Une grève «européenne» chez Ryanair les 25 et 26 juillet 2018

Grève de pilotes en Irlande

Entretien avec Bruno Frère

Les 25 et 26 juillet, plus de 600 vols de la compagnie aérienne low cost, basée en Irlande, Ryanair, sont annulés suite à des grèves (de ces deux jours) du «personnel de cabine» dans trois pays, au moins: Belgique, Espagne et Portugal. Ceux et celles d’Italie devaient y participer le 25 juillet, un préavis avait été déposé. Mais Ryanair a désamorcé le mouvement en ouvrant une négociation et en opposant un syndicat à l’autre.

Dans une lettre aux passagers, publiée le 13 juillet dans L’Echo, la Centrale nationale des employés (CNE-Belgique) écrivait ces lignes: «Nous sommes là pour assurer votre sécurité et votre confort. C’est pourquoi nous avons choisi ce travail. Nous sommes là pour faire en sorte que vous puissiez profiter pleinement de vos vacances. Mais notre employeur n’a aucun respect pour nous… Les conditions imposées plongent beaucoup d’entre nous dans une grande précarité. Notre salaire et nos horaires ne nous permettent pas de vivre correctement.»

Suite à diverses mobilisations, Ryanair – qui est la plus grande compagnie européenne – a été contrainte de passer un accord pour le personnel de cabine représenté par Ver-di. Ryanair a dû faire face à des grèves de pilotes même en Irlande. De fait c’est un combat à l’échelle européenne. En effet, la riposte de Ryanair, face à chaque mouvement, s’organise autour du transfert de salarié·e·s d’un pays à un autre. Et très souvent, Ryanair utilise des «travailleurs détachés» qui ne sont pas soumis à la législation du pays. Par exemple à Charleroi et Bruxelles, en Belgique, il n’y a quasiment pas de Belges dans le «personnel de cabine». En outre, l’hétérogénéité des statuts et le fait que les employé·e·s sont «toujours en route», avec des horaires du type «just in time» rendent la syndicalisation difficile.

Donc ces 25 et 26 juillet, il s’agira d’une grève européenne contre un employeur européen qui invoque une baisse de son bénéfice net lors des trois mois – avril-mai-juin –, car de seulement 309,2 millions d’euros. Au premier trimestre 2018, Ryanair a transporté 37,6 millions de passagers. Cela n’a pas seulement un coût environnemental, mais social. Le cercle pervers de la stagnation généralisée des salaires (pour une majorité) et du low cost se vérifie dans les transports comme dans la nourriture low cost, avec ses effets sanitaires. Nous publions ci-dessous un entretien – conduit par Corentin di Prima dans Le Soir – avec Bruno Frère, sociologue spécialiste des mouvements sociaux et de la critique sociale (ULiège). Pour B. Frère, Ryanair est le symbole de ces entreprises qui tentent de miner le droit du travail par tous les moyens. (Réd. A l’Encontre) 

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Le conflit social en cours chez Ryanair vous paraît-il emblématique de nouveaux mouvements sociaux qui se dessinent?

Depuis les années 1980 et encore plus depuis l’an 2000, on assiste à un emballement, à une re-dérégulation du travail et du capitalisme. A la tête de ce mouvement, se trouvent les nouvelles sociétés des technologies de l’information, mais également Ryanair, qui essaye de faire dans le secteur de l’aviation la même chose que ce qu’Uber essaye de faire dans le secteur des services automobiles: casser complètement le modèle de contrôle social du capitalisme qui a mis un siècle à s’instaurer. Ainsi, on assiste à une grande diversification des statuts professionnels. Chez Ryanair, des tas d’hôtesses de l’air, de stewards ou de bagagistes sont recrutés sous des statuts différents.

Dans quel but?

