Sarkozy pris à son propre piège. Tous ensemble vers la grève générale

Des secteurs de la jeunesse étudiante et lycéenne entrent dans la mobilisation

Par Laurent Delage

Le mouvement contre la réforme Woerth-Sarkozy vient de passer une étape importante. La manifestation du 12 octobre 2010 a été en nette progression par rapport aux journées précédentes avec 3,5 millions de manifestants d’après les syndicats. 150 000 étudiants et lycéens sont venus grossir les rangs des manifestants, exprimant dans la rue leur contestation du gouvernement, de sa réforme et de cette société du fric. Des appels à manifester et à poursuivre le mouvement après le 12 sont lancés dans les facs et les lycées et dès jeudi, des manifestations communes de jeunes et de salariés en grève ont eu lieu dans le pays, exprimant la révolte face à Sarkozy et à ce gouvernement des riches par les riches, la volonté de lui infliger une défaite.

Avec la perspective du 16 octobre et du 19, la grève reconductible se développe elle aussi, à la SNCF, la RATP, dans la chimie, les ports et docks et les raffineries,… Des préavis reconductibles ou illimités sont déposés par les syndicats à EDF, France Telecom, dans la Fonction Publique et des équipes militantes s’en saisissent pour impulser la grève reconductible ou pour participer à des initiatives de blocage. 10 raffineries de pétrole sur 12 sont ainsi bloquées par la grève, alors que leur approvisionnement était déjà très fortement ralenti par la grève des terminaux pétroliers de Fos-Lavera qui dure depuis plus de 18 jours. Le mouvement se renforce et se radicalise, se politise, face au mépris et à l’arrogance du gouvernement et les secteurs appelant à reconduire la grève entraînent et donnent confiance dans les possibilités de gagner face au pouvoir.

Cela, malgré les freins des directions des grandes confédérations syndicales, dont certaines combattent même la perspective de la grève reconductible à l’image de Grignard de la CFDT qui expliquait « ne pas croire du tout que le 12 sera une grande journée de grève car beaucoup de salariés rechignent à perdre une journée de salaire (…) La grève reconductible n’est pas forcément la forme d’action la plus appropriée pour ce mouvement. Aux salariés de décider, mais partir sur des arrêts de travail minoritaires, c’est risquer l’isolement ».

Les directions syndicales se retrouvent obligées d’aller plus loin qu’elles ne le souhaitaient à la fois face à la profondeur du mouvement comme aux provocations de Sarkozy et du gouvernement qui jouent l’affrontement.

Sarkozy a voulu l’affrontement… qu’il pourrait bien perdre

Face aux manifestants le 12 octobre, Fillon a réaffirmé : « Je le dis très solennellement à cette heure devant l’Assemblée nationale, nous sommes décidés à mener cette réforme à son terme ». Arrogant et méprisant vis-à-vis de cette jeunesse qu’il craint tant, il a dénoncé ceux qui « manipulent » les lycéens pendant qu’Hortefeux envoyait ses policiers dans certains établissements scolaires. De même, face à la multiplication des grèves reconductibles, Copé tente le chantage en déclarant que « chacun prenne la mesure du désastre que pourraient constituer des grèves reconductibles ou à caractère illimité ».

Mais rien n’y fait, pas même les manœuvres gouvernementales au Sénat. Après avoir rédigé directement les amendements concernant les femmes ayant élevé trois enfants, l’Elysée a même précipité les votes sur les 62 ans et les 67 ans juste avant la manifestation du 12, comptant que cette annonce jouerait sur le moral des manifestants. Fillon y est même allé de son couplet : « En démocratie, la voix de ceux qui manifestent et qui font grève doit être respectée. Mais, en démocratie, la voix du Parlement doit aussi être respectée » !

