Par Charles-André Udry
Le Congrès de SYRIZA (Synaspismós Rhizospastikís Aristerás, Coalition de la Gauche Radicale) – coalition de 14 organisations, diverses en termes d’orientations politiques et d’importance numérique – a été organisé dans une période politique tendue. En effet, il s’est tenu du jeudi 10 juillet au soir au dimanche 14 juillet.
Un contexte que la direction de SYRIZA voulait mettre entre parenthèses
La fermeture brutale et soudaine de la radio-télévision publique (ERT), le 11 juin 2013, par le gouvernement Samaras a provoqué l’occupation de la station par ses employé·e·s. Quelque 2650 licenciements étaient prononcés, afin de satisfaire les demandes de la Troïka (UE, BCE et FMI) ayant trait à la compression du nombre total de fonctionnaires à l’échelle de l’ensemble de l’Etat. C’est d’ailleurs ce que le ministre du Développement (sic!), Costis Chatzidakis, a reconnu dans un entretien avec le quotidien allemand Die Welt. Il va jusqu’à accuser le ministre des Réformes (sic!), Anthonis Manitakis, pour le retard dans les licenciements de fonctionnaires. Il est vrai que ce dernier faisait partie de l’allié de second ordre du gouvernement: la Gauche démocratique (DIMAR) de Fotis Kouvélis. La campagne de propagande mensongère du gouvernement selon laquelle l’ERT était un «centre de corruption» va très vite échouer. La signification effective de la décision du gouvernement a été comprise par de très nombreux salarié·e·s du privé comme du public.
La privatisation de la chaîne devait s’effectuer dans la foulée de l’arrêt de son signal. Car l’ERT dispose d’un signal couvrant l’ensemble de la Grèce – donc les multiples îles réparties sur un vaste territoire – et au-delà (pays voisins). Dès l’occupation de l’ERT, les émissions ont passé en streamline. Aussi, l’ERT n’a jamais disposé d’un taux d’audience aussi élevé. Les salarié·e·s, plus d’une fois engagés par le biais du clientélisme politique de la Nouvelle Démocratie ou du PASOK (Mouvement socialiste panhellénique), se sont radicalisés sous l’impact de la mesure de destruction de l’ERT ainsi que leurs emplois, et sous celui de la vague de solidarité active.
Cette dernière a revitalisé l’ensemble du mouvement social de résistance. Le 9 juillet, un jour avant l’ouverture du Congrès de SYRIZA, devant le bâtiment de l’ERT, comme tous les soirs, un orchestre symphonique jouait. Ceux qui croyaient, le 13 juin, donner leur dernier concert exerçaient encore leurs talents presque un mois plus tard. Cette fois, ils/elles jouaient, chantaient, récitaient des textes de la résistance anti-dictatoriale (1967-1974) et des luttes de résistance contre les nazis, puis celles contre les forces impérialistes britanniques soutenues par la bourgeoisie réactionnaire et monarchiste grecque, et enfin les poèmes ou chants traduisant l’héroïsme des combattants de l’ELAS (Armée populaire de libération nationale) lors de la guerre civile (1946-1949). Quelque 2000 personnes étaient présentes, ce 9 juillet 2013, à 22 heures. Elles étaient de tous âges et de toutes origines sociales. Elles écoutaient dans le silence, applaudissaient, participaient. Le tout était filmé de manière professionnelle, projeté sur deux écrans et passait en direct sur Internet. Des orchestres symphoniques, des chanteurs et cantatrices, des poètes exprimaient la volonté de ne pas plier l’échine et devenaient des porte-voix de toutes les luttes dispersées, le plus souvent sans perspective de victoires ou de gains. Des délégations venaient devant l’ERT pour soutenir l’occupation et recevoir un appui.
