cohen, du bureau du procureur de Haïfa, a répondu au dernier moment que la rencontre serait autorisée «en dépit de la lettre de la loi… [puisque les avocats qui font appel au nom de Khalidi] ne devraient pas être considérés comme représentant le requêrant» en l’absence d’un formulaire de procuration signé. Les responsables de la prison ont programmé une rencontre entre Fahamiya Khalidi et l’avocat de PHRI pour le dimanche 21 janvier.

Mais le 19 janvier, Fahamiya Khalidi a été libérée de la prison de Damon en même temps que cinq autres femmes qui avaient été considérées comme des «combattantes illégales». PHRI a appris la libération de Fahamiya Khalidi par hasard, encore une fois.

Cette fois encore, un avocat d’une autre organisation qui visitait la prison a appris que six femmes de Gaza, dont Fahamiya Khalidi, avaient été libérées. Les efforts de la PHRI pour obtenir plus d’informations de la part du bureau du procureur, au moins pour faire en sorte que quelqu’un l’attende à son retour à Gaza, ont été vains.

Différents rapports des médias ont fourni quelques informations sur sa situation en prison. D’après les déclarations de l’une des autres femmes de Gaza qui a été libérée, on peut conclure qu’elle s’est parfois rendue à l’infirmerie de la prison avec des menottes. Comme elle avait des difficultés à marcher, elle se déplaçait en fauteuil roulant. Fahamiya Khalidi n’était pas la seule prisonnière âgée et malade, a déclaré l’autre prisonnière. Les six prisonnières libérées ont été conduites à proximité du point de passage frontalier de Kerem Shalom, à Gaza, en compagnie de 18 hommes. Elles ne connaissaient pas la région et lorsqu’elles ont commencé à s’éloigner, les soldats ont tiré au-dessus de leurs têtes et leur ont crié de revenir pour qu’elles puissent être envoyées dans la bonne direction, a raconté une autre prisonnière. Selon elle, les soldats ont continué à tirer après qu’ils et elles ont été «réaiguillés».

Du côté palestinien du poste frontière, une tente de l’UNRWA [3] accueille les prisonniers libérés. Fahamiya Khalidi a été envoyée de là dans un hôpital de la ville de Rafah, au sud de Gaza, où elle se trouve toujours. L’hôpital a contacté une personne portant le même nom de famille – qui avait été déplacée par la guerre du camp de réfugiés de Shati. Il est immédiatement venu lui rendre visite, mais il s’est avéré qu’ils n’avaient aucun lien de parenté.

Dans une vidéo de leur rencontre publiée sur les médias sociaux, on le voit essayer en vain de lui poser des questions sur son identité et sur ce qu’elle a vécu au cours des dernières semaines. On le voit également lire sa carte d’identité (qui indique qu’elle est née à Lod [avant son occupation lors de la guerre de 1948-49, elle portait le nom de Lydda], dans ce qui est aujourd’hui le District centre d’Israël).

Le journaliste de la chaîne de télévision Falastin, qui a interviewé les deux prisonnières libérés, a également tenté en vain d’avoir une conversation avec Fahamiya Khalidi. Les femmes ont raconté qu’avant d’être emmenées à Damon, elles se trouvaient dans un centre de détention qu’elles ont décrit comme étant situé dans «les montagnes» – faisant apparemment référence à l’installation militaire d’Anatot, à l’extérieur de Jérusalem – où elles ont dit avoir été interrogées pendant dix minutes par jour pendant plusieurs jours.

Naji Abbas, directeur du département des prisonniers de PHRI, qui était en contact régulier avec la famille de Fahamiya Khalidi et a assuré le suivi de son cas par son organisation, a déclaré que l’emprisonnement prolongé d’une femme de 82 ans qui souffrait également de la maladie d’Alzheimer soulevait des questions concernant les motifs de l’arrestation et l’identité d’un nombre considérable de Gazaouis détenus par les FDI ou l’administration pénitentiaire israélienne. Il a également déclaré à Haaretz que son organisation avait reçu des rapports concernant d’autres personnes âgées de 80 et 90 ans que les FDI avaient arrêtées et dont les familles n’avaient pas été contactées.

En réponse à cet article, l’administration pénitentiaire israélienne a déclaré: «La prisonnière a été reçue au service pénitentiaire le 10 décembre 2023. Elle a été détenue pendant 30 jours jusqu’à sa libération. Pendant cette période, elle a été détenue conformément à la loi.»

Mais selon des témoignages, et contrairement à la déclaration de l’administration pénitentiaire, elle a été libérée le 19 janvier, soit plus de 30 jours après son arrivée à Damon.

L’administration pénitentiaire n’a pas répondu à la question de Haaretz de savoir si Fahamiya Khalidi avait été examinée par un médecin et si, sur la base de cet examen, la prison de Damon avait décidé qu’elle était une «combattante illégale» qui ne devait pas être autorisée à rencontrer un avocat. L’administration pénitentiaire n’a pas non plus répondu à la question de savoir si les autorités pénitentiaires ne trouvaient pas étrange de considérer une femme dans son état comme une «combattante illégale».

Il a été demandé au service de sécurité du Shin Bet et au ministère de la Justice si Fahamiya Khalidi avait été interrogée par le service de sécurité du Shin Bet et si les FDI, l’administration pénitentiaire et/ou le Shin Bet étaient habilités à libérer une personne arrêtée en vertu de la loi sur les «combattants illégaux» s’il s’avérait qu’elle n’était pas un «combattant» et qu’elle n’était pas en mesure de fournir des informations. Le ministère de la Justice a déclaré que les questions devaient être posées au Shin Bet, qui n’a pas répondu. La réponse du porte-parole des FDI n’est pas parvenue avant l’heure d’impression de cet article. (Article publié dans le quotidien israélien Haaretz, le 1er février 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] En date du 31 janvier 2024, Al Jazeera publiait une vidéo effroyable montrant la découverte d’une fosse commune près de l’hôpital Indonésien, au nord de Gaza. Plus de 30 corps y étaient ensevelis. Les premiers constats indiquaient sans aucun doute possible que les «prisonniers», avant leur exécution, avaient les yeux bandés et les mains attachées, ainsi que des traces de torture. Les massacres opérés par les FDI prennent des figures multiples, toutes effrayantes.

Sur la rétention des «dépouilles de guerre» et l’empêchement des «rituels funéraires» pratiqués par les forces de répression de l’Etat Israélien, il est possible de lire l’ouvrage remarquable de Stéphanie Latte Abdallah, Des morts en guerre. Rétention des corps et figures du martyr en Palestine, Khartala, 2022. Un compte rendu de cet ouvrage est proposé sur le site de La Vie des idées, le 26 janvier 2024, par Valérie Robin Azvedo. (Réd.)

[2] Depuis octobre 2007 – pour se limiter à la période la plus proche – l’occupant israélien qualifie tout combattant de la résistance palestinienne comme «terroriste» ou «combattant ennemi illégal», ce qui de façon contraire au droit humanitaire international aboutit à leur dénier tout droit et à anonymiser les défunts. (Réd.)

[3] Sur la confluence non hasardeuse entre la campagne de dénonciation de l’UNRWA et le premier jugement intermédiaire de la Cour internationale de justice, nous y reviendrons sous peu. (Réd.)

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