Par Laetitia Saavedra
(France Culture, 9 juin 2017)
L’évaluation des salarié·e·s s’est installée comme naturelle dans ce qui – selon un terme fonctionnel – est qualifié de «la vie des entreprises». Les procédés et méthodes d’évaluation, dans de nombreux pays, ne sont pas du tout encadrés par une législation du travail. IBM depuis le début des années 1990 a mis en place un système d’évaluation nommé: Personal Business Commitment. Son centre de gravité: évaluer l’engagement de performance du salarié. Son résultat pouvait influencer une part variable du salaire ou conduire au licenciement pour ce qui est caractérisé comme «insuffisance professionnelle».
Plus les années passent, plus les pratiques d’évaluation deviennent un outil des «gestions des ressources humaines», autrement dit de «régulation» du volume de l’emploi. Le rapport entre l’échelle des évaluations – des notes de 1 à 4 – et un pourcentage des salarié·e·s devient un outil de «planification» du volume de l’emploi. Et les directions utilisent des définitions biaisées qui vont de la performance à la compétence, en passant par «l’adhésion aux valeurs de l’entreprise», comme ce fut les cas chez Airbus (Toulouse) ou Hewlett Packard (Grenoble).
En 2002, en France, la Cour de Cassation a précisé dans un arrêt du 10 juillet 2002: «Sous réserve de ne pas mettre en œuvre un dispositif d’évaluation qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés, l’employeur tient de son pouvoir de direction, né du contrat de travail, le droit d’évaluer le travail de ses salariés.» Le dispositif, en termes généraux, peut être porté à la connaissance des salarié·e·s. Encore faut-il qu’ils/elles osent l’interroger et le mettre en cause, lorsque le «comportement» est un critère reconnu, de manière implicite ou explicite, par tous et toutes. De plus, au-delà des règles générales d’un système d’évaluation, l’éventail des notations peut être établi en relation avec des quotas d’emplois à réduire. C’est ce que l’exemple de Sanofi illustre. Cette étude publiée par France Culture possède un intérêt pour l’ensemble des syndicalistes des secteurs public et privé, pour le moins en Europe. (Rédaction A l’Encontre)
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Des salariés de Sanofi seraient sous-évalués pour atteindre des quotas de mauvais collaborateurs fixés par la hiérarchie du géant pharmaceutique français. Laetitia Saavedra a enquêté pendant plusieurs mois.
Aux Etats-Unis, où la pratique a été inventée, on appelle ça du «forced ranking», «ranking forcé» ou encore «sous-notation forcée». Il s’agit d’une méthode d’évaluation qui classe les salariés dans différentes catégories. Rien d’illégal jusque-là. C’est quand cette méthode s’appuie sur des quotas prédéfinis qu’elle est illicite: 20% des salariés doivent dépasser les objectifs, 70% les atteindre, et 10% doivent être dans la catégorie de ceux qui ne les atteignent pas. Charge aux managers d’atteindre ces quotas, quitte à mal noter des collaborateurs performants pour respecter le quota de salariés non-performants.
Au cours d’une enquête de plusieurs mois, nous avons découvert que cette pratique serait en place chez Sanofi Aventis Groupe, un des leaders du CAC 40. Une pratique pourtant condamnée en France par un arrêt de la cour de cassation en mars 2013.
Notre enquête repose sur les témoignages anonymes de nombreux cadres supérieurs de Sanofi. Ces cadres sont très attachés à leur entreprise, ne sont pas syndiqués et n’ont pas l’habitude de contester les consignes de leur hiérarchie. Après avoir longtemps hésité, ils ont décidé de parler sous le sceau de l’anonymat pour dénoncer une pratique qu’ils estiment injuste.
«On a dû sous-évaluer des collaborateurs qui ne le méritaient pas»
Tout commence en novembre 2015. Benoît (*), cadre supérieur très «corporate», reçoit, via son manager, une demande de quotas formulée par la direction:
«Dans un mail, Erik Verrijssen, le directeur de l’informatique Monde de Sanofi demande à ses collaborateurs directs d’identifier 10% de salariés non-performants. Mon manager me dit: «Benoît, il faut limiter les salariés très bien notés à entre 15 et 20% et atteindre le chiffre de 10% de salariés médiocres». J’ai toujours répondu aux objectifs de mon patron. Alors, je demande aux managers de mon équipe de placer 10% de leurs collaborateurs dans la catégorie des salariés peu performants.»
