Par Antonis Ntavanellos
L’ensemble des dits radicaux de gauche – soit les élus de Syriza – ont voté, le 22 mai 2016, au parlement, un paquet de lois (quelque 7000 pages) à caractère thatchérien exigées par les créanciers. Dans la foulée est adoptée la mise en place d’un «mécanisme automatique de correction budgétaire», baptisé Koftis (pince coupante). Il a été introduit par le biais d’un amendement au projet de loi. Il sera déclenché chaque année jusqu’en 2018 si des écarts budgétaires sont constatés au printemps et que le ministère des Finances ne prend pas l’initiative de coupes ciblées. L’adoption de par 153 voix de ce «omnibus bill» répondait au timing imposé par l’Eurogroupe qui se réunissait le 24 mai (voir l’article publié sur ce site en date du 25 mai). Vasiliki Katrivanou – députée de Syriza depuis le 20 avril 2015 et membre de la commission des migrations – a démissionné du parlement après avoir voté en faveur de l’«omnibus bill» mais contre le fonds de privatisation et les mesures automatiques issues du FMI. La direction de Syriza exerce une pression énorme sur les députés pour qu’en cas d’opposition ils démissionnent et laissent la place à des viennent-ensuite. En l’occurrence, Giorgios Kyritsis a pris la place de Vasiliki Katrivanou. Il faut souligner que l’adoption du Koftis entérine le pouvoir supérieur d’instances transnationales imposant les décisions dites néolibérales, pouvoir supérieur au gouvernement national, au parlement et à toute institution qui pourraient, directement ou indirectement, être influencés par la volonté populaire.
Mais que s’est-il passé au parlement ces derniers jours ? Précisément ce qu’avait proclamé le FMI, par la voix de Poul Thomsen, et qui avait été révélé par Wikileaks [1]. Les créanciers, le FMI, mais aussi les instances de l’UE ont conduit Tsipras aux limites d’une nouvelle crise financière (échéance de paiements en juillet). Et, dès lors, Tsipras a signé docilement les mesures brutales qui lui ont été présentées.
Ce que le gouvernement a obtenu par cette procédure honteuse est l’achèvement accéléré de l’évaluation des divers engagements «adoptés» par le gouvernement grec, ce qui devait permettre le versement, par tranches, d’une somme de 5,4 milliards et de répondre ainsi aux échéances de juillet [l’essentiel des 5,4 milliards retourne à la BCE et sert à quelques dettes dues par le gouvernement à des entreprises privées]. C’est cela que Tsipras a présenté comme une «sortie de la tempête». Sauf que cette sortie sera suivie par la «tempête» suivante, soit la deuxième évaluation qui commencera en septembre-octobre 2016.
Pourtant, ce que Tsipras a cédé est d’une importance capitale pour la vie des salarié·e·s et des classes populaires: 1° Une réforme du système de la sécurité sociale que même le quotidien britannique The Guardian, qui se situe au centre-gauche, a jugée d’être la contre-réforme néolibérale de la sécurité sociale la plus brutale appliquée en Europe jusqu’aujourd’hui. 2° Un vrai «tsunami » des impôts, les plus socialement marqués parmi eux étant l’ENFIA [impôt immobilier touchant les petits propriétaires de logement] et la TVA «turbo», qui passe à 24% dès le 1er juin; cela revient à un pillage fiscal des revenus des travailleurs et l’épargne populaire. 3° Un programme des privatisations tellement ample – qui est intégré au système Koftis dans la mesure où ses résultats font partie du calcul de l’excédent budgétaire – qu’il ferait rougir même Thatcher.
La dette
La feuille de vigne qui sert à cacher cette déroute est dessinée par les promesses concernant la dette. En ce moment, nous n’avons pas connaissance du compromis exact entre le FMI et l’Eurogroupe. Pourtant, le sens général de leur discussion est bien connu: ils refusent toute éventualité de suppression de la dette et ils organisent simplement la prolongation des délais de remboursement, un allégement des taux d’intérêt et peut-être une petite période de grâce. Il s’agit de l’organisation de la «traite» qui permet simplement la survie de la «vache». Les créanciers veulent prendre plus que possible et rien de moins. C’est pour cette raison que ces règlements de la dette ne vont pas fonctionner en faveur du gouvernement, qui va vite prendre conscience que cette solution –qu’il a réclamée lui-même – n’est qu’un saut dans le vide…
L’accord prévoit un «surplus» [excédent budgétaire avant paiement du service de la dette] de 0,5% pour 2016, 1,75% pour 2017 et enfin 3,5% pour la décennie dès 2018 jusqu’à… 2028. Il s’agit ici de performances qu’aucune économie au monde ne peut pas atteindre, au moins dans les conditions actuelles. Encore une fois, les «sommités» dans le domaine de l’économie qui entourent Alexis Tsipras jouent aux dés et misent le futur des travailleurs et des classes populaires sur l’estimation que le capitalisme transnational va rapidement sortir de la crise et qu’une période de forte «croissance» va suivre. Sauf que tous les économistes sérieux prévoient le prolongement de la crise et plus probablement son aggravation. Dans ce cas, ce qui va suivre en Grèce ne sera pas un nouveau «cycle de prospérité» du capitalisme, mais l’enfermement dans ce qui a été qualifié de «permafaillite».
