Dans sa «check-list» électronique du 8 septembre au matin, le quotidien Le Monde titre: «Retraites: très forte mobilisation contre la réforme». Il continue: «1,1 million de manifestants selon la police, 2,7 millions selon les syndicats, ont réclamé mardi une refonte de la réforme des retraites, projet phare de Nicolas Sarkozy. Mais le chef de l’Etat est resté ferme, notamment sur le report de l’âge minimum de la retraite à 62 ans, à l’amorce du débat parlementaire. Eric Woerth, le ministre du travail, a défendu son projet à l’Assemblée, mettant en garde que «si nous ne faisons rien», le déficit des régimes des retraites atteindra «100 milliards en 2050». C’est «la plus grosse mobilisation de ces dernières années», a assuré François Chérèque (CFDT), avertissant que si le gouvernement restait sourd, les syndicats n’auraient «pas d’autre solution que de continuer» le mouvement social. Pour sa part, Bernard Thibault (CGT) a jugé que la mobilisation dans la rue «va forcément faire réfléchir» le gouvernement, et que «millimètre après millimètre, les choses sont en train de bouger». Le premier ministre François Fillon a assuré être «ouvert au débat, pour peu que l’on ne perde pas de vue l’objectif de la réforme».
Au soir du 7 septembre, BBC World avait comme premier sujet de son édition la mobilisation en France, avec des entretiens, bref, de manifestants. Ce n’est pas courant. The New York Times (version électronique), du 8 septembre 2010, dans sa rubrique Europe, consacre à un article significatif à la mobilisation et à la crise de direction politique du gouvernement Sarkozy-Fillon, titré: «Les syndicats français dans une grève nationale sur les retraites».
En fin de journée du 7 septembre 2010, le site en ligne Mediapart consacre un premier article de Mathieu Magnaudeix qui commence ainsi: «Entendez-vous ces millions de Français?» Il est 16 heures, en ce mardi 7 septembre, les questions au gouvernement à l’Assemblée nationale vont se terminer et le débat dans l’hémicycle sur le projet de loi retraites va commencer, début d’une semaine de discussions. Le député socialiste Christian Paul interpelle Eric Woerth, le ministre du travail. «La justice sociale n’inspire pas votre réforme. Ça n’est pas une politique de courage, c’est une politique de classe.» Il vient de prendre connaissance des estimations de mobilisation qui commencent à tomber. Les chiffres sont bons, très bons. Exceptionnels, même, pour une mobilisation organisée quelques jours après la rentrée. Le niveau des mobilisations en région est particulièrement haut, se réjouissent plusieurs dirigeants interrogés par Mediapart. «Il y a environ un tiers de manifestants de plus que le 24 juin», déjà une bonne journée, se réjouit Annick Coupé, porte-parole de l’union syndicale Solidaires. «Nous étions autour de 3 millions», estime-t-elle. […] De toute évidence, la mobilisation de mardi a rasséréné les dirigeants de l’intersyndicale, qui évoquent «une ambiance qui rappelle le CPE» [mobilisation contre Contrat première embauche en mars-avril 2006]. «Cette réforme irrite les gens comme le CPE les insupportait», veut croire l’Unsa [Union des syndicats autonomes].«On sent dans les cortèges une vraie détermination», dit Bernadette Groison (FSU – éducation). La référence n’est pas choisie par hasard. En 2006, après un printemps de manifestations, l’ampleur du mouvement social avait eu raison du projet du gouvernement de Dominique de Villepin.»
Nous publions ci-dessous un premier billet, précédé de premières impressions fort utiles, de Vincent Présumey Il paraîtra sur le site du Militant. Nous avons déjà publié en date du 4 septembre 2010, sur ce site, un «billet» de V. Présumey, paru de même sur le site Militant (http://www.le-militant.org). D’autres articles, de diverses «sources» seront publiés sur ce site. (Réd.)
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Un flot qui guette la brèche
Ce «billet» est fait à partir de l’expérience de la grève et la manif chez moi à Moulins [ville de l’Allier avec quelque 25’000 habitants]: 4000 participants (3000 selon la CGT, la presse et la police: pour une fois j’évalue la manifestation au-dessus de ce que compte la CGT), «en recherche»: les gens n’arrivaient pas à partir. Il y a, à la fois, une pression d’en bas et une résistance dans les appareils syndicaux, essentiellement dans la CGT à travers le réseau de ceux que j’appelle les «préfets de Montreuil» [Montreuil, dans la très proche périphérie de Paris où se trouve le siège central de la CGT], contre tout mot d’ordre clair (retrait) et contre toute démocratie ouvrière. Cela se cristallise sur leur combat pour imposer des interventions «unitaires» uniques, et de plus «chiantes» au possible, copiés-collés des communiqués nationaux.
Cette bataille s’est jusqu’à présent jouée un peu en vase clos, entre cadres syndicaux et autres. Là, elle a commencé – encore peu – à s’étendre à des couches plus larges. L’enjeu est bien sûr celui de l’auto-activité des gens, des salarié·e·s …
En second lieu, je me suis servi, pour ce «billet» des informations sur la liste des départements FSU [Fédération unitaire syndicale]. Le comptage des effectifs de manifestations, centralisée par ce biais (qui comporte des lacunes), aboutit à près de 2,4 millions de manifestants.