Benoît comprend qu’il n’a pas le choix. Il doit coûte que coûte identifier le nombre de collaborateurs demandé:
«Nous les managers, on a dû identifier une dizaine de salariés. Mais pour ça, clairement, on a sous-évalué des collaborateurs qui ne le méritaient pas, et qui auraient mérité d’être dans la catégorie des collaborateurs à niveau. Il a fallu trouver des prétextes idiots et tendancieux, par exemple sur «leur résistance au changement», sur leur «manque d’adhésion aux valeurs de l’entreprise». On a été trouver la petite citation négative de certains collègues sur eux, du genre: untel m’a dit qu’il avait mal répondu lors d’une réunion.»
«On vise à constituer des équipes performantes»
Un autre manager, Alexandre (*) confirme avoir reçu la même consigne:
«L’an dernier (fin 2015) il y avait eu une première tentative. Un premier message lié à l’arrivée du CIO Erik Verrijssen. Il fallait atteindre les mêmes 10% de mauvais éléments. Il m’avait été dit verbalement par mon manager de l’époque que je devais travailler sur ces évaluations, avec cette «calibration». La raison, c’était: on a un changement de management, un changement d’état d’esprit, on vise à constituer des équipes performantes. Donc le message, on a une idée précise de la cible à atteindre. Mais ça n’a pas été mis en pratique parce que la RH s’y est opposée.»
«C’est un loupé. Il n’y a pas de “ranking forcé” à Sanofi»
Rapidement, les consignes de quotas de mauvais éléments fuitent chez Sanofi. Force Ouvrière interpelle la Direction de Sanofi Aventis Groupe en comité d’établissement le 25 novembre 2015. Embarrassée, la Direction confirme l’existence du mail mais affirme qu’il s’agit de l’initiative d’un directeur trop zélé et dit mettre fin au processus. Extrait du procès-verbal du CE:
«Effectivement, ce mail demandait d’appliquer un ranking forcé. C’est clairement un loupé qui a été immédiatement corrigé par la direction des ressources humaines. Il n’y a pas de ranking forcé à Sanofi. Nous veillons à ce que la plus grande partie de nos cadres qui touchent des bonus soit dans la catégorie des salariés à niveau, qu’il y en ait un peu parmi les excellents, et un peu parmi les médiocres mais ces recommandations ne sont pas chiffrées.»
«Si on n’est pas dans les clous, la RH nous demandera des justifications»
Officiellement, fin 2015 la direction de Sanofi met donc fin à la demande de quotas de mauvais salariés. Pourtant, selon plusieurs cadres, le processus continue:
«On continuait à être challengés par les RH pour sous-noter. Ça a été fait de façon aléatoire par certains managers mais ce n’était plus érigé en règle», affirme l’un d’eux.
L’année suivante, rebelote. Le système serait remis au goût du jour l’année suivante, fin 2016-début 2017, avec le soutien actif de la direction des ressources humaines, selon Alexandre (*):
«En janvier 2017, on a eu notre première réunion de calibration (ndlr: réunion de révision des évaluations initiales) en présence d’une personne de la direction des ressources humaines. Cette personne nous dit que dans une équipe d’une taille conséquente, ce qui paraît normal, c’est que les salariés non performants soient entre 5 et 10% des effectifs. Et que si on n’est pas dans ces clous-là, il faut qu’on se demande comment ça se fait. La RH et nos supérieurs nous demanderont des justifications si on n’est pas dans ces fourchettes».
Un guide de la RH précise 10% d’éléments non-performants
Lors cette réunion de révision des notes, les cadres s’appuient sur un guide rédigé à leur intention par la direction des ressources humaines en décembre 2016. Il y est précisé – en lettres capitales – que Sanofi ne pratique pas de quotas forcés, que le seul quota à atteindre concerne 20% de salariés excellents (en page 2 du document de Sanofi). Le guide précise aussi «qu’il n’y a pas de consignes strictes pour la catégorie des éléments non-performants». Pourtant, quelques lignes plus bas, il est bien mentionné que 10% de salariés non-performants est un chiffre acceptable (voir ci-contre, p. 3 du document de Sanofi).
«C’est 15% mais on ne peut pas l’écrire»
En réalité, certaines directions auraient fixé un objectif encore plus élevé. Mais cette fois, les consignes auraient été données oralement et pas par écrit, pour éviter les fuites. Benoît (*) poursuit:
«En novembre 2016: on reçoit une demande de notre supérieur qui nous fixe un nouvel objectif. Erik Verrijssen (le directeur de l’informatique Monde de Sanofi) ne veut plus 10% mais 15% de mauvais éléments. Les 15% n’apparaissent pas négociables. Vu ce qui s’est passé l’année d’avant, mon supérieur me dit: «c’est 15% mais on ne peut pas l’écrire». Nous, on rame pour y arriver aux 15%. Ça vient en plus des plans sociaux aux US et en France. Beaucoup trop de salariés sont partis. On a déjà déplumé beaucoup d’équipes. On a la grosse pression.»