Alors, le Koftis sera activé. Interviendront des mesures additionnelles d’austérité draconienne, des réductions automatiques des retraites et des salaires, des compressions des dépenses sociales, qui ont en fait été votées au parlement le dimanche 22 mai.
Ces perspectives noires, économiques et sociales, vont nécessairement avoir des conséquences politiques majeures. Personne n’a le droit de se faire des illusions: la crise économique se trouve encore devant nous et pas derrière nous.
Perspectives politiques
Le lendemain du vote au parlement, Dimitrios Papadimoulis, eurodéputé de Syriza, a déclaré que le remaniement ministériel était désormais une nécessité. En effet, le remaniement sera un premier petit pas sur le long chemin conduisant à un changement d’ampleur de la configuration gouvernementale. Un chemin qui est devenu nécessaire (et inévitable) à cause du contenu véritable de la politique sanctionnée par les députés de Syriza-ANEL (Grecs indépendants).
Mais dans quelle direction conduit ce chemin? Pour répondre à cette question il ne faudrait pas sous-estimer la participation d’Alexis Tsipras au congrès de la social-démocratie européenne. Après l’adoption du nouveau super-mémorandum, la direction de Syriza n’a que deux options stratégiques. 1° Attendre sa propre chute en tant comme un «fruit mûr» et transmettre le pouvoir gouvernemental, sans autres complications, au chef – n’importe lequel – de la Nouvelle Démocratie. 2° Reconnaître que la solution politique du 20 septembre 2015 [2e gouvernement Syriza] est désormais morte et opérer une tentative de «remaniement» des forces politiques actuelles en faisant le pari que la direction de Syriza pourrait se reproduire en tant que leader d’un «camp» élargi comprenant le PASOK, le centre et, pourquoi pas, une fraction de la Nouvelle Démocratie…
Ces préoccupations traversent également la Nouvelle Démocratie. Ainsi, l’intervention d’ex-premier ministre Antonis Samaras a indiqué à Kyriakos Mitsotakis – actuel leader de Nouvelle Démocratie – de voter contre le Koftis en faisant usage d’une rhétorique à tonalité de souveraineté nationale! Ensuite, les «karamanlistes» [les partisans de Kostas Karamanlis, autre aile de la Nouvelle Démocratie], même s’ils ont appliqué la ligne de la ND de s’opposer à l’ensemble des mesures, ont exprimé leur mécontentement face au choix de Mitsotakis. Les différences au sein de la ND étaient ouvertes et publiques, y compris exprimées à la télévision par la soeur de Kyriakos Mitsotakis, Dora Bakoyannis. Kyriakos Mitsotakis, élu leader de la ND, et présenté comme un dirigeant de stature historique, ressemble aujourd’hui de plus en plus à une comète de la politique.
En ce moment, le problème crucial est que nombreux sont les activistes et les membres de la gauche qui ont perdu courage. La capitulation sans conditions de Tsipras face au Capital et face aux créanciers a suscité du désespoir. Mais nous devrions tous garder en tête une vue d’ensemble de la situation: la rupture entre les mémorandistes et les anti-mémorandistes est toujours là. Elle a déjà impacté beaucoup de monde et elle va encore le faire. La crise économique et politique, avec des épisodes nouveaux et cruciaux, ainsi que des «phases» qui s’ensuivront, se trouve devant nous et pas derrière nous. Du point de vue des salariés et des classes populaires, face à une situation tellement grave, il n’y a qu’une seule façon de réagir: soutenir systématiquement et organiser les luttes, et engager un effort politique afin de réunir pratiquement les forces de la gauche radicale, anti-mémorandiste et anticapitaliste. (26 mai 2016, traduction S. Siamandouras; édition rédaction A l’Encontre)
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[1] Le 19 mars, une conférence téléphonique s’était tenue entre Poul Thomsen, directeur Europe du FMI, Dalia Velculescu, cheffe de la mission du FMI en Grèce, et la fonctionnaire du FMI Iva Petrova. Cette conversation révélait simplement que, pour s’assurer l’accord dans les temps voulus du gouvernement grec, un «incident de crédit» (retard de remboursement à une échéance donnée) pourrait être le bienvenu. (Réd. A l’Encontre)
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