Pour qu’aucune identité au sein du travail ne puisse se construire et donc revendiquer une protection. Un stagiaire ou un intérimaire n’ont rien en commun à défendre avec un employé en CDI. N’ayant plus d’intérêts à défendre en commun, les individus n’ont plus aucun sens du collectif. Ce que font des entreprises comme Ryanair, c’est miner le droit du travail tel qu’il s’est construit pendant un siècle. Ils profitent de toutes les failles pour autoriser la rémunération maximale du capital.

Dans ce contexte, qu’un mouvement de grève transnational s’organise dans une entreprise comme Ryanair, c’est d’autant plus fort?

C’est évidemment positif que Ryanair trouve un frein à son développement et que quelque chose comme du collectif se recrée. C’est intéressant: tout d’un coup, des catégories de personnel extrêmement différentes se rappellent quand même qu’elles sont toutes en train de déguster, quel que soit leur statut. Le modèle Ryanair est tellement violent qu’à un moment donné les gens retrouvent du commun. Mais de tels mouvements sont très difficiles à coordonner. Les syndicats ont face à eux des travailleurs qui ne se reconnaissent plus guère d’identité commune.

Les mouvements sociaux du XIXe siècle ont également émergé parce que les conditions de travail étaient détestables.

On assiste à une seconde crise de la modernité, après celle du milieu du XIXe siècle. Et Ryanair en est le symbole. Tous les instruments de régulation et de protection sont en train d’être agressés de manière ultra-violente. La grande question est de savoir ce qui va parvenir à faire pression sur les organisations politiques pour que cette seconde modernité se réorganise. Les classes sociales existent toujours, mais au sein des classes dominées, les identités ont explosé. Ce qu’on nomme aujourd’hui le « précariat » peut-il faire office de nouvelle classe sociale pour contraindre la modernité à solutionner cette seconde crise? C’est la grande question. L’Europe a énormément de mal à trouver son modèle démocratique. De manière générale, je ne suis pas du tout optimiste. On voit certes apparaître en Europe un mouvement de résistance face à cette libéralisation complète des marchés. Le problème, c’est qu’il est coloré de manière un peu brunâtre…

Ryanair joue sur les différentes législations européennes. L’Union européenne est justement la grande absente dans ce dossier.

Un dossier comme celui-ci montre bien où le problème européen se pose. L’Union européenne s’est construite sur une libéralisation complète des marchés. Mais elle n’a jamais accompagné cette unification marchande d’un véritable programme politique visant à harmoniser les systèmes fiscaux et les droits du travail. Résultat: les sociétés qui se sentent contraintes par le droit du travail dans un pays vont chercher ailleurs, par exemple en Irlande. Ryanair est un peu la tête de proue pour les grosses entreprises contemporaines. On tend vers ça. Partout en Europe, des entreprises cherchent à installer leur siège social là où c’est le moins coûteux et où on leur offre la possibilité de recruter du personnel le moins cher possible. Ce personnel se retrouve soumis aux lois du travail du pays qui héberge la société et, dans le cas de l’Irlande, c’est pour le travailleur belge absolument catastrophique. (Entretien conduit par Corentin di Prima, publié dans le quotidien Le Soir en date du 24 juillet 2018)

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«Un important succès pour ce premier jour de grève»

Le premier des deux jours de grève – soit le 25 juillet – chez Ryanair est un succès important, selon le syndicat chrétien qui avait lancé un appel à la grève. Sur 11 appareils qui devaient quitter Brussels Airport avec un équipage belge, seul un avion est parti de Bruxelles.

«Nous pouvons parler d’un véritable succès», explique le secrétaire LBC-NVK Hans Elsen. «C’est un jour de grève historique, des dizaines de travailleurs ont fait grève. Des meilleures conditions de travail, c’est le message envoyé à la direction. D’autres actions suivront.»

En ce qui concerne l’aéroport de Charleroi, 28 vols ont été annulés au départ et 28 vols à l’arrivée, donc un total de 56 vols Ryanair. «50% des vols Ryanair à Charleroi sont annulés.» (Réd. A l’Encontre)

 

 

 

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