Par Jurek Kuczkiewicz
Contre toute attente, le président Duda a mis lundi son veto à deux des trois réformes controversées de la Justice.
Le veto du président Andrzej Duda constitue un événement remarquable. Il a pris par surprise et mis en colère le propre camp du présidEnt, et ravi tous ses opposants qui ne pariaient pas un kopek sur une émancipation du chef de l’État, jusque-là fidèle notaire du PiS et de son patron, le sombre Jaroslaw Kaczynski.
Evénement majeur à deux titres
• L’événement est majeur à deux titres. D’abord, sur le plan du changement de régime en cours. L’une des deux réformes rejetées devait assurer à la majorité en place le contrôle de la nomination des juges. La seconde écartait purement et simplement les juges de la Cour suprême, afin de permettre au ministre de la Justice d’en nommer d’autres et d’en contrôler le fonctionnement interne. Ces deux lois, votées précipitamment en une semaine, au mépris de tous les principes démocratiques et sans aucune consultation, étaient anticonstitutionnelles.
Beaucoup se demandent si ce double veto n’est qu’une opération de diversion. Le président n’a pas retoqué la troisième réforme, qui permettra au ministre de la Justice d’écarter de nombreux juges et de prendre une emprise sur les autres.
Et tandis que M. Duda a eu des mots très durs sur «la caste des juges», il reste à voir quelle sera la nature des projets de lois alternatifs qu’il a annoncés pour dans deux mois. Mais pour l’heure, M. Duda a sauvé la démocratie polonaise.
• Cette décision extraordinaire comporte aussi une dimension politique. Le président, considéré comme quantité négligeable par M. Kaczynski, vient d’enfiler le costume du seul dirigeant politique polonais à même de constituer une alternative à ce dernier.
Les dirigeants de l’opposition, et notamment ceux de la Plateforme civique qui a dirigé le pays pendant les huit années précédentes (sous la férule de Donald Tusk, aujourd’hui président du Conseil européen), jouissent d’un faible crédit dans l’opinion publique. Notamment parmi les jeunes: ceux-ci ont commencé à se mobiliser contre les réformes judiciaires, mais sont loin d’apporter leur soutien à l’opposition faiblarde d’aujourd’hui [1]. Par sa décision courageuse, M. Duda se hisse instantanément à la hauteur de leurs attentes. Il y a 28 ans, la Pologne fut le premier pays se libérer du joug communiste. Aujourd’hui, Andrzej Duda est celui qui a lui a évité de ressortir de la démocratie.
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[1] Le 14 juin 2017, la RTBF annonçait: «Le chef historique du syndicat polonais Solidarité et Prix Nobel de la Paix Lech Walesa a annoncé mercredi qu’il participerait désormais “à toutes les manifestations” contre le pouvoir “nuisible” du parti conservateur nationaliste Droit et Justice (PiS) en Pologne.
«Dès aujourd’hui, je vais participer partout où je le pourrai, à des meetings et autres manifestations de protestation», a déclaré l’ancien président polonais de 73 ans sur son profil Facebook. L’ancien leader syndical a dénoncé les actions «nuisibles et de plus en plus intenses de l’équipe contrôlée par (le chef du PiS) Jaroslaw Kaczynski». Interrogé par le site internet WP.pl, il a expliqué avoir été «exaspéré» particulièrement par l’interpellation samedi par la police de Wladyslaw Frasyniuk, son ancien compagnon de lutte contre le régime communiste, parmi une centaine de manifestants opposés à une marche mensuelle conduite à Varsovie par Jaroslaw Kaczynski, en commémoration du crash de l’avion présidentiel en 2010 en Russie.
Lech Walesa a toujours été extrêmement critique sur les mesures prises par les conservateurs, au pouvoir depuis octobre 2015, notamment celles visant le Tribunal constitutionnel, les médias publics et d’autres institutions démocratiques, et qui suscitent également l’inquiétude de l’Union européenne.» (Publié dans Le Soir, le 24 juillet 2017)
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Pologne: le veto présidentiel donne de l’air à l’Etat de droit
Par Maya Szymanowska
Personne ne l’a vu venir. Le président polonais Andrzej Duda a surpris tout le monde, même les membres de son propre parti, en mettant son veto aux deux des trois lois proposées par les conservateurs pour réformer en profondeur le système judiciaire. Des lois qui devaient mettre le système judiciaire sous la tutelle de l’exécutif en dotant le ministre de la Justice de pouvoirs très étendus.