Tout cela n’a fait que révéler encore davantage la mascarade parlementaire et le rôle de godillot de ces sénateurs soi-disant « indépendants »… La vraie démocratie, c’est bien celle de la rue, celle du nombre, celle des manifestants et des grévistes jeunes et moins jeunes qui luttent face à ce gouvernement au service d’une infime minorité de riches. Affichant son mépris des manifestants, Sarkozy a voulu faire de cette contre-réforme le premier mauvais coup de son plan d’austérité, avant de passer à la branche santé de la Sécurité sociale ou aux 35 heures. Espérant, comme en 2003, un mouvement où les manifestations même nombreuses resteraient cantonnées à des journées d’action qui reflueraient tôt ou tard, Sarkozy a voulu lui-même l’affrontement pour avoir le terrain libre. Il a voulu mettre les syndicats à genou après les avoir pris au piège du dialogue social. C’était compter sans les travailleurs et la jeunesse. Le voilà pris à son propre piège, face une radicalisation de l’opinion en réponse à sa propre politique. Comme le déclare un conseiller patronal : « à force de dire qu’il ne cédera pas, le gouvernement a créé une situation très difficile pour les syndicats. Ils ont fini par avoir l’opinion avec eux et sont maintenant dans une situation qui les accule à se radicaliser, alors que ce n’était souhaité ni par la CGT ni par la CFDT. Le plus gros danger, ce n’est pas que les fédérations syndicales les plus dures appellent à la radicalisation, mais que le degré de colère de l’opinion pousse les états-majors syndicaux à aller sur cette pente dangereuse ».

Sarkozy a voulu l’affrontement, mais il l’a d’une certaine façon d’ores et déjà perdu. Même s’il réussissait à faire passer sa réforme, ce ne serait que partie remise tant la légitimité du gouvernement, du Parlement, du Sénat est contestée largement par les manifestants. Comme le décrit un journaliste de Mediapart : « par la volonté de passer en force qui est la marque de sa contre-réforme des retraites, Nicolas Sarkozy a réhabilité à sa façon la lutte des classes ».

L’entrée de la jeunesse dans la lutte est de ce point de vue un renfort très important pour le mouvement et en même temps un gage pour l’avenir. C’est toute la politique du pouvoir visant à faire payer à la population la crise de leur propre système qu’elle conteste largement dans la rue, refusant de se plier aux chantages du gouvernement, consciente que son avenir dépendra de ses propres luttes.

Amplifier le mouvement vers la grève générale

L’intervention de la jeunesse politise de fait le mouvement. D’emblée, elle dénonce la contre-réforme Woerth-Sarkozy qui aggravera encore le chômage des jeunes et leur précarité. Elle se bat contre cette société du fric, ce capitalisme qui n’est porteur que de régressions sociales pour les opprimés… pendant qu’un rapport vient d’annoncer que la France se classe au troisième rang mondial pour ses millionnaires et que 0,5 % des riches détiennent 35,6 % des richesses mondiales.

Alors que les directions des grandes confédérations syndicales se refusaient à avancer le retrait de la loi, en fixant cet objectif politique au mouvement de faire céder Sarkozy, la jeunesse, elle, n’hésite pas à le réclamer. Comme l’a déclaré un conseiller de l’Elysée : « On est désormais dans une manifestation politique. (…) Avant il y avait des revendications, sur les femmes, les carrières longues. Maintenant, il n’y en a plus : c’est le retrait du texte ou rien ».

Le développement des grèves reconductibles va lui aussi dans le même sens, en fixant comme but non pas des amendements à la marge de la loi mais le retrait du projet, une réelle défaite du pouvoir. Pour qu’il se généralise, il faut assumer cette dimension politique du mouvement, le structurer à la base, l’organiser démocratiquement.

Dans les manifestations, des cortèges intersyndicaux d’entreprise, dépassant les rivalités de boutique, sont plus nombreux. Des collectifs, des cadres interprofessionnels autour d’Unions Locales ou de grosses entreprises se mettent en place pour regrouper les équipes militantes qui veulent prendre des initiatives, appeler à des blocages, etc.

Le mouvement s’organise à la base pour se renforcer, ce qui signifie la démocratie la plus large pour décider des actions, les mettre en œuvre en dépassant les rivalités d’appareils. Cela signifie aussi de formuler par en bas les objectifs de la lutte, imposer le retrait de cette loi par les méthodes de la lutte de classe. Aux travers de ces initiatives, il s’agit d’entraîner de nouvelles catégories de travailleurs dans la lutte.

Approfondir,élargir pour faire des manifestations de samedi 16 octobre une déferlante pour, dés lundi 18 octobre 2010, s’avancer vers la grève générale en utilisant la journée de grève du 19 octobre.

Le rassemblement du monde du travail contre les puissances de l’argent pour faire valoir ses droits est en marche. Tous ensemble, grève générale !

* Laurent Delage a publié cet article dans Débats révolutionnaires, bulletin de débats au sein du NPA

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