La grève de 15 salarié·e·s qui a éclaté à ISS Aviation à l’Aéroport International de Genève (AIG), à partir du 9 juillet s’est terminée le 9 novembre 2010.
Cette grève a été provoquée par la décision d’ISS Aviation de résilier, unilatéralement, la Convention collective de travail (CCT), afin de diminuer les salaires en fin de carrière.
ISS Aviation est une filiale d’une transnationale, ISS Holding A/S qui a son siège au Danemark. Elle emploie près de 500’000 salarié·e·s dans quelque 50 pays. Elle est contrôlée par la banque d’affaires états-unienne Goldman Sachs et un fonds d’investissement suédois EQT (actif dans quelque 75 sociétés). Il va de soi que ces deux investisseurs exigent des taux de retour sur investissement très élevés. D’autant plus qu’un des objectifs en permanence présents à leur stratégie est celui de la revente, avec une forte plus value, de la société contrôlée.
Dans le secteur des services, la pression sur l’enveloppe salariale (nombre de salarié·e·s et salaires) est un des bras de levier de la rentabilisation. Cela s’accompagne d’une organisation du travail combinant flexibilité et normes très précises imposées aux travailleuses et travailleurs.
Ainsi, au cours des cinq dernières années, la filiale suisse d’ISS Aviation et ISS suisse ont généré un profit opérationnel qui les place au sommet du classement des filiales de la transnationale. Cela a valu à la firme helvétique le prix ISS World Champion Award 2008-2009.
La grève a reçu dès le début l’appui du Groupe trafic aérien du Syndicat des services publics (SSP-TA). Ce syndicat a sans cesse mis en valeur un fonctionnement démocratique pour toutes les décisions. Il a encouragé les diverses initiatives proposées et prises en main par les grévistes. Cet ensemble de pratiques a fait obstacle aux mesures d’intimidations provenant aussi bien de l’employeur, des autorités de l’aéroport que de la police aéroportuaire.
ISS Aviation a essayé d’évincer le syndicat SSP-TA en négociant une CCT avec PUSH, un «syndicat» monté de toutes pièces qui ne comptait pas un·e seul·e adhérant·e au début de la grève. Mais, par miracle, il en a déclaré 45 trois mois plus tard, suite à la campagne d’adhésion menée par la direction de l’entreprise.
Cette CCT a été soumise au vote du personnel dans des conditions «qui sont tout sauf démocratiques», a indiqué le SSP-TA. Ce dernier dénonçait l’existence de bulletins de vote numérotés, donc identifiables par l’employeur, ainsi que des menaces de licenciement à l’encontre des opposant·e·s. Les grévistes ont toutefois décidé d’y prendre part pour exprimer leur désaccord, conscient·e·s d’être les seul·e·s à pouvoir porter le «non» à l’intérieur de l’entreprise. Et pour cause : le résultat a été de 81 voix favorables contre 16 refus, avec une participation de 79% (100 votants sur 127 salariés).
Un comité de soutien a été créé à Genève et à Zurich. En effet, ISS Aviation est un employeur important de l’aéroport Zurich-Kloten, baptisé Unique.
A Genève, tous les syndicats et les forces politiques de gauche ont été, à divers degrés, partie prenante du comité unitaire de solidarité. Des réticences ou des retenues dans la solidarité peuvent s’expliquer par de nombreux facteurs. Par exemple, quelle est la place d’une grève se déroulant dans le cadre de l’AIG dans la hiérarchie des priorités politiques par rapport à une échéance électorale ? Ou encore, le Parti socialiste a-t-il une représentante au Conseil d’administration de l’AIG ? C’est le cas. Il s’agit de l’avocate Lorella Bertani, vice-présidente du CA.
L’appui politique à cette grève, sous différentes formes (actions de soutien, manifestations, campagne pour le boycottage d’ISS Suisse, actions de solidarité à Zurich, etc.), a été décisif pour le sort des grévistes. Une campagne de boycottage de l’entreprise a notamment été organisée à Genève par le comité de soutien. Sensible aux arguments du comité, la Ville de Genève a menacé ISS Aviation de «renoncer à ses prestations» si celle-ci ne reconsidérait pas ses positions. Les risques pour l’image de l’entreprise étant telles, ISS Aviation était contrainte de trouver un accord avec les grévistes.
Un accord a été trouvé entre les parties après 121 jours de grève. Celui-ci prévoit une augmentation considérable des salaires par rapport à ceux proposés dans le cadre des contrats individuels et de la CCT PUSH. Toutefois, les salaires restent inférieurs à ceux de l’ancienne CCT résiliée par l’employeur. Les salaires du personnel travaillant à 50% au moins s’étalaient entre 3658 (minimum) et 4847 francs (fin de carrière) selon l’ancienne CCT. L’employeur voulait imposer un rétrécissement de l’éventail salarial et le contenir entre 3340 et 3550 francs par mois, cela par le biais de l’introduction de contrats individuels.
À l’issue du conflit, les salaires évolueront entre 3550 et 4510 francs à partir de 2012 (voir graphique ci-dessous). Le critère de l’âge disparaît avec la nouvelle grille salariale tandis que reste celui de l’ancienneté. Quant au personnel travaillant moins de 50%, le salaire minimal horaire augmentera de 20,50 à 21 francs lors de l’engagement pour ensuite passer à 21,80 à partir de la 3e année et à 22,60 à partir de la 5e.
Les salaires des 15 grévistes ont été pris en charge par le SSP-TA lors de la grève. Cette «dépense» a été, de fait, compensée par les nombreuses adhésions au SSP-TA; ce qui indique, d’une part l’audience effective de la grève (présentée par les médias comme très minoritaire) et, d’autre part, la présence permanente du syndicat sur le lieu de travail. L’accord protège les grévistes contre des rétorsions de l’employeur. Il comporte néanmoins ce que l’on pourrait qualifier de concessions, si l’on ne tient pas compte des rapports de forces d’ensemble: 1° le SSP-TA reconnaît dans les négociations une organisation «syndicale» directement contrôlée par l’employeur : PUSH; 2° dorénavant, à Genève, la CCT sera négociée par le Secrétariat central du SSP, ce qui a pour effet une sorte de mise sous tutelle de la direction syndicale de la grève, cela au moment où le SSP de l’aéroport de Zurich accepte des conditions inférieures à celles en vigueur pour les salarié·e·s d’ISS travaillant dans l’AIG.
Le conflit chez ISS Aviation a exprimé une opposition des salarié·e·s au dumping salarial que l’employeur souhaitait leur imposer. Le recours à la grève a permis de contenir des baisses salariales, malgré un rapport de forces très peu favorable aux salarié·e·s. En effet, les grévistes ont dû faire face à un certain isolement organisé de leur lutte au sein de la firme et de l’AIG. De plus, ils s’affrontaient à la volonté du propriétaire de l’AIG – le Conseil d’État du Canton de Genève – de ne pas intervenir comme médiateur.
L’employeur a même lancé une campagne publicitaire coûteuse pour délégitimer la grève. Cette campagne a été relayée par l’ensemble des médias, y compris le quotidien Le Courrier, à la surprise de nombreux de ses lecteurs et lectrices. En réalité, l’accord de fin de grève prévoit une amélioration des salaires réels pour une partie non négligeable du personnel puisque la CCT résiliée par l’employeur n’était pas entièrement appliquée avant le conflit.
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