Par Len Glover
Il pourrait en résulter les piquets de grève les plus immédiatement identifiables de toute l’histoire des conflits syndicaux. Vendredi 14 juillet, la Screen Actors Guild-American Federation of Television and Radio Artists (SAG-AFTRA) a annoncé sa décision de rejoindre la Writers Guild of America (WGA) dans sa grève contre l’Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMPTP), qui regroupe des grands noms comme Disney, Apple, Amazon, NBC Universal et Paramount.
Les scénaristes sont en grève depuis le début du mois de mai et leurs revendications rejoignent celles de la SAG-AFTRA: augmentation du salaire de base et des revenus résiduels [revenus perçus par les scénaristes à chaque diffusion d’une série], amélioration des conditions de travail et, pour les acteurs et actrices, certaines protections concernant l’utilisation de l’intelligence artificielle.
La Writers’ Guild compte environ 20 000 membres, la SAG-AFTRA 160 000, et à elles deux, elles peuvent bloquer l’ensemble de l’industrie du cinéma et de la télévision aux Etats-Unis et dans d’autres parties du monde. D’ores et déjà, certains événements clés de l’industrie du divertissement ont été interrompus ou fortement réduits. Le 15 juillet, la première de Haunted Mansion de Disney [Le manoir hanté, film qui est une adaptation de l’attraction «The Haunted Mansion» qui a été présentée dans divers parcs Disney] s’est déroulée comme prévu, mais sans qu’aucune des stars – Danny DeVito, Jamie Lee Curtis, Winona Ryder – ne vienne fouler le tapis rouge, ce qui s’oppose à l’idée d’une première, élément essentiel de la stratégie de marketing des firmes.
L’action de la SAG-AFRA est soutenue par le syndicat Teamsters, dont les membres effectuent une grande partie du travail de soutien dans les studios de cinéma et de télévision et sont particulièrement importants lorsque les films sont tournés sur place, où le transport, la restauration et d’autres installations sont essentiels. [Voir sur la mobilisation des Teamsters l’article publié sur ce site le 18 juillet.]
Les grèves dans l’industrie cinématographique et télévisuelle états-unienne ne sont pas sans précédent, mais la dernière grève de la Writers’ Guild remonte à 1960. En 1941, les animateurs du studio Disney ont mené une grève célèbre après le licenciement de 17 salariés pour activité syndicale, parmi lesquels le brillant scénariste Art Babbitt (créateur de Blanche-Neige, Fantasia, Dumbo et bien d’autres).
Au cours de la période 1947-1952, le président de la SAG (telle qu’elle s’appelait alors), Ronald Reagan (il était démocrate à l’époque), a été confronté à l’évolution de la situation dans l’industrie en raison de l’influence croissante de la télévision. Il est revenu à la présidence du SAG en 1959, à l’occasion d’une grève de cinq semaines sur les droits résiduels.
Aujourd’hui, les membres du syndicat s’affrontent à un nouveau défi, celui de l’utilisation de l’IA, qui peut même «ressusciter» des acteurs décédés. La question des «droits résiduels» est également potentiellement très importante. En effet, si les scénaristes sont rémunérés sur une production qui est ensuite diffusée en continu, ils reçoivent un certain montant et s’il s’agit, par exemple, d’une série comique de longue durée comme Friends, il y a alors un revenu garanti pour une longue période de temps.
L’AMPT souhaiterait mettre fin à cette pratique ou la réduire considérablement.
Bob Iger, le PDG de Disney, a dénoncé les revendications des grévistes comme étant «irréalistes», sans mentionner, bien sûr, s’il pensait que son salaire de 27 millions de dollars pour 2023 était également irréaliste. Fran Drescher, présidente de SAG-AFTRA, a dénoncé ses propos comme étant «détestables».
Contrairement à ce que l’on croit souvent, de nombreux salarié·e·s de l’industrie du cinéma et de la télévision ne sont pas bien payés et le travail peut parfois être précaire, par exemple lorsqu’une série est annulée (souvent au pied levé) parce qu’elle n’a pas atteint un certain taux d’audience, ce qui est arrivé à l’excellente série télévisée Boardwalk Empire [chronique du développement dans les années 1920 de l’émergence des casinos durant la période de Prohibition (1920-1933), ce qui a été un des facteurs de développement de la pègre].
