Egypte. Une armée – relativement fragile – aux aguets.

A gauche Addel el-Fattah Al-Sissi, à droite le Président Morsi.
A gauche Addel el-Fattah Al-Sissi, à droite le Président Morsi.

Par May Atta

Le Parti Liberté et Justice (PLJ) des Frères musulmans, ainsi que le principal bloc de l’opposition, le Front National du Salut (FNS), ont tous deux exprimé leur satisfaction suite aux déclarations du ministre de la Défense Abdel-Fattah Al-Sissi sur la position de l’armée vis-à-vis des manifestations de masse prévues pour le 30 juin 2013.

Ce dernier a averti dimanche que l’armée interviendrait si des heurts éclataient dans le pays à l’occasion des rassemblements dans les jours à venir. «Les forces armées ont le devoir d’intervenir pour empêcher l’Egypte de plonger dans un tunnel sombre de conflit et de troubles», a déclaré le général Abdel-Fattah Al-Sissi, à la veille du premier anniversaire de l’élection du président Mohamad Morsi, dont les chefs de file de l’opposition réclament la démission. «Il est du devoir national et moral de l’armée d’intervenir (…) pour empêcher les violences confessionnelles ou l’effondrement des institutions de l’Etat», a ajouté le ministre lors d’une rencontre avec des militaires. «Ceux qui croient que nous ignorons les dangers qui attendent la nation égyptienne se trompent. Nous ne resterons pas silencieux face à la plongée du pays dans la violence», a-t-il insisté, d’un ton ferme.

Bien que le discours du ministre puisse être interprété comme un message de reproches adressé aux deux côtés, suggérant qu’il désapprouvait les espoirs de l’opposition de renverser le président légitime, mais aussi l’incapacité de celui-ci à convaincre ses opposants de coopérer; chacun des deux côtés a réussi à y trouver sa part.

Le président du PLJ Saad Al-Katatni a salué ces déclarations, lesquelles traduisent selon lui «le souci de l’armée de rester en dehors de la politique», tout en affirmant que son parti était toujours prêt à entamer des discussions avec l’opposition.

«Il s’agissait de rassurer le peuple égyptien, sans plus. Parce que les services de renseignements savent très bien, comme nous le savons aussi, la nature des complots ourdis par les forces antirévolutionnaires qui, dans leur rivalité politique malhonnête, cherchent à transformer le 30 juin en affrontements armés», estime Gamal Hechmat, dirigeant du même parti.

Officiellement, la présidence s’est contentée d’un communiqué affirmant que le président Morsi s’est entretenu avec son ministre de la Défense lundi. Le chef de l’Etat lui a donné des «directives pour mettre en place rapidement toutes les mesures nécessaires afin d’assurer la sécurité de toutes les structures vitales et stratégiques du pays en coordination avec le ministère de l’Intérieur», d’après le communiqué.

Pour sa part, l’opposition a exprimé, par la voix du FNS, sa profonde gratitude à l’armée et son soutien à la volonté du peuple. «Nous apprécions la loyauté de l’armée envers le peuple et son rejet des tentatives de le terroriser», lit-on dans sa déclaration. Toujours du côté de l’opposition, le Mouvement de la jeunesse du 6 avril a également publié une déclaration disant que les propos d’Al-Sissi montraient que l’armée soutenait la démocratie et les objectifs de la révolution. «L’armée et ses dirigeants actuels sont le bouclier protégeant le pays contre toute menace», a affirmé le mouvement. Tout en soulignant son refus de l’intervention de l’armée dans la vie politique, le mouvement s’est dit en faveur du «rôle national primaire» de cette institution comme garante de la sécurité.

Frustrés par l’impasse

En effet, ni les islamistes ni leurs opposants veulent un retour aux six décennies de pouvoir militaire auquel ils croient avoir mis un terme avec le renversement de Hosni Moubarak, il y a deux ans. La campagne Tamarrod [Rébellion qui a réuni plus 17 millions de signatures] avec des partis et mouvements politiques de l’opposition, a rejeté lors d’une conférence de presse samedi 22 juin 2013 toute perspective de prise du pouvoir par l’armée si le président Morsi est contraint à démissionner.

Pourtant, certains Egyptiens, frustrés par l’impasse, appellent l’armée à reprendre le rôle de gestion qu’il a assumé après la chute de Moubarak. Une possibilité plus forte que jamais, dans la mesure où dans son discours, le ministre de la Défense a semblé baisser le seuil des conditions requises pour une intervention de l’armée. Il y a quelques mois, celle-ci nécessitait «l’effondrement ou le quasi-effondrement de l’Etat».

Dimanche 23 juin, cependant, Al-Sissi a dit que la violence sectaire et l’effondrement des institutions étatiques sauraient également justifier une intervention.

Pour certains observateurs, ce changement d’attitude de l’armée trahit sa propre inquiétude. «Cela dit, si on passe en revue les positions de l’armée durant l’année écoulée: son inaction après le meurtre et le rapt de ses hommes dans le Sinaï [enlèvement de 7 soldats et policiers le jeudi 16 mai 2013], son attitude de spectateur alors que le président décide de rompre les relations diplomatiques avec la Syrie et d’aider l’opposition armée là-bas, et son silence face aux insultes qui lui ont été adressées par des responsables de la confrérie [des Frères musulmans], on se rendra compte que l’institution militaire est aujourd’hui trop fragile pour pouvoir faire face à un dérapage de la violence», analyse Ahmad Fawzi, secrétaire général du Parti égyptien démocrate social. (26 juin 2013, publié dans Al Ahram)

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