Certains managers négocient de passer de 15 à 7% de quotas de mauvais salariés
En ce début d’année 2017, certains managers ont du mal à atteindre l’objectif de 15% de mauvais éléments. Ils demandent donc à la direction de baisser ce quota, ce qu’elle accepte. Ce sera 7% de salariés mal notés. Ce quota figure dans un tableau confidentiel de la direction que nous nous sommes procuré:
38,5% des collaborateurs rétrogradés
Cette consigne semble avoir été appliquée lors d’une réunion de révision des notations (dite de «calibration») qui s’est tenue en janvier 2017, en présence d’un manager chargé du suivi de l’application des quotas. C’est ce que montre un tableau rédigé par ce cadre (voir document ci-dessous). On y voit les notations des collaborateurs avant et après leur révision. Sur 13 salariés, 5 (38,5%) ont été déclassés, c’est-à-dire rétrogradés dans la catégorie des mauvais.
«N’hésitez pas à taper dans les récalcitrants au changement»
Pour Benoit (*) à qui nous avons montré le document, cela n’a rien d’étonnant:
«On voit bien qu’il y en a qui sont passés dans la catégorie des mauvais. C’est le résultat d’une réunion au cours de laquelle, le boss revoit les évaluations initiales effectuées par ses managers. Pendant cette réunion, c’est lui qui décide de revoir les notes à la baisse ou à la hausse, sans raison objective. Le boss dit à ses managers: n’hésitez pas à taper dans les salariés les plus récalcitrants au changement, quitte à cibler des experts de valeur. Par exemple: «ben y’a untel, je n’aime pas sa manière de communiquer sur ses projets. Il n’est pas corporate. Il n’est pas orienté business».
«Il a craqué, il était complètement détruit»
Certains managers vivent très mal ce système de notation forcée qu’ils trouvent injuste pour leurs collaborateurs. Marie (*) cadre supérieure, a gardé un très mauvais souvenir du jour où elle a dû annoncer à un de ses collègues qu’il était déclassé:
«En février 2017, la hiérarchie m’a annoncé qu’un de mes collaborateurs allait être classé dans la catégorie des mauvais éléments, alors que je l’avais évalué dans celle des collaborateurs «à niveau». On me demande de le sous-noter. J’ai demandé pourquoi, je voulais qu’on m’explique les arguments pour justifier ce classement. On m’a dit que cette personne n’avait pas atteint son objectif et n’avait pas fait ce qu’il fallait pour faire évoluer un processus, ce qui est complètement faux. Ce collaborateur, c’est quelqu’un qui s’est énormément investi. Quand j’ai commencé à lui annoncer son évaluation, il a complètement craqué, il s’est effondré. Il a été arrêté puis il est revenu, mais il avait des propos du style: je sers plus à rien, je retrouverai jamais un poste intéressant, je suis marqué au rouge… Il était complètement détruit. Dès qu’il a craqué, j’ai fait savoir à ma hiérarchie que c’était inacceptable. La RH a pris la chose à la légère.»
«Ce serait possible que je sois noté à sa place?»
Certains managers sont tellement révoltés par ce système que l’un d’eux a même proposé à son supérieur d’être mal noté à la place d’un de ses collègues, dans ce mail que nous nous sommes procuré:
«J’ai parlé à X de ta proposition au sujet de Y. On est tous les deux mal à l’aise à l’idée de le classer dans les mauvais. Il a toutes les compétences requises. Ce serait possible que je me propose comme volontaire pour être mal noté à sa place? Bien à toi».
Son supérieur a refusé.
Certains managers refusent – sans le dire officiellement – d’appliquer ces consignes. Car pour un manager, refuser rime avec démissionner. D’autant qu’eux-mêmes sont notés sur leurs résultats et peuvent à leur tour être évalués dans la catégorie des «mauvais». D’autres trouvent ce système contre-productif et cherchent du travail à l’extérieur. François (*) est prêt à franchir le pas:
«Y a un truc qui déconne. Chez Sanofi, on est censé améliorer la santé des patients, pas détériorer celle des employés. Si l’objectif c’est motiver les gens pour faire plus, c’est raté. Si c’est briser les gens pour les pousser à partir d’eux-mêmes, c’est réussi. Je n’ai pas signé pour ça, ça me dérange d’être complice de ça.»
«On demande aux managers de faire très vite pour qu’ils n’aient pas le temps de réfléchir»
Pour venir à bout des cadres récalcitrants, la direction leur mettrait la pression au dernier moment, comme l’explique François (*):
«C’est un système où rien n’est écrit et on demande aux gens de faire très vite pour qu’ils n’aient pas le temps de réfléchir, ou de poser des questions. En novembre 2016 par exemple, on nous a dit qu’on avait deux jours pour donner des notes, sachant que normalement on a jusqu’à fin décembre pour évaluer nos équipes. Mon supérieur m’a appelé au téléphone et m’a dit «ça m’emmerde, mais est-ce qu’on peut mal noter un membre de ton équipe?». Je lui ai dit que cette personne n’était pas cadre, donc pas soumise à l’évaluation. Du coup, il a fallu trouver un autre mauvais ailleurs».
Alexandre (*) se souvient lui aussi avoir été placé dans cette situation d’urgence. C’était en 2017, après une première réunion d’évaluation. Avec ses collègues, ils avaient identifié spontanément 5% de mauvais éléments:
«Peu après, notre manager nous dit qu’il y a du nouveau et qu’il y avait une nouvelle directive: il fallait atteindre 15% de mauvais. Nous, les managers, on se demande chacun comment on va faire. Je me souviens très clairement avoir gambergé là-dessus tout un week-end, à me demander: qui je vais classer dans les mauvais éléments? Pendant la réunion, on nous dit qu’il va falloir ré-évaluer ceux qui sont dans la catégorie des salariés standards, dans des gens qui n’étaient pas du tout mal notés.»
Un autre manager confirme avoir été obligé de déclasser ses collègues pour entrer dans les quotas. D’où son malaise quand il a fallu leur expliquer pourquoi: «J’ai dû broder, insister sur quelques points faibles que j’avais évoqués brièvement lors de l’entretien initial pour justifier cette notation».
Il poursuit: «ce n’est pas une expérience très satisfaisante, ni pour les collaborateurs qui sont notés arbitrairement, ni pour les managers qui n’ont pas la liberté de noter en toute transparence ses collaborateurs. On ne peut pas d’un côté donner des critères et de l’autre ne pas les respecter».
«Y a des gens qu’on a retrouvés à pleurer dans leur bureau»
Nous avons également recueilli les témoignages de plusieurs salariés disant avoir été victimes de ces quotas arbitraires. C’est le cas d’Henri (*) un gros travailleur, toujours classé dans les bons jusqu’à il y a quelques mois. Il s’estime victime du dévoiement de la pratique de notation de Sanofi:
«En 10 ans, j’ai tout le temps dépassé les objectifs qu’on m’a donnés. Pour la première fois cette année, j’ai été évalué dans la catégorie des mauvais. Je m’en souviens encore, mon manager avait un ton martial, pas vraiment habituel pour lui, en tout cas pas avec moi. Quand je lui ai demandé de m’expliquer pourquoi j’étais dans la pire des catégories, il n’a apporté aucun argument factuel. Il m’a dit que je devais «repenser ma manière de travailler». Pourtant, il avait validé que j’avais atteint et même dépassé mes objectifs. Et personne ne s’était plaint de mon comportement. J’ai compris que je devais rentrer dans un quota de mauvais, comme c’est arrivé à bien des collègues depuis 2015.»
Henri (*) vit très mal cette situation:
«Je me suis senti mis en défaut sur des trucs qui ne me correspondaient pas. J’ai passé des moments noirs. C’est des méthodes de bandits. Y a des gens qu’on a retrouvés à pleurer dans leur bureau parce qu’ils avaient été sous-évalués sans raison. Etre évalué, ok, mais il faut que ce soit juste. Aujourd’hui, j’ai une épée de Damoclès au-dessus de la tête, parce que si je suis classé une seconde fois dans les mauvais alors, je crois que mon emploi sera véritablement en danger.»
«Les non-performants deux ans de suite ne devraient plus être avec nous»
La règle voudrait, dans certains départements de Sanofi, qu’au bout de deux classements de suite dans la catégorie la plus basse, les salariés risquent d’être licenciés pour insuffisance professionnelle. C’est ce qui ressort d’un mail d’Erik Verrijssen, le directeur de l’informatique Monde de Sanofi, daté de juin 2016:
Traduction: «Les gars, Tous ces gens médiocres doivent recevoir un SERIEUX avertissement de votre part et de celle de leur manager direct. Vous devez leur faire comprendre que vous exigez d’eux une sérieuse amélioration, sinon leur poste et leur bonus à venir seront compromis. Et ceux qui n’ont pas été performants pendant 2 années consécutives ne devraient plus être avec nous. Point barre. Travaillez là-dessus le plus vite possible svp.»