Le 30 juillet 2013, la police n’a pas hésité à arrêter sept techniciens et un journaliste sous l’accusation qu’ils tentaient de réenclencher le signal de l’ERT se trouvant sur le Mont Hymettus à l’est d’Athènes. Les huit personnes ont été emprisonnées pour prétendument dommage à la propriété publique. Et la police antiémeute a été dépêchée pour réprimer la manifestation de soutien de leurs collègues. La défense et l’occupation de l’ERT, la volonté de la remettre en marche – et pas seulement de diffuser en permanence ses émissions sur Internet – sont un symbole de la détermination et de la ténacité d’un vaste secteur de la population. Les sondages indiquaient que 67,5% des personnes étaient opposées au bâillonnement de l’ERT et au sort réservé au «capital culturel public» (trois orchestres symphoniques) dont elle disposait et que la lutte a valorisé aux yeux de tous. Sous cette forme, cette lutte spécifique contenait et contient les éléments d’une alternative à l’austérité, d’une mise en chantier de potentiels que la Troïka veut détruire.
Une telle force mettant en échec une décision emblématique de la servilité du gouvernement Samaras face à la Troïka ne pouvait que provoquer une crise gouvernementale. La Gauche démocratique (DIMAR), parti de «centre gauche» (de centre), issu d’une scission de droite du parti de gauche réformiste Synaspismos, a alors quitté la coalition gouvernementale. Formellement, DIMAR laissait derrière lui un gouvernement bipartisan formé par un parti de droite dure, la Nouvelle Démocratie, et le «social-démocrate» PASOK. Ce gouvernement jouit dès lors d’une infime majorité de 153 députés sur 300. Toutefois DIMAR vote l’essentiel des lois présentées par le gouvernement. Il en va de sa survie financière et politique et de la nécessité pour lui d’éviter des élections fâcheuses pour lui.
Au début juillet, quelques jours avant le Congrès de SYRIZA, le gouvernement Samaras décidait de nouveaux licenciements massifs dans le secteur public. Il dirige par décrets, répercutant de la sorte le programme de la Troïka. Ces licenciements, entre autres à l’échelle municipale, ont provoqué un nouveau round de luttes (une «grève générale», des manifestations d’enseignants du secondaire et d’employés municipaux, de la police métropolitaine d’Athènes, etc.). Leur amplification et leur centralisation s’affirment comme problème politique déterminant à résoudre. Ce qui n’est pas simple. Pour l’heure, la fragmentation des multiples «résistances» est dominante, ce qui révèle leurs faiblesses relatives.
Depuis 2011, plus de 100 écoles et crèches ont été fermées. Une enseignante d’une école spécialisée de la ville de Larissa (chef-lieu de la Thessalie), après avoir appris, le vendredi 26 juillet, son transfert dans le «pool de réserve» – ce qui implique une perte de salaire immédiate de 25% et le licenciement dans 9 mois – a perdu connaissance. Conduite à l’hôpital, le samedi 27 juillet, elle décédait. Elle avait demandé une exemption de cette mesure, car elle avait été opérée du cœur, il y a un an. Par téléphone, un membre du Ministère de l’éducation rejetait sa requête. Pas de hasard. Elle était connue comme membre active du Comité des enseignants opposé au mécanisme du «pool de réserve», à la réduction drastique du nombre des enseignants et à la fermeture d’écoles dites déficitaires. Il fallait licencier cette militante et, ainsi, la condamner à mort, de fait. Elle se trouvait sur la liste des 122 enseignants de Larissa «relégués dans la réserve».
Quasi au même moment, la presse grecque annonçait que l’installation du troisième bureau pour le volumineux vice-premier ministre Evangelos Venizelos – «social-démocrate» (en fait, ni l’un ni l’autre) – avait coûté 760’000 euros. Pas de réserve, ici, pour que le patron d’un PASOK – lui, plus qu’amaigri – puisse s’accommoder à son aise. Le «socialiste» français Jacques Attali, en 1992, avait fléché le chemin. En tant que patron de la BERD (Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement… à l’Est), il avait décidé de consacrer, entre 1991 et 1992, quelque 840 millions de francs pour l’équipement du nouveau siège dans la City de Londres. Cela incluait divers voyages et réceptions luxueuses, ainsi qu’un bureau en marbre de Carrare qui avait coûté 6 millions de francs, selon le directeur du budget de la BERD, Pierre Pissaloux. La BERD pensait surtout à se construire elle-même. Attali s’occupe maintenant d’une ONG, «PlaNet finance», «organisme de solidarité internationale»! Sur quelle planète Venizelos va-t-il atterrir?