La SAG-AFTRA est née de la fusion de la Screen Actors Guild et de l’American Federation of Television and Radio Artists en mars 2012. (Article publié sur le site Workers Liberty, le 18 juillet 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
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«Les patrons d’Hollywood tentent d’effrayer les grévistes pour les faire plier. Ils ne gagneront pas»
Par Josh Gondelman
J’ai écrit pour la première fois pour The Nation sur la grève de la Writers Guild of America (WGA) le 4 mai, au troisième jour de notre débrayage. Cette semaine, nous avons franchi le cap des 75 jours de grève, une étape qui souligne notre engagement dans cette lutte. Nous avons également gagné un nouvel allié crucial: les membres de la SAG-AFTRA, qui ont décidé de nous rejoindre sur les piquets de grève après s’être heurtés à la même intransigeance que nous de la part des studios hollywoodiens.
La grève de la SAG-AFTRA constitue une expansion significative de l’ampleur et de l’élan de notre lutte. Mais sur quelques points essentiels, la situation est la même qu’il y a deux mois et demi. Nos membres ont continué à se présenter jour après jour sur les piquets de grève. Notre détermination à obtenir un contrat équitable, qui rémunère équitablement les scénaristes pour les bénéfices qu’ils procurent et qui leur permet d’assurer des carrières durables et de subvenir aux besoins de leurs familles (quelle que soit la définition que nous leur donnons), n’a pas faibli.
Ce niveau de détermination est le genre de constance que l’on souhaite voir. Mais les patrons d’Hollywood, de l’autre côté de la table de négociation, ont été tout aussi constants dans leur refus de négocier avec nous au cours des 75 derniers jours. Ils intensifient également leur campagne de provocation afin de nous intimider et de nous faire plier.
La semaine dernière, Deadline [organe d’information sur le monde hollywoodien] a rapporté que les studios avaient l’intention de maintenir leur refus de négocier jusqu’à la fin de l’été. Il n’y a pas vraiment de raison de croire les sources anonymes qui ont parlé à Deadline, puisqu’elles ont clairement pour objectif d’effrayer la WGA pour qu’elle accepte un mauvais accord. Cependant, je tiens à inclure une citation de l’article pour montrer le genre d’éléments que certains représentants des studios se laissent aller à lancer. «L’objectif est de laisser les choses s’éterniser jusqu’à ce que les membres du syndicat commencent à perdre leurs appartements et leurs maisons», a déclaré un responsable du studio à Deadline. Reconnaissant la dureté de l’approche, plusieurs autres sources ont réitéré ce type de déclaration. Un initié l’a qualifiée de «méthode malfaisante mais nécessaire».
Laissons de côté la véracité douteuse de l’affirmation selon laquelle ces entreprises, qui ont elles-mêmes besoin de gagner de l’argent, sont enthousiastes à l’idée d’une nouvelle impasse de trois mois. Qu’ils soient exacts ou non, ces commentaires sont tout à fait déplorables. Comme je l’ai écrit précédemment, nous avons présenté une série de propositions qui, si elles étaient adoptées, laisseraient aux studios environ 98% de leurs bénéfices d’exploitation actuels. Plutôt que de céder, ils ont répondu qu’il était «nécessaire» que nos membres perdent leurs maisons – probablement pour que nous cessions de nous comporter comme des travailleurs ayant des droits et que nous commencions à nous comporter comme les serfs du Moyen Age qu’ils croient manifestement que nous sommes.
Une déclaration de l’Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMPTP), qui représente les studios dans ces négociations, a désavoué ces commentaires faits à Deadline, affirmant que les studios sont «déterminés à parvenir à un accord», ce qui sonne creux, compte tenu du fait que s’ils voulaient nous offrir un contrat avec des conditions raisonnables, ils sauraient comment nous trouver. Nous sommes littéralement devant leurs bureaux tous les jours de la semaine, tournant en rond et changeant périodiquement de direction pour le bien de nos genoux et de nos hanches.