Peut-être à l’exception de Nantes, et compte non tenu d’informations pas encore parvenues sur les secteurs réputés les plus combatifs de la région parisienne, la FSU surtout, parfois Solidaire ou d’autres, a souvent tenté d’impulser des assemblées générales ou des réunions de fin de manifestations. Elles ont regroupé peu de monde, et d’où ressortent des discussions sur la reconduction [de la grève], le souhait d’une nouvelle action rapide, des motions pour un appel franc à la grève générale au moins sur un jour et/ou une manif nationale avant le vote à l’assemblée, dont il est dans ces cas-là précisé que ce ne doit pas être le week-end.
Rien ne permet de dire ce matin que la percée spontanée type «Sud Aviation 68» [référence au débrayage et occupation de l’usine de Sud-Aviation le 14 mai 1968, à Bougenais] soit en cours. J’ai plutôt l’impression que les masses se cherchent et suivent attentivement la crise au sommet, qui devient maintenant quotidienne – Sarkozy doit parler aujourd’hui, paraît-il, en même temps que l’Intersyndicale nationale se réunit (les coups de téléphones ont donc dû avoir lieu cette nuit …). Il y a un flot puissant, lent, qui guette la brèche…
La clarté de la volonté des salarié·e·s
Près de 3 millions de manifestants: le chiffre est énorme, il signifie autant de grévistes (si l’on tient compte que tous les manifestants n’étaient pas grévistes mais que la réciproque est vraie), cela un jour où dans une grande partie de la France la météo a été non seulement défavorable, mais hostile voire risquée. Ce 7 septembre est historique: ce sont les masses qu’on a vues en 1995, en 2003, en 2006, à nouveau là, tout de suite au plus haut niveau, renouvelées de jeunes. Au moins 100 000 à Paris, usines de la métallurgie et de l’électronique bien présentes, hospitaliers en nombre.
Dans le Nord: 50’000 à Lille, 10’000 à Dunkerque, 5000 à Valenciennes, 5000 à Calais, 4000 à Arras, 4000 à Douai, 1000 à Cambrai, 1000 à Maubeuge, plus plusieurs autres manifs locales dans les cités industrielles. 65’000 à Nantes et 20’000 à St-Nazaire, 3000 à Ancenis et 2000 à Chateaubriant, assemblée générale appelée demain dans l’éducation en Loire-Atlantique avec à l’ordre-du-jour: «la reconduction de la grève pour le retrait du projet anti-retraites». A Poitiers 30’000, 7000 à Châtellerault, 23’000 à Angoulème, ou par exemple 3000 à Thouars, petite localité des Deux-Sèvres. 4000 à Moulins, avec une forte participation des entreprises. Ce sont des secteurs de la classe ouvrière pas familiers des manifestations intersyndicales qui souvent sont venus, petites entreprises, femmes, distribution, nettoyage … Ce sont aussi des secteurs qui ont fait 2003, comme chez les profs, qui commencent à revenir en force. Tel est le premier fait: la volonté est là.
Le second fait est la clarté de cette volonté. Et cela doit être souligné car la majorité des commentateurs et un trop grand nombre de responsables syndicaux répètent la même chose que François Chérèque, dirigeant de la CFDT: «Les salariés qui manifestaient sont conscients qu’il faut une réforme des retraites, mais celle-là contient trop d’injustice», ou encore que «seule FO exige le retrait».
Pour qui connaît les salarié·e·s et fréquentent ceux et celles qui manifestent, leur volonté est très claire: non, il ne faut pas de réforme des retraites, le problème n’est pas la démographie, le problème n’est pas la possibilité de vivre vieux en faisant plein d’autres choses utiles que de travailler pour un patron ou pour l’Etat, le problème c’est le capitalisme ; c’est cette crise qui est la sienne, pas la nôtre, et c’est ce gouvernement qui fait sa politique ! Dans toute la France, c’est le retrait du projet anti-retraite l’exigence qui monte.
Toutes les unions départementales de la CGT de l’Ile-de-France en réclament l’«abandon». Dans les petites villes comme Aubenas (Ardèche), sous la pluie menaçante, c’est le retrait la position commune de tous les syndicats, comme à Aurillac (Cantal) ou au Puy (Haute-Loire). Si l’Intersyndicale nationale est, comme il se doit, l’expression de la base, c’est le retrait qui doit être sa position. S’il s’agit de gagner, et pas d’accepter “une réforme de toute façon”, alors il faut revenir tous ensemble à la charge AVANT le vote de la loi à l’Assemblée nationale. La réforme constitutionnelle faite par Sarkozy , en 2009, lui permet de mettre en œuvre une procédure d’urgence qui limite le nombre d’heures de débat parlementaire, ce qui nous conduit à un vote, dont la date n’a volontairement pas été fixée par ces messieurs, vers la mi-septembre.
C’est donc durant la semaine, par la grève, qu’une grande manifestation nationale pourrait et devrait être réalisée. L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. C’est par les assemblées générales sur les lieux de travail, par les réunions de délégué·e·s des assemblées, par la libre expression de toutes les positions et propositions – c’est cela l’unité, ce n’est pas le discours unique écrit à Paris et ne comportant pas le mot «retrait» ! –, que les travailleurs eux-mêmes ont la capacité d’imposer l’unité pour le retrait, la généralisation et la centralisation du mouvement, et donc de vaincre Sarkozy.
AYONS CONFIANCE EN NOS PROPRES FORCES ET NOUS GAGNERONS !
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