Une multitude de luttes, une absence de mobilisation centralisée, d’une vraie grève générale
Les coups portés à Larissa contre les enseignants informent sur la violence de la guerre sociale menée par les dominants, mais aussi sur les tentatives de résistances organisées, de luttes, de mobilisations… Toutefois la synergie entre ces diverses oppositions, révoltes, contestations n’existe pas, pour l’heure. Or, une dynamique centripète construite, une grève politique de facto, constituerait un instrument nécessaire pour bousculer la politique des troïkiens et de leurs alliés grecs. En outre, pour faire face aux ordres de réquisition – politique militaire du gouvernement qui, par exemple, s’adresse à chaque enseignant par lettre et le menace de le licencier s’il ne se rend pas à son travail – une coordination de quelques mobilisations sectorielles s’impose. Sans quoi, la fatigue de réactions multiples à chaque coup reçu, non couronnées de résultats, peut gagner le corps social. Certes, les bastonnades infligées par l’application du troisième Mémorandum («plan de sauvetage») ont suscité une relance de la combativité en juin et juillet
Dès fin juin s’écroulait le mythe d’une sortie possible de la crise. Le conte répété dans divers pays d’Europe – «au bout du tunnel on aperçoit maintenant la lumière» – s’est interrompu. L’Institut du travail du GSEE (Centrale syndicale du secteur privé) estime que le taux de chômage pour le début de l’automne se situera à hauteur de 29 à 30%. Eurostat, en date du 2 juillet 2013, le situait pour mars 2013 à 26,8% de la population active, par rapport à 22,2% un an auparavant. La statistique officielle de l’Etat grec est en retard sur le rythme des mesures d’austérité. Les pays de l’UE enregistrent début juillet les «résultats» du chômage du mois de mai. Par contre, le nombre de jeunes ayant moins de 25 ans et non scolarisés qui sont au chômage est estimé à 59,2% en Grèce (en mars) contre 56,5% en Espagne et 42,1% au Portugal (en mai 2013).
Ne sont pas pris en compte divers facteurs, tels que l’émigration forcée de jeunes plus ou moins qualifiés (plus de 200’000 au cours des deux dernières années), l’effet de flexion qui pousse des personnes à ne pas chercher à entrer sur le «marché du travail» car elles se sentent «condamnées» par avance (par exemple, femmes d’un certain âge ayant un revenu plus que très réduit). Sans mentionner les personnes jugeant que la recherche active d’un emploi n’aboutira pas. Parmi elles se retrouve une part important des chômeurs et chômeuses de longue durée (12 mois et plus). Ces derniers, selon l’Institut grec de statistique, représentaient 888’700 personnes sur 1’355’200 chômeurs/euses (toujours en mars 2013.). Dès lors, ne recherchant plus activement un emploi, ils seront expulsés de la «statistique». Le chiffre statistique étant la concrétisation fétichiste du chômeur réel.
Ne sont pas pris en compte divers facteurs, tels que l’émigration forcée de jeunes qualifiés (plus de 200’000 au cours des deux dernières années), l’effet de flexion qui pousse des personnes à ne pas chercher à entrer sur le «marché du travail» car elles se sentent «condamnées» par avance. Sans mentionner de personnes jugeant que la recherche d’un emploi est condamnée d’avance, le renoncement les chômeurs et chômeuses de longue durée (12 mois et plus) qui, selon l’Institut grec de statistique, représentaient 888’700 personnes sur 1’355’200 chômeurs/euses, toujours en mars 2013.
Selon un sondage de l’Eurobaromètre paru en juillet (Public Opinion in the European Union; Fieldwork, May 2013; Publication: July 2013), 90% des Grecs interrogés ne font pas confiance au gouvernement et 89% ont la même attitude face au parlement; cette enquête a été menée à l’échelle européenne entre le 11 et le 25 mai 2013. Or, durant cette période, le gouvernement grec accentuait son discours sur le thème: «la situation économique commence à s’améliorer». Pourtant, 62% des Grecs, en mai 2013, pensaient que la situation économique irait en se dégradant. Ce chiffre est ascendant.
