Israël suite au coronavirus: «une crise, un État – incluant les Palestiniens?»

«Tout d’un coup, les gens qui construisent tout dans ce pays sont aussi autorisés à y dormir» (Credit: Aron Ehrlich)

Par Gideon Levy

Lorsque la pandémie de coronavirus a éclaté, s’est produite une chose qui a d’abord paru insignifiante. Elle n’a même pas retenu l’attention: Israël a annoncé qu’un grand nombre de travailleurs palestiniens provenant des «territoires» seraient autorisés à rester pour la nuit dans les limites de l’Etat d’Israël, afin qu’ils puissent continuer à occuper leur poste de travail dans le pays.

Boom! En pleine épidémie, une foule de terroristes palestiniens autorisés à passer la nuit en Israël? Mais que fait le Shin Bet? Où se trouve la police israélienne, les autres agences de sécurité? Qui nous protégera de ces masses de bombes à retardement humaines qui dormiront sous les chambres de nos enfants et les nôtres?

Depuis plus de vingt ans ces gens nous inspiraient une peur mortelle. Cela fait deux décennies que nous sommes prévenus du danger qu’ils nous font courir. Dès la deuxième Intifada, nous leur avons interdit de rester en Israël la nuit venue.

Tout d’un coup, les gens qui travaillent à bâtir ce pays sont aussi autorisés à dormir ici. C’est arrivé, et le ciel ne nous est pas tombé sur la tête. Mais, bien sûr, vous pouvez toujours compter sur Israël. Lorsque la pandémie sera terminée, les Palestiniens qui construisent ce pays devront probablement à nouveau naviguer entre les check-points au milieu de la nuit.

Ces dernières semaines, le virus s’est propagé dans la zone qui va du Jourdain à la mer. Israël et l’Autorité palestinienne se sont unis sous le lourd manteau de la peur et de la détresse. Depuis des années, la région n’avait pas connu un tel calme.

Les frontières, les centres urbains et les villages d’Israël, les camps de réfugiés ainsi que les villes de Cisjordanie et de la bande de Gaza étaient paisibles dans une mesure qui n’avait pas été observée depuis longtemps. Une main invisible a retenu les tirs, les cocktails Molotov et les roquettes, les détentions et les assassinats. Pendant la pandémie, les hostilités ont connu une pause, elle se poursuit encore. Il se peut qu’elle prenne fin comme si jamais elle n’avait eu lieu – mais peut-être pas.

Durant cette trêve, les médecins, les infirmières, les pharmaciens, les aides-soignants et les autres personnels de santé arabes sont en première ligne de la lutte contre le coronavirus. Les médias de masse, qui ne les ont jamais remarqués, ni eux ni leur peuple, qui ne les ont jamais pris en considération en temps normal, leur accordent soudainement estime et respect. Tout d’un coup ce sont des êtres humains, Pour la première fois de leur vie peut-être.

Les épidémiologistes arabes ou les directeurs d’hôpitaux ne sont peut-être pas encore considérés comme suffisamment qualifiés pour apparaître dans les médias et parler de leur domaine d’expertise. Mais soudain, voilà des Arabes en première page du quotidien Yedioth Ahronoth – et ce ne sont pas des terroristes. Qui l’aurait cru?

A la veille du Jour de l’Indépendance, la cérémonie sioniste officielle la plus sacrée, parmi ceux qui allumaient le flambeau, une représentation arabe était présente [ce 28 avril] – bien sûr, ce n’était pas la première fois. Mais cette année, il ne s’agissait ni d’un «bon arabe», ni d’un «collaborateur». Mais d’un professionnel de la santé, reconnu pour sa compétence, et non pour sa «loyauté».

Il y a eu également une autre évolution surprenante, dont l’impact est encore difficile à évaluer. Pour la première fois de leur histoire, les Israéliens ont commencé à se sentir «palestiniens«. Pas vraiment, mais néanmoins, les Israéliens ont maintenant aussi été soumis à des confinements et des couvre-feux, à des check-points, et à un chômage effroyable. Ils savent que la situation est temporaire et que les mesures restrictives sont justifiées, mais néanmoins, les Israéliens ont quand même senti le goût de ce que pouvait être une petite occupation.

Cela les aidera-t-il à s’identifier le moins du monde aux victimes palestiniennes? Les Israéliens se rendront-ils compte qu’ils ont vécu – confortablement et deux mois seulement – ce que les Palestiniens vivent depuis plus de 50 ans accablés d’abus et d’humiliations? On peut en douter. Peut-être le feront-ils.

L’espoir fleurira-t-il avec le printemps? Qui sait? Mais le coronavirus nous a approchés d’un petit pouce de la solution à un Etat, la seule qui semble pouvoir nous rester. Un petit pas pour l’homme, un tout petit pas pour l’humanité. Un très petit, très fragile et réversible élan.

Durant quelques jours, les Arabes d’Israël ont été nos semblables – confrontés au même danger, l’affrontant comme nous l’affrontons et, heureusement, ne le propageant pas plus que nous ne le faisons, malgré ce que certains espéraient manifestement.

Le terrorisme est mort dans les territoires. Désormais, franchir la frontière est devenu une affaire civile, comme dans un pays normal, et même, ici et là, avec diverses formes d’assistance médicale.

La population de Gaza est restée prisonnière. Et malgré l’épidémie, les colons de Cisjordanie n’ont raté aucune occasion de violence, d’agression, de destructions et de vols, et plus encore qu’ils ne le font habituellement. Et Israël n’a pas songé à faire un geste, n’a pas libéré un prisonnier. Et pourtant, quelque chose comme de l’espoir flotte dans l’air.

Quelles conclusions les Israéliens vont-ils tirer de ces minuscules évolutions? Les graines pour faire germer ce changement plus crucial que tout ce qui fut vécu jusqu’alors ont-elles été plantées? Les Israéliens comprendront-ils que les Palestiniens sont des êtres humains, comme nous, avec les mêmes rêves et les mêmes droits?

Il n’y a pas vraiment de raison d’en attendre beaucoup. Les agents de la guerre et de la haine, le nationalisme et le racisme, restent les mêmes, toujours aussi puissants. Et pourtant, deux peuples, une épidémie, un État. Pendant un instant, dans le seul pays où vivent deux peuples sous trois régimes différents s’est interrompue la folle quête des armes et du sang. Même si une catastrophe beaucoup plus importante est nécessaire pour apporter des changements, nous pouvons toujours être consolés par la petite catastrophe qui peut apporter un changement, encore plus petit, mais probablement éphémère. Toutefois nous devrions être reconnaissants pour ce qui peut être obtenu. (Article publié dans Haaretz en date du 6 mai 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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