France: dix ans de politique du bâton au Proche-Orient

Nicola Sarkozy recevait, en juillet 2008, Bachar al-Assad à l'Elysée
Nicola Sarkozy recevait, en juillet 2008, Bachar al-Assad à l’Elysée

Par Christophe Ayad

François Hollande a donné, lundi 16 novembre 2015, devant les parlementaires solennellement réunis en Congrès à Versailles, une nouvelle inflexion à la désormais incompréhensible politique arabe de la France. Après avoir fait, pendant trois ans, du départ du président syrien Bachar Al-Assad l’alpha et l’oméga de l’action de la France en Syrie et au Proche-Orient, il l’a abandonné au profit de la lutte contre l’organisation Etat islamique (EI), érigée au rang de priorité absolue.

Ce virage était ardemment espéré par certains, de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par le PS et Les Républicains, que ce soit par nostalgie de l’ère des «hommes forts» mise à bas par les révolutions de 2011, par attachement à un régime prétendument laïque, par anti-américanisme ou au nom de la défense des minorités chrétiennes. De toute façon, il était déjà contenu dans la décision, lourde de conséquences, d’intervenir militairement en Syrie contre l’EI, depuis septembre 2015, un an après l’engagement français en Irak aux côtés des Etats-Unis.

Néoconservatisme à la française

L’inflexion annoncée lundi 16 novembre, qui se traduit par un rapprochement accéléré avec la Russie, ne change rien à une tendance de fond de la politique française au Proche-Orient: un interventionnisme militarisé toujours croissant, qui peut parfois confiner à un néoconservatisme à la française. Si François Hollande est celui qui est allé le plus loin en la matière en se lançant dans plusieurs conflits simultanés et en faisant sienne la rhétorique bushienne de la «guerre contre le terrorisme» dès 2013, il n’est pas l’inventeur de cette politique qu’il n’a fait que renforcer.

Paradoxalement, c’est Jacques Chirac – qui s’est longtemps présenté comme le dernier héritier de la traditionnelle «politique arabe» de la France tracée par le général de Gaulle – qui, le premier, a brisé le tabou. Non pas sur le dossier israélo-palestinien, sur lequel il s’est toujours démarqué de l’alignement américain sur Israël – parfois de manière spectaculaire comme lors de sa mémorable visite à Jérusalem en 1996 [durant laquelle il s’en prend à la police israélienne qui l’empêche d’échanger avec des Palestiniens] – mais sur la Syrie des Assad. Parrain déçu du jeune Bachar Al-Assad, arrivé au pouvoir en 2000, Jacques Chirac ne lui a pas pardonné d’avoir menacé puis assassiné Rafic Hariri, en 2005, l’ex-premier ministre sunnite du Liban, dont il était l’ami personnel, et l’obligé, ajoutent les mauvaises langues.

L’adoption, quelques mois auparavant, de la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’ONU enjoignant aux milices libanaises (entendez le Hezbollah) de désarmer et aux troupes étrangères (donc la Syrie) de quitter le pays du Cèdre, traditionnel terrain d’influence de la France dans la région, marquait un virage à 180° de la diplomatie française. Le but de ce texte, concocté en parfaite coopération avec les Etats-Unis, était de déstabiliser le régime syrien en le forçant à rapatrier les 30’000 soldats qu’il stationnait au Liban. En clair, Jacques Chirac se réconciliait avec les Etats-Unis de George W. Bush, un peu plus d’un an après le retentissant «non» de la France à l’invasion américaine de l’Irak, en ralliant le credo américain du «regime change» dans le monde arabe.

En 2011, un tabou saute

Depuis, la Syrie – un ancien protectorat français turbulent entre 1920 et 1946, faut-il le rappeler – n’a cessé d’empoisonner la diplomatie française. Pour se démarquer de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy invitait en 2008 Bachar Al-Assad au défilé du 14 juillet sur les Champs-Elysées.

Et pour faire oublier cette faute politique et morale, il était l’un des premiers à dénoncer la répression odieuse des manifestants syriens en 2011, dénonçant des «crimes contre l’humanité» et allant jusqu’à appeler au départ de Bachar.

Si Nicolas Sarkozy a pu se convertir avec une telle facilité à la politique du «regime change», c’est qu’elle venait de particulièrement lui réussir avec la Libye de Mouammar Kadhafi. Pour des raisons similaires (il suffit de se souvenir de la désastreuse visite du dictateur libyen à Paris en 2007 – [à qui des Rafales et autre armement devaient être vendus]), le président français avait été le plus ardent promoteur d’une intervention militaire pour empêcher un bain de sang après le soulèvement libyen.

Elle eut lieu, sous l’égide de l’OTAN, et la France y joua un rôle de premier plan, assumant pleinement que le mandat onusien de «protection des civils» se transforme en un changement de régime, avec lynchage à la clé de Mouammar Kadhafi par les rebelles libyens appuyés par les avions de l’Alliance atlantique en octobre 2011. Un nouveau tabou venait de sauter: la participation de la France à une opération militaire sous égide de l’OTAN dans un pays arabe.

Un engrenage sans fin

A leur arrivée au pouvoir en mai 2012, François Hollande et Laurent Fabius ont repris à leur compte la politique de Nicolas Sarkozy et de son dernier ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, sur la Syrie, ne cessant de durcir le ton contre Bachar Al-Assad et faisant le calcul silencieux que la chute du régime syrien, principal allié arabe de Téhéran, serait un coup dur porté à l’Iran, lancé dans une course à l’arme nucléaire pour garantir ses ambitions d’hégémonie régionale, notamment au Liban où le Hezbollah fait prévaloir ses intérêts.

L’occasion manquée du 31 août 2013, lorsque la France a été à quelques heures de bombarder Damas, pour «punir» le régime syrien d’avoir usé de l’arme chimique contre sa population, est devenue un motif majeur de différend avec l’administration Barack Obama, peu encline à intervenir dans une région devenue synonyme de cauchemar depuis le fiasco irakien.

Mais c’est hors du monde arabe qu’il faut aller chercher l’acte fondateur et le ressort majeur de la politique étrangère de M. Hollande, le plus belliciste des présidents de la Ve République. Dès le 12 janvier, aux premières heures de la guerre au Mali, le 12 janvier 2013, il plaçait l’intervention militaire française sous l’égide de la «guerre contre le terrorisme», un vocabulaire abandonné depuis bien longtemps aux Etats-Unis. La mise en place du dispositif Barkhane, couvrant cinq pays du Sahel, était le prolongement naturel de ce choix initial.

Peu après la conquête de Mossoul par l’EI, en juin 2014, la France était le premier pays à rejoindre la coalition américaine en septembre, une décennie après le refus français de s’engager en Irak. Un an plus tard, M. Hollande décidait d’étendre le champ d’action de l’aviation française à la Syrie, dans le but avoué de frapper les camps djihadistes préparant des attentats contre le territoire national. Ce ralliement à une politique d’assassinats ciblés, prisée par Barack Obama et qui est loin d’avoir fait ses preuves en Afghanistan, au Pakistan ou au Yémen, est lourd de menaces et engage la France dans un engrenage sans fin. (Article publié dans Le Monde en ligne en date du 18 novembre 2015)

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