En outre, des données officielles sont sorties concernant les prétendus prêts «offerts par la Troïka», contre des ordres de «restructurations», de privatisations, de coupes dans les dépenses sociales. Le montant des dits prêts se répartit ainsi: 98,4% retournent directement dans les mains des créanciers internationaux, c’est-à-dire le FMI, la Banque centrale européenne et les Etats de l’Union européenne. Le 1,6% restant est consacré au budget de l’Etat grec… et participe, dès lors, à la hausse de l’endettement. Ainsi, sur les 236,8 milliards d’euros «prêtés» et les 25,6 milliards provenant des privatisations, depuis 2010, seulement 3,77 milliards «sont restés» en Grèce, pour l’essentiel sous forme d’adjonction à la dette publique. Voilà une illustration simple des mécanismes classiques des prêts pour «sauvetage public» (bail out) liés à des conditions de destruction humaine et économique d’un pays. Tout cela pour sauver «l’eurozone», comme l’expliquent Angela Merkel et Wolfgang Stäuble, qui visita la Grèce, sous haute surveillance, le 18 juillet. Dit autrement: les créanciers sont nourris par ceux qui crèvent de faim. Voilà la démonstration de cette équité invoquée par l’idéologie néolibérale. Ce terme d’équité a remplacé celui d’égalité. Or, il ne signifie rien d’autre que le calcul de ce qui est dû à quelqu’un. Selon quel critère le «dû» est déterminé? Qui calcule le dû? Et comment? Dans l’exemple chiffré donné ci-dessus, on trouve donc une raison de plus pour renforcer la revendication de non-paiement de la dette et pas seulement celle de «moratoire sur les intérêts» comme le demande Alexis Tsipras. D’autant plus que les principaux créanciers savent que la dette est impayable, hic et nunc. Et qu’ils maintiennent le peuple grec sous le chantage permanent et trompeur du versement conditionnel de tranches de crédit. Ainsi, Simon O’Connor, porte-parole de la Commission européenne, a annoncé par Twitter, le 26 juillet 2013, le versement d’une tranche de 2,8 milliards d’euros, prise sur le «paquet d’ensemble» prévu. Il disait aux Grecs, de manière subliminale: Partez à la plage, le soleil brûle, protégez-vous! Car les nouvelles couches d’austérité maintiendront la température à un haut degré lors de la rentrée automnale. Et pour se faire soigner, il faudra faire plus d’efforts que pour trouver de l’ombre au mois d’août.
Ces transferts aller-retour s’effectuent au moment où les ressources fiscales s’écroulent, malgré la hausse énorme des impôts directs et indirects qui frappent les salarié·e·s. Un impôt dit de solidarité, allant de 1 à 4% selon le revenu, devra être acquitté jusqu’en 2016 et la taxe d’urgence sur a propriété sera prolongée pour 2014. L’Union européenne constate que les objectifs de privatisation n’ont pas été atteints. Les revenus devant en découler étaient estimés à 2,6 milliards d’euros. Ils atteignent tout juste le seuil de 1,6 milliard. L’échec de la vente de la firme de gaz Depa au russe Gazprom en est une des causes. Non seulement les Etats-Unis et leurs alliés régionaux étaient opposés à la cession de Depa à Poutine-Gazprom, mais la firme russe a constaté l’endettement de grands industriels grecs aux dépens de Depa; et l’Etat grec ne reçut pas la permission de la Troïka de garantir le paiement de cette dette privée.
Vu sous un angle plus large, une récession dont l’ampleur est similaire à celle propre à une guerre – une chute du PIB (Produit intérieur brut), sur 5 ans, avoisinant les 29% – n’est pas exactement la condition idéale pour remplir les coffres du «Trésor public». Cela d’autant plus qu’une «caste de millionnaires», comme a dû le reconnaître le ministre des Finances Yannis Stournaras, est «intouchable». «Intouchables» grâce aux politiques de la Troïka, des partis gouvernementaux, du système bancaire transnational avec ses techniques appropriées. En Grèce, les millionnaires sont intouchables; en Inde ce sont les couches très paupérisées qui le sont, comme le fait remarquer un journaliste grec.
Les véritables «intouchables» de Grèce sont les immigré·e·s, jetés dans la misère la plus complète si ce n’est enfermés, de fait, dans des camps de concentration. Eux sont la cible quotidienne des forces de police, comme le sont les SDF du centre d’Athènes lors de la saison touristique.