• La raison de ces réformes invoquée par le parti conservateur, le bien nommé Droit et Justice :la lutte contre la corruption et la fin des juges compromis à l’époque communiste. Presque trente ans après la chute de ce système, les conservateurs continuent une chasse aux sorcières et accusent le communisme de tous les maux de la société actuelle polonaise.
• Pour justifier son choix, Andrzej Duda a indiqué qu’il n’était pas dans les traditions polonaises que le procureur général intervienne dans la bonne marche de la Cour suprême, sans parler de la nomination des juges. « Je regrette que ce texte de loi ne m’ait pas été présenté avant le vote », a lancé le chef de l’Etat, cinglant. «Une réforme de la justice est nécessaire, mais pas une réforme qui crée des divisions entre la société et l’Etat. »
Un président qui s’émancipe
• Personne ne s’attendait à ce que le président prenne une décision aussi rapide et si éloignée de ce que le parti conservateur attendait de lui. Ce brave petit soldat de Jaroslaw Kaczynski, comme l’appellent ironiquement les médias de l’opposition, ce président sans charisme, a décidé de s’émanciper de la tutelle de son parti. Aurait-il cédé à la mobilisation grandissante de la rue? C’est ce que les manifestants voudraient croire. Barbara Nowacka, l’organisatrice de l’opposition des femmes aux projets de loi sur l’avortement à l’automne dernier, a salué «une seconde victoire des citoyens sur les visées des conservateurs de mettre au pas la liberté, la justice et l’état de droit». Les pressions de l’Union européenne, menaçant de couper les subventions à la Pologne et le mécontentement de l’administration Trump ont aussi pu jouer un rôle.
• En tout cas, les réactions, très vives, ne se sont pas fait attendre. Du côté des conservateurs, le bras droit du ministre de la Justice est allé jusqu’à accuser le président de faiblir devant la possibilité de licencier tous les juges prétendument compromis avec l’ancien régime. Le parti Droit et Justice s’est réuni pour un conseil extraordinaire aux allures de conseil de guerre. Aucun membre n’a voulu parler aux médias.
• La Première ministre Beata Szydlo, s’est rendue en urgence dans l’après-midi chez le président. Pour tenter de le convaincre de revenir sur sa décision ? Mission avortée en tout cas, car juste après l’entretien, le porte-parole de la présidence a tenu à souligner que le président maintenait ses deux veto. Les manifestants venus laisser éclater leur joie devant le quartier général du parti conservateur ont été délogés par la police sans ménagement. L’épiscopat, jusqu’alors muet, a, quant à lui, félicité Andrzej Duda pour son choix, ce qui peut suggérer une fracture dans le camp conservateur autour de cette question de la réforme de la justice.
La rue en demande plus
• Les réseaux sociaux bruissent des cris de victoire de l’opposition. Les manifestants louent le courage du président, mais ne désarment pas. Lundi soir, ils étaient encore dans la rue pour demander au chef de l’Etat de refuser les trois lois et non seulement deux. C’est le cas des jeunes, très nombreux durant les derniers jours à descendre dans la rue et pas forcément liés à un parti politique. Monika Auch, comme ses amis facebook partage cette inscription :
«Encore un compromis. Deux veto n’égalent pas trois. Le sujet reviendra après les vacances. Ils veulent seulement nous faire taire.»
• En effet, la troisième loi sur les tribunaux, signée par Andrzej Duda, donne au ministre de la Justice pleins pouvoirs pour nommer les présidents des tribunaux et révoquer les juges. Et comme le craignent beaucoup de jeunes manifestants, les deux projets retoqués par le président risquent de revenir très vite à la Diète. Les députés conservateurs ont déjà laissé entendre que la trêve estivale pourrait être écourtée et le Parlement pourrait se réunir dans les deux semaines à venir. «Pas de commentaire» a lancé, hargneux, le leader des conservateurs Jaroslaw Kaczynski. (Publié dans Le Soir, lundi 24 juillet 2017, à 20h44)
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