Israël. «Des criminels de guerre sont bienvenus à Yad Vashem»

Jair Bolsonaro, le 2 avril 2019, à Yad Vashem

Par Orly Nov

La Journée à la Mémoire des Victimes de l’Holocauste (Holocaust Remembrance Day, les 20-21 avril 2020 en Israël), est généralement l’événement majeur de Yad Vashem, le musée de l’Holocauste à Jérusalem. Même si cette commémoration n’a pu avoir lieu cette année en raison de la pandémie du coronavirus, le musée a proposé sur son site web des activités mémorielles pouvant être effectuées à la maison, des conférences, des témoignages, des documentaires historiques et d’autres outils pédagogiques.

Toutefois, parallèlement à ces activités, l’institution muséale joue également un autre rôle. Celui de passage obligé pour les dirigeants étrangers et les personnalités publiques en visite officielle en Israël, selon le protocole diplomatique du ministère des Affaires étrangères.

Au fil des ans, cette règle a conduit au mémorial certains des plus méprisables parmi les dirigeants de ce monde, parmi lesquels des criminels de guerre et des responsables de crimes contre l’humanité dont la seule présence aux portes de ce site insulte la mémoire des victimes de l’Holocauste.

Un cortège de criminels

Une pétition déposée par l’avocat Eitay Mack au nom de la professeure Veronica Cohen, survivante de l’Holocauste en Hongrie, ainsi qu’aux noms de 65 autres pétitionnaires (dont Eitay Mack lui-même), vise à mettre un terme à cette honte. Les pétitionnaires ont été entendus au début du mois de mars par les juges Noam Sohlberg, Joseph Elron et Alex Stein. Ils demandent au ministère des Affaires étrangères et à Yad Vashem de suspendre les visites officielles aux criminels de guerre internationaux, aux antisémites, aux racistes et à toute personne responsable ou complice de génocide et de viol de femmes.

Selon la pétition, depuis 1976 et la visite scandaleuse de John Vorster, Premier ministre de l’apartheid sud-africain (il avait été membre d’une organisation pro-nazie pendant la Seconde Guerre mondiale), de nombreuses autres personnalités funestes et indignes ont effectué des visites officielles à Yad Vashem.

Rodrigo Duterte, le 3 septembre 2018, à Yad Vashem

La liste des personnes qui ont «honoré» Yad Vashem d’une visite comprend une délégation d’officiers de la junte militaire de la Birmanie, responsable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité contre les Rohingyas; le président du Brésil, Jair Bolsonaro, qui a fait l’éloge de Hitler et soutient explicitement l’extermination des LGBTQI+ et des communautés autochtones, tout en soutenant des atrocités telles que le viol, la torture et la dictature militaire; le président philippin Rodrigo Duterte, qui a soutenu le bombardement d’écoles autochtones; le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, qui honore la mémoire du leader antisémite hongrois Miklós Horthy pendant la Seconde Guerre mondiale; le président du Parlement sud-soudanais Anthony Lino Makana, un haut fonctionnaire notamment responsable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au cours de la guerre civile soudanaise. Une longue liste, une liste sombre et épouvantable.

Qu’une telle pétition soit nécessaire pour exclure ces personnages de «l’institution nationale» est choquant. La réponse que lui ont apportée Yad Vashem et le ministère des Affaires étrangères est scandaleuse.

Parmi d’autres propos, Yad Vashem s’est défendu en affirmant: «Les règles administratives que les requérants cherchent à imposer à Yad Vashem sont subordonnées à l’existence d’une autorité administrative, et comme celle-ci n’existe pas à Yad Vashem, Yad Vashem ne constitue pas une partie au litige faisant l’objet du recours.» En d’autres termes, c’est le ministère des Affaires étrangères qui décide qui doit effectuer des visites officielles à Yad Vashem. Nous ne faisons que suivre les ordres. Ne nous impliquez donc pas.

Plus choquant encore, Yad Vashem déclare: «Les rapports et les rumeurs développés par cette pétition concernant l’implication et/ou le supposé soutien de personnalités officielles étrangères dans des crimes graves au regard du droit international ne sont pas connus de Yad Vashem et Yad Vashem n’est en aucun cas en mesure de les corroborer ou de les réfuter.»

Cet argument est invraisemblable venant d’un organisme prétendument dédié à la dénonciation des violations des droits humains en général et de l’antisémitisme en particulier.

Les responsables de Yad Vashem, lorsqu’ils ont accueilli le président sri-lankais Mahinda Rajapaksa en janvier 2014, ne savaient-ils vraiment pas qu’il était accusé par les Nations Unies de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité? Pouvaient-ils vraiment ignorer la campagne antisémite d’Orbán contre George Soros, entre autres? L’admiration de Duterte pour Hitler? Le massacre des Rohingyas en Birmanie?

Ne venez pas déranger nos affaires

La réponse détaillée du ministère des Affaires étrangères à la pétition est tout aussi honteuse. Au-delà des nombreux écueils juridiques, deux arguments sont particulièrement remarquables.

Réponse du ministère des Affaires étrangères, article 33: «Distinguer au sein du personnel des États, et sur la base d’une position idéologique jugeant leurs actions pour déterminer qui est, ou non, légitimé à visiter Yad Vashem, pourrait nuire aux relations diplomatiques avec ces pays et empêcher leurs dirigeants de prendre part à des visites officielles à Yad Vashem. Un tel incident diplomatique pourrait même dépasser les limites de cette seule affaire et nuire aux relations entre États sous de nombreux autres aspects (politique, sécuritaire, économique, etc.).»

En d’autres termes, selon le ministère des Affaires étrangères, visiter Yad Vashem fait partie du show qu’offre Israël aux pires régimes et dirigeants du monde pour vendre des armes et nouer des alliances avec eux.

Et comme si cet «argument» n’était pas suffisant, le ministère des Affaires étrangères en présente ensuite un autre: «Contrairement à l’opinion des pétitionnaires telle que l’exprime leur pétition, la position du Répondant est que la visite présente une grande valeur, morale, éducative à l’attention de dirigeants qui, par exemple, s’efforcent de réviser les vérités factuelles sur les actions de leur propre pays pendant l’Holocauste, en formant des récits alternatifs, ou qui seraient impliqués dans de graves violations des droits de l’homme.»

Ainsi, après que le ministère des Affaires étrangères a admis que la visite à Yad Vashem est censée graisser les rouages de ses affaires avec des tyrans, des criminels et des antisémites, le voilà maintenant qui soutient la valeur éducative de cette pratique pour ces invités!

De toute évidence, le formidable succès éducatif de la visite à Yad Vashem saute aux yeux, lorsque le président polonais Andrzej Duda continue de modifier la vérité historique pour absoudre son pays de toute implication dans la Shoah (avec l’historienne principale de Yad Vashem, Dina Porat, qui prend une part active à cette falsification). Comme il s’impose à la vue de toutes et tous lorsque le président brésilien Bolsonaro, à la sortie du site commémoratif déclarait: «les nazis étaient des gauchistes». (Cet article a d’abord été publié en hébreu sur Local Call et en langue anglaise sur le site de +972 en date du 24 avril 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

Orly Noy est rédactrice en chef à Local Call, militante politique et traductrice de poésie et de prose farsi. Elle est membre du conseil exécutif de B’Tselem et militante du parti politique Balad, parti créé en 1995 par des Arabes israéliens sous l’impulsion d’Azmi Bishara et dont l’objectif général est de «lutter pour transformer l’Etat d’Israël en démocratie pour tous ses citoyens, quelles que soient leur nationalité ou leur origine ethnique».

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