Les néonazis d’Aube dorée renforcent leurs positions dans une couche de la population traumatisée par la crise et ont le soutien financier, direct ou indirect, de fractions capitalistes telles que celle des armateurs, dont les bateaux ne fonctionnent que grâce à une main-d’œuvre des Philippines ou de l’Indonésie, en plus des mécaniciens croates ou serbes. Aube dorée continue sa politique de substitution aux «autorités» en effectuant divers «contrôles» de cartes d’identité et en commençant à s’attaquer physiquement à des militants de gauche. Les sondages les placent à hauteur de 14% des intentions de vote. Le combat antifasciste et antiraciste aurait dû être abordé au Congrès de SYRIZA, en tant que thème grave lié directement à la lutte contre les programmes d’austérité et à celle pour les droits démocratiques et sociaux. Il le fut toutefois par des membres de la gauche de SYRIZA («Plateforme de gauche»), lors d’interventions de 7 minutes.
Programme et «gouvernement de gauche», de quoi parle-t-on?
Dans cette situation, la coalition SYRIZA se trouve confrontée à la question suivante: comment la gauche radicale peut-elle réclamer et conquérir le pouvoir sans perdre son âme? En termes concrets, la question posée est celle des alliances sociales et politiques, du programme, de la manière de conquérir le pouvoir gouvernemental et de ce que l’on entend, en termes de tâches et de devoirs, lorsque sont affirmés la perspective et le mot d’ordre de «gouvernement de gauche».
Par programme, nous n’entendons pas une liste de revendications. Tout d’abord, un programme doit être une façon de rendre compréhensible au plus grand nombre possible la dynamique de la situation du pays comme de la société; plus précisément celle des rapports entre les classes dominantes et leurs représentants politiques, d’un côté, et le prolétariat, au sens large, ainsi que ses alliés réels ou potentiels (petits paysans), de l’autre. Une compréhension qui s’éclaire grâce à une mise en relief des actions précises et concrètes du gouvernement Samaras et du patronat, en insistant sur leur responsabilité et en ne transférant pas l’ensemble du sort du pays et de sa population sur les décisions de la Troïka, qui sont, certes, importantes. En faisant de la Troïka la seule responsable de la situation, le piège d’une politique «d’unité nationale», de vraie collaboration de classes, d’endormissement des salarié·e·s, est mis en place. De manière complémentaire est stimulé un sentiment d’impuissance parmi les salarié·e·s, car les Führer troïkiens sont «trop loin, trop distants, trop intouchables». Cette façon de rendre compréhensible la situation concrète pour les masses laborieuses est certes liée à un travail analytique. Mais il ne s’agit pas de déverser des tonnes d’analyses sans en tirer des conclusions pratiques sur: que faire demain?
Simultanément, il faut rendre cette situation, dans ses déclinaisons sectorielles (écoles, santé, emplois, privatisations, etc.), sensible pour les salarié·e·s. Autrement dit, permettre aux plus larges secteurs possible des dites masses laborieuses, au travers de leurs pratiques de lutte et des revendications qui les accompagnent, d’envisager avec plus d’acuité les voies d’une résistance afin de passer à une contre-attaque. Une mobilisation-grève des enseignants doit trouver les modalités, y compris pédagogiques, pour que les travailleurs et travailleuses du secteur de la santé, de l’administration communale – et pourquoi pas de la police municipale? – puissent s’identifier comme menant ou devant mener un même combat. Ce qui implique de poser non seulement un acte de défense des salaires, du statut de l’enseignant – ce qui est prioritaire – mais de développer une idée supplémentaire, étroitement liée à la première: quel service public, quel enseignement, quelle éducation pour qui, pour quoi, avec quels moyens? Quels liens entre cela et la défense de l’emploi? Selon une telle orientation peut s’établir, plus aisément, une jonction avec les parents, les usagers. L’analogie avec une lutte dans le secteur de la santé est alors possible à être appréhendée.
Dans cette logique dynamique s’affirment les conditions d’un «gouvernement de gauche» fondé sur l’action massive, coordonnée, construisant une compréhension et une conscience communes. Cela à l’opposé d’un «gouvernement de gauche» prenant appui sur une majorité parlementaire construite à partir d’alliances douteuses et suscitant le maximum de délégation de la part de la population, avec des secteurs combatifs mis en stand-by, pour ne pas gêner l’activité dudit gouvernement de gauche, dont la lettre d’intention comportera, à coup sûr, des revendications «intelligentes» et «techniquement irréprochables».
