Par Thanassis Kourkoulas
Une semaine après la victoire politique historique de la gauche lors des élections, le parti néonazi Aube dorée a tenté de confirmer son influence en organisant une mobilisation nationale à l’occasion de l’anniversaire d’Imia [1], le samedi 31 janvier à Athènes.
Quelque 2000 fascistes organisés sont arrivés en bus de plusieurs régions de Grèce. Ce n’est pas un nombre insignifiant, mais ce n’est que l’ombre des parades haineuses, beaucoup plus massives, qui furent organisées en 2013 et 2014.
Simultanément, on pouvait dénombrer la présence de 5000 personnes dans la marche antifasciste allant de la place Omonia à celle de la Constitution [Syntagma]. Ce fut la plus grande mobilisation jamais réalisée en riposte aux fiestas fascistes à propos d’Imia. Malgré l’influence électorale des néonazis (6,2% aux dernières élections) – qui est principalement due à la droitisation de la Nouvelle Démocratie et à sa défaite annoncée – les capacités organisationnelles de néonazis ont diminué.
Cette bonne nouvelle ne signifie pas que nous en avons terminé avec ces forces nazies. Le maintien de leur emprise électorale confirme le jugement du mouvement antifasciste selon lequel les poursuites judiciaires contre leurs dirigeants sont loin d’être suffisantes pour marginaliser Aube dorée. D’autant plus que l’influence électorale parmi les forces de police reste importante, entre autres dans des corps spéciaux où l’on a constaté un vote significatif. En outre, immédiatement après les élections, des incidents ont révélé une coopération entre la police et des membres d’Aube dorée contre les antifascistes à Kavala [ville dans le nord de la Grèce] et à Halandri [quartier d’Athènes]. Cela a confirmé les liens étroits entre eux.
Il est bien évident que les tentatives de remobiliser les membres d’Aube dorée vont s’intensifier au cours des semaines et mois à venir. Ils parient sur la libération prochaine de Michaