Israël. «Les discriminations s’aggravent dans les territoires occupés»

Lea Tsemel

Entretien avec Lea Tsemel
conduit par Baudouin Loos

Lea Tsemel est du genre têtu. Un caractère. Les juges militaires israéliens la connaissent bien. Depuis près de cinquante ans, elle défend, comme avocate, des clients palestiniens. De simples quidams ou des hommes accusés d’actes terroristes. Invitée à Tournai ce samedi par le député provincial Serge Hustache et plusieurs associations pro-palestiniennes, Lea Tsemel avait pour une fois une bonne nouvelle à annoncer: son client belgo-palestinien, Mustapha Awad, condamné en Israël à un an de prison l’an dernier, a été libéré ce vendredi matin et devait être rapidement expulsé vers son pays d’adoption, la Belgique.

Que reprochait Israël à Mustapha Awad? 

Surtout d’avoir, en 2010, rencontré en Belgique des membres du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Au Liban il y a trois ans, il avait aussi reçu quelques heures de cours sur le thème «comment échapper aux filatures» et il avait aussi accepté de transférer de l’argent pour un ami vers la Belgique. Mais les enquêteurs israéliens ont quand même reconnu qu’il n’était pas une menace pour Israël et qu’il n’était pas venu avec de mauvaises intentions. Il voulait revoir la terre de ses ancêtres à Saint-Jean d’Acre, en Israël, lui qui est né dans un camp de réfugiés au Liban. C’est un cas vraiment mineur, facile selon mon expérience ces 50 dernières années, mais qui lui a néanmoins valu un an de prison.

Il avait pu sortir récemment, juste quelques heures…

Oui. Ayant droit à une libération conditionnelle pour bonne conduite aux deux tiers de sa peine le 25 février dernier, il avait été libéré pendant quelques heures avant que le Shin Bet, les services israéliens de sécurité intérieure, n’exige contre toute attente sa réincarcération, ce qui était selon moi illégal aux yeux de la loi israélienne. J’ai donc réintroduit une demande de libération et j’apprends ce vendredi matin qu’elle a été acceptée et qu’il est libre, en tout cas transféré quelque part en attendant son expulsion vers la Belgique.

En quoi consiste votre métier d’avocate? 

Il y a peu de temps est sorti un documentaire sur moi intitulé «Avocate», de Rachel Leah Jones et Philippe Bellaïche, avec ce sous-titre: «L’avocate qui perd», en référence au fait que je défends des causes perdues. Les cas qui m’occupent depuis longtemps sont en effet le plus souvent liés à l’occupation. Par exemple, ces derniers temps, de nombreuses affaires de réunifications familiales refusées: des couples dont un membre est étranger, à qui «l’administration civile» (qui est bien militaire, NDLR) refuse le droit de vivre en Cisjordanie avec son ou sa conjoint(e). Le but? Isoler les Palestiniens, empêcher l’arrivée de témoins gênants.

Le mot «discrimination» vient facilement dans votre bouche…

Oui. Je m’occupe aussi de cas de punition collective, comme les démolitions de maison, illégales au regard du droit international et pourtant approuvées même par la Cour suprême d’Israël. La pratique est notamment de démolir les maisons des auteurs d’actes terroristes. Les discriminations sont évidentes puisque quand des colons juifs tuent des Palestiniens, quel que soit le degré d’horreur de ces meurtres, on n’applique pas du tout les mêmes mesures de rétorsion. Les discriminations s’accentuent d’ailleurs jour après jour. En Cisjordanie occupée, il y a des routes pour colons, d’autres pour Palestiniens, des lois pour colons – les lois israéliennes – et des lois militaires pour les Palestiniens. C’est sans fin. Et cela devient toujours plus grave car «ils» gagnent. Les décisions prises le sont de plus en plus par des colons ou des sympathisants. Les nominations de juges, par exemple, sont de plus en plus en faveur des thèses des colons et de l’extrême droite israélienne.

Vous n’avez pas que des admirateurs en Israël…

Les attaques et les menaces contre des gens comme moi se sont banalisées. Contre des associations israéliennes qui travaillent contre l’occupation aussi. Nous sommes traités de «traîtres» par la droite et les colons. Nous sommes «des Juifs qui cultivent la haine de soi», sinon carrément des antisémites! Je me retrouve aussi à défendre des Israéliens, des activistes qui aident les Palestiniens contre l’occupation. Contre le déracinement, contre la judaïsation de Jérusalem-Est. Contre le mur de séparation. Les élections législatives qui auront lieu le 8 avril en Israël ne semblent pas devoir changer grand-chose, dirait-on. Mais qui sait? On ne va pas laisser tomber les bras en tout cas.

Parlez-nous de votre jeunesse…

Je suis née en 1945 à Haifa, dans la Palestine sous mandat britannique, de parents originaires de Biélorussie et de Pologne. Quand j’étais jeune, j’étais très sioniste, très patriote! Jusqu’à la guerre de juin 1967 (qui vit Israël notamment conquérir les 22% de la Palestine qu’il ne contrôlait pas encore, dont la partie arabe de Jérusalem, NDLR). Après, j’ai compris que la paix n’était pas ce qui intéressait Israël. Et la guerre, à laquelle j’ai participé, a fait de moi une activiste anti-guerre. J’ai vu qu’on appliquait aux Palestiniens des lois répressives du mandat britannique que nous vomissions quand on les subissait auparavant. J’ai vu de mes propres yeux en 1967 l’expulsion de Palestiniens de Jérusalem, comme cela s’était passé en 1948. J’ai alors milité contre l’occupation. Sans grand succès, il faut bien l’admettre! Au contraire, hélas! Pendant longtemps, le camp des colons cherchait des excuses et invoquait, par exemple, des raisons de sécurité pour coloniser les territoires palestiniens. Maintenant, c’est terminé, on assume! Plus personne ne se sent obligé de donner des excuses car «cette terre est à nous», «c’est une promesse divine»… (Article publié dans Le Soir, en date du 25 mars 2019; https://journal.lesoir.be/; reproduit avec l’autorisation de l’éditeur)

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