Au cours des derniers mois, la direction Tsipras de SYRIZA a envoyé de nombreux signaux sur le fait que la coalition, dans ses diverses composantes, était en train d’adopter une approche modérée, de «centre gauche» concernant ces questions stratégiques. Beaucoup de membres dirigeants argumentent que dans un tel désastre social et devant les dangers de l’autoritarisme, il faut, en priorité, «sauver le pays». Ils en concluent que des politiques de gauche allant à la racine de la crise socio-économique et du régime politique en place doivent être, au mieux, reportées dans un futur hypothétique. Dans l’action de SYRIZA doit être effacée la ligne rouge indiquant la liaison entre l’affrontement immédiat, les besoins les plus ressentis les véritables obstacles à leur satisfaction, soit le complexe s’articulant autour de la propriété privée, des institutions régaliennes de l’Etat et de la politique gouvernementale en tant que conseil d’administration placé sous la surveillance des contrôleurs et réviseurs de comptes mandatés par les sommets de la Troïka. Ceux qui doivent montrer aux classes laborieuses européennes la punition méritée lorsqu’elles n’acceptent pas que les conquêtes sociales, issues de rapports de force et d’une période de «croissance économique» passée, sont à considérer comme ne correspondant plus aux exigences de la compétitivité mondialisée, le train à grande vitesse censé permettre à l’ensemble du prolétariat mondial de s’engager, demain, sur une courbe à plus de 250 km/h, sans danger pour les passagers. Et non pas pour les concepteurs du réseau productif interconnecté à l’échelle mondiale, ainsi que son support «naturel», son environnement.
En termes sociaux, une perspective de «gouvernement de gauche» de ce type abouti à un compromis, pour ne pas utiliser un autre terme, avec des secteurs des classes dirigeantes nationales ou internationales, pour mettre en place une «restructuration de l’économie grecque sur une base socialement juste». Cela a conduit Alexis Tsipras, dans son discours télévisé du 10 juillet devant un congrès de délégués encore parsemés – et avec plus de netteté dans des interventions suivantes – à laisser entendre que le «gouvernement de gauche» devrait avoir comme centre de gravité des ministres de SYRIZA, mais qu’il ne fallait exclure personne d’autre à l’exception d’Aube Dorée (les néonazis) et de la droite de la Nouvelle Démocratie.
Pour rappel, Antonis Samaras a quitté, en 1992, la Nouvelle Démocratie à cause de sa ligne ultranationaliste sur la Macédoine. Il créa alors son propre parti: le Printemps Grec, très à droite. Il eut des contacts avec le Front national de Jean-Marie Le Pen. Suite à des résultats électoraux médiocres et une non-participation aux élections de 2000, il rejoignit à nouveau la Nouvelle Démocratie, en 2004. Il sera alors le ministre de la Culture sous le gouvernement Karamenlis II. Il conduira une bataille clanique et idéologique pour prendre la tête de la Nouvelle Démocratie. Il obtiendra son poste, avec une majorité relative, en juin 2012. Ce point d’histoire indique le sens de la formule de Tsipras sur la composition et les alliances envisagées pour la formation de son hypothétique «gouvernement de gauche». En fait, DIMAR, des éléments du PASOK et d’autres «techniciens» convertis de la dernière heure seraient des candidats acceptables pour un tel gouvernement, un gouvernement de «salut national».
Or, Tsipras peut faire toutes les concessions qu’il veut, il est plus que probable que les secteurs dominants du capitalisme grec et leurs mentors internationaux ne vont pas acheter des propositions «d’ouverture» de ce type. Ce d’autant plus que son contrôle sur SYRIZA n’est pas hégémonique et solide et que SYRIZA ne contrôle pas la dynamique socio-politique – au contraire de ce que le PCI (Parti communiste italien) et la CGIL étaient aptes à faire en Italie, dans les années 1970-1980. En outre, SYRIZA ne détermine pas (encore?) la direction du gros des appareils du mouvement syndical, avec ses deux confédérations: ADEDY pour le public et GSEE pour le privé, secteur où son implantation est très faible, entre autres dans les moyennes et petites entreprises.
Sous les feux de la rampe, chauffer pour dissoudre
Dès le jeudi 10 juillet au soir, les enjeux du Congrès dit de fondation du nouveau parti SYRIZA étaient clairs. La soirée d’ouverture était mise en scène pour deux acteurs, Alexis Tsipras et Pierre Laurent du PCF. A la tribune sont montés, entre autres, des anciens militants communistes incarnant toute une histoire. Ils étaient précédés par les dirigeants des organisations fondatrices de SYRIZA en 2003, dont Antonis Ntavanellos de DEA (Gauche internationaliste ouvrière). Les anciens ont été plus applaudis que Tsipras lorsqu’il arriva sous les feux des projecteurs et des applaudissements concertés, saluant théâtralement ses «alliés internationaux». Le genre de signe que les conseillers expérimentés du dirigeant de 39 ans ont décelé de suite. Manolis Glezos, né en 1922 et héros de la résistance anti-nazie, n’était pas présent. N’ayant pas eu droit à une discussion avec la direction Tsipras sur la question de la dissolution des organisations (entre autres la sienne), il boycotta cette ouverture «lumineuse».
Le discours de Tsipras était articulé autour de trois thèmes: 1° le danger du régime autoritaire qui se renforce; 2° l’importance, dès lors, de défendre la démocratie sans qualificatif (pas les droits sociaux et démocratiques conquis dans les luttes, ce qui constitue une donnée du passé proche et du présent en Grèce); 3° la lutte pour la «justice sociale». Pas une allusion aux luttes qui se déroulaient ce jour-là, afin d’en tirer des enseignements sur la stratégie à venir. Des phrases indiquant une ouverture à des alliances politiques et sociales larges.
Comme toujours dans ce genre de discours – qu’il lisait car «on» le lui avait écrit – le venin est dans la queue. Au nom de la fondation, enfin, d’un «parti unifié et démocratique», il était nécessaire de mettre fin à la coalition des 14 partis qui formait SYRIZA. La proposition était emballée dans un papier de fête dont ont le secret des élèves de l’eurocommunisme: «il faut que chacun et chacune puisse s’emparer du parti, que le peuple puisse disposer de cet instrument en mettant tout le monde sur le même pied, donc en dissolvant les partis et organisations qui composent SYRIZA». Pour preuve, le jeudi matin du 10 juillet, Synaspismos (Coalition de la Gauche, des Mouvements et de l’Ecologie), principale composante numérique de SYRIZA, s’était dissoute. Ce fait accompli devait servir d’indication exemplaire pour les autres groupes, mouvements ou organisations. Ainsi, seuls le président de SYRIZA devant être élu par le Congrès (et non par le Comité central) et la direction majoritaire autour de lui resteraient organisés et s’empareraient, sans débats futurs, du «grand parti démocratique que tous les Grecs attendaient». L’essentiel du Congrès va tourner autour de cet objectif décisif pour la direction Tsipras afin de renforcer sa crédibilité auprès de ce qu’elle considère ses interlocuteurs importants, des secteurs du PSOK et des fractions bourgeoises censées accueillir ses avances. Ce qui est illusoire, par ailleurs, dans le contexte national et international présent. Les questions politiques les plus urgentes ont donc été abordées, pour l’essentiel, par des intervenants de divers courants autres que celui de la majorité, en particulier des délégué·e·s de la Plateforme de gauche.
En vedette américaine – celle qui passe avant Johnny Halliday pour entretenir la salle dans un spectable normal, mais qui en l’occurrence a passé après le chanteur vedette, Tsipras – les congressistes ont eu droit à Pierre Laurent, du Parti communiste français (PCF). Il est intervenu après avoir quitté, pour un instant, ses camarades de la Gauche unie européenne (GUE), assis au premier rang. Il concluait la soirée spectacle. Son discours traduit en grec sur les haut-parleurs n’était audible que sur le canal zéro de la traduction. Un nombre emblématique.
Laurent, au nom du Parti de la gauche européenne (PGE), révèle d’abord la situation politique européenne favorable au PGE et à ses perspectives: «Ils n’ont aucun soutien populaire. C’est pour cela qu’ils bafouent la démocratie, nient les souverainetés populaires, les droits politiques et sociaux des citoyens. Ils n’ont aucun avenir politique. Ils sont en sursis. Ce sont des “gouvernements zombies”!» Puis il souligne les avancées de cette gauche: «En 2012, vous [SYRIZA] êtes passés à l’offensive en revendiquant le pouvoir, en rassemblant autour d’un projet de progrès pour la société grecque. Votre force est devenue la première force de gauche du pays. Elle a rendu crédible la perspective d’une politique alternative. Elle est aux portes du pouvoir aujourd’hui. Les défis sont très grands. Il faut reconstruire la société, ses structures de solidarité, ses outils productifs, sa démocratie. Il faudra trouver les voies pour le respect de sa souveraineté face à une UE dominée par les marchés et les néolibéraux. La solidarité européenne et les luttes pour la refondation de l’UE seront déterminantes. Vous pourrez compter sur les forces du PGE pour ouvrir les espaces de convergence nécessaires, au niveau européen, entre les forces politiques de gauche, avec les forces sociales et syndicales. Les conditions de cette union sont plus favorables aujourd’hui comme le démontrent l’Altersummit [qualifié par beaucoup de militant·e·s de rencontre estivale pour la bureaucratie syndicale européenne qui se donne à ces occasions des airs de combattant européaniste et pour des représentants, pour l’essentiel salariés, d’ONG diverses, tout cela à l’ombre du PGE et de la droite de SYRIZA, ce qui n’altère pas grand-chose] qui s’est réuni à Athènes le mois dernier [en juin], les évolutions de la Confédération européenne des syndicats [la CES financée par l’UE!] et la première grève générale coordonnée du 14 novembre dernier.» Verbatim. Vous ne rêvez pas.
Pierre Laurent, magnifique (pas le Florentin du XVe siècle italien), conclut par un coup de gong: «En 2004, nous étions ensemble, Synaspismos et mon Parti, le Parti communiste français, pour fonder le PGE. Nous avons beaucoup avancé en suivant chacun notre route, mais en ayant la même trajectoire. Les progrès des uns ont renforcé les autres et ensemble nous avons fait grandir le PGE.» L’horizon, pour Pierre Laurent et le PGE, ne s’éloigne pas trop lorsqu’ils s’en rapprochent. Il est normal car Laurent le définit ainsi: «Nous allons préparer les élections européennes de 2014 qui seront un moment crucial pour changer le rapport des forces en Europe, pour renforcer le groupe GUE-NGL au Parlement européen.» Le travailleurs et travailleuses européens attendent impatiemment mai 2014. Ses «amis» du Parti de gauche et du Front de gauche français, du moins les composantes présentes, ne faisaient pas une mine trop réjouie. Mais ils ont fait leur choix. A eux de l’assumer. Pour ce qui est d’IU (Izquierda Unida, Espagne), du Bloco de Esquerda du Portugal, de Die Linke d’Allemagne, de Rifondazione communista d’Italie, du PC Finlandais, du PC d’Autriche… et même afghan, tout «baignait dans l’huile». La confiance dans Tsipras, qui «a même réfléchi aux nouveaux billets à imprimer», en cas de sortie de l’eurozone, comme le soulignait un économiste réputé portugais, est là pour concrétiser les espoirs (vains) de ceux qui pensent que la classe dominante européenne est prête à faire des cadeaux à une majorité parlementaire «vraiment de gauche», sans même mentionner le groupe du GUE qui fait vibrer les travées à Bruxelles et Strasbourg.
A ce sujet, un des arguments avancés par la direction Tsipras à propos de la mise à mort de la coalition était le suivant: si nous ne sommes pas un parti unifié, nous risquons de ne pas obtenir les 50 sièges supplémentaires attribubés au parti arrivant en tête des futures élections en Grèce. Or, cette question avait été réglée formellement (au plan juridico-constitutionnel) avant les dernières élections. Cette anecdote à propos d’une rumeur permet de saisir la façon dont le débat avait été choisi d’être conduit par la direction Tsipras lors du Congrès de fondation. La seconde partie de cet article établira le lien entre les débats et résultats du congrès et la situation en Grèce début août. (30 juilllet 2013)
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