Bien qu’il n’y ait pas encore eu de progrès à la table des négociations, de nombreux aspects de la grève ont changé depuis le mois de mai. Grâce à la solidarité des équipes de l’IATSE (International Alliance of Theatrical Stage Employees) et des Teamsters qui ont respecté les piquets de grève de la WGA, souvent au prix de grands sacrifices personnels, de nombreux films et émissions de télévision ont suspendu leur production. L’Entertainment Community Fund a distribué plus de 1,1 million de dollars jusqu’à la fin du mois de juin pour soutenir les travailleurs et travailleuses touchés par les arrêts de travail. La Directors Guild of America (syndicat des réalisateurs de cinéma et de télévision) a ratifié un nouveau contrat. The Television Academy a annoncé les nominations aux Emmy Awards [récompense pour les meilleures émissions et les meilleurs professionnels de la TV] de cette année, et personne n’a vraiment su comment fêter l’événement. Et maintenant, la SAG-AFTRA a décidé de saisir la balle au bond en lançant sa propre grève le 14 juillet.
Les gens ont qualifié ces deux grèves simultanées d’«historiques», et le consensus sur cette caractérisation sonne ici correct. La dernière grève simultanée de la WGA et de la SAG remonte à 1960, et le contrat qui s’en est suivi a considérablement élargi le système de paiement résiduel qui a permis aux scénaristes et aux acteurs et actrices de bénéficier du succès de leur travail pendant les 60 années suivantes. Ce n’est pas une coïncidence si les droits résiduels sont à nouveau en jeu lors de cette double grève. Comme l’a écrit Ben Schwartz dans The Nation la semaine dernière, l’AMPTP tente de revenir en arrière, en refusant une fois de plus de remettre une part équitable des bénéfices que les studios tirent de notre travail (je dis «notre» sans problème parce que je suis également membre de la SAG-AFTRA). Mais cela ne s’arrête pas là. L’AMPTP a également mis en question notre identité. Selon la SAG-AFTRA, le contrat proposé par les studios contenait une disposition en vertu de laquelle un acteur de second plan pouvait être payé pour une seule journée de travail et voir son image manipulée par l’IA et utilisée à perpétuité sans aucune compensation supplémentaire. Cela ne semble pas être le genre de proposition faite par une organisation qui s’est engagée à parvenir à un accord.
Le PDG de Disney, Bob Iger, a accusé les grévistes de ne pas être «réalistes» dans leur position, ce qui est un peu fort, au sens propre comme au sens figuré, de la part d’un homme dont la fortune nette s’élève à plusieurs centaines de millions de dollars et dont l’entreprise emploie un secteur rempli d’«Imagénieurs» chargés d’imaginer (à partir de l’IA) l’improbable et de le faire exister. Peut-être que Bob Iger pourrait demander à quelqu’un du département «Imagineering» du campus de Disney d’imaginer un paradigme de rémunération plus juste que ne le permet sa propre capacité de créativité. Petite remarque: ce système a existé sous la forme de diffusion télévisuelle et de sorties de films en salle jusqu’à ce que les studios se tournent vers le streaming dans le but de s’approprier une part encore plus importante des bénéfices de l’industrie du divertissement. Nous sommes donc revenus au point où nous en étions il y a 60 ans. Plus les choses changent, plus elles restent les mêmes.
Ainsi, alors que la grève de la WGA se poursuit, notre position reste inébranlable. Nous n’accepterons pas moins que ce que nous méritons, pas moins que ce que nous avons gagné. Nous accueillons nos frères et sœurs de SAG-AFTRA sur les piquets de grève en plus grand nombre, maintenant que ce combat est pour leur propre avenir aussi bien que pour le nôtre. Ensemble, nous serons encore plus forts que si nous étions seuls. Nous ne nous laisserons pas abattre, quel que soit le nombre de menaces proférées par les dirigeants des studios sous le couvert de l’anonymat (commentaires faits à Deadline, puis démentis). Nous avons organisé un piquet de grève pendant deux mois et nos rangs ne font que s’étoffer à mesure que les studios nous menacent et s’agitent. Parfois, je pense que plus les choses restent inchangées, plus elles peuvent finir par changer. (Article publié dans l’hebdomadaire The Nation, le 18 juillet 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
Josh Gondelman est un humoriste et un scénariste de télévision récompensé par un Emmy Award. Vous pouvez le voir en tournée dans tout le pays et sur les piquets de grève à New York.
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