Il semble que le procédé soit suffisamment persuasif pour que plusieurs cadres aient décidé de partir d’eux-mêmes après leur premier classement dans la catégorie des mauvais: «je préfère partir avant qu’ils aient ma peau», nous a confié l’un d’eux.
«Un réservoir de licenciements potentiels»
Quel intérêt aurait Sanofi Aventis à mettre en place de telles pratiques?
Pour Benoît, «ce système de quotas forcés est une sorte de réservoir de licenciements potentiels. Parce que, une fois placés dans la plus mauvaise des catégories, les salariés sont comme dans une «nasse». Et autant dire qu’il n’est pas simple d’en sortir. Certes, officiellement, le manager doit mettre en place un plan d’amélioration pour les accompagner et les aider à progresser. Mais ce n’est pas un accompagnement, c’est un marquage à la culotte. Et si on est dans le collimateur de la hiérarchie, on est parti pour y rester.»
Selon des chiffres qu’un manager nous a fournis sur son département, sur 39 personnes classées dans la plus mauvaise catégorie en août 2016, 20 avaient quitté l’entreprise quelques mois plus tard. C’est-à-dire plus de la moitié.
«Un plan social low cost»
Autre élément d’explication, l’enchaînement des plans sociaux chez Sanofi, six en quinze ans. A cela s’ajoute un plan d’économies d’un milliard et demi qui prévoit, de 2015 à fin 2017, le départ volontaire de 600 salariés en France.
Selon Pascal Lopez, délégué syndical central Force Ouvrière chez Sanofi Aventis Groupe, particulièrement en pointe sur ce dossier, les quotas de sous-notation forcée permettraient au groupe de mettre en place un plan social low cost:
«Jusqu’alors, les plans sociaux semblaient suffire à la direction générale pour faire partir les salariés dans un cadre légal et négocié. Aujourd’hui, on constate qu’elle a trouvé un nouvel outil de gestion du personnel, qui lui permet de se séparer de salariés à un coup bien moindre. Entre un plan social amorti en 18 mois et un licenciement amorti en une journée, le choix semble être vite fait.»
Le système de quotas permettrait aussi à Sanofi, selon ce syndicaliste, de se séparer de personnes qui ne peuvent pas partir dans le cadre du plan de départs volontaires en cours.
La DRH admet des anomalies mais dément l’existence de quotas
Interrogé sur l’existence de quotas, le directeur des ressources humaines de Sanofi France, François de Font-Réaulx, reconnaît des «anomalies» mais elles sont exceptionnelles et dément que Sanofi ait recours à des quotas:
«Je le démens pour trois raisons: premièrement parce que ce n’est pas légal dans notre pays donc nous ne le faisons pas, deuxièmement ce n’est pas conforme aux principes de l’entreprise, et troisièmement ce n’est pas dans l’intérêt de l’entreprise. Les éléments que vous relevez, et dont je ne conteste pas qu’ils existent, sont des anomalies dans le système. Ce n’est pas parce que quelqu’un passe au feu rouge qu’il faut jeter le code de la route.»
De plus, selon le DRH, «certains managers n’apprécient pas le système, ils le vivent mal… mais un, deux ou trois cas ne font pas une généralité».
Dans le même temps, le DRH de Sanofi France justifie le classement des salariés dans trois catégories: «Dans une distribution normale, on va retrouver environ 20% des salariés qui sont au-delà des attentes, 70% des cadres qui remplissent les objectifs et entre 6 à 8% qui sont en dessous des attentes. Si un manager n’a personne en dessous des attentes, c’est qu’il y a probablement un petit problème dans l’évaluation de la performance.»
Une «liste noire»
Ces révélations s’inscrivent dans un contexte particulier: en février dernier, Pascal Lopez, le délégué FO de Sanofi Aventis Groupe, a dévoilé l’existence d’une «liste noire» (voir document ci-dessous), nominative, de 200 salariés à licencier dans le monde, dont 77 en France. Après avoir été interpellée par FO, la direction de Sanofi s’est engagée à ce que cette liste soit détruite.
Au-delà de ce contexte, il faut aussi savoir que Sanofi envisage de déplacer ses centres de décision vers les Etats-Unis, et accentue la sous-traitance de certaines activités dans des pays en voie de développement, moins coûteux et plus flexibles.
* Tous les prénoms ont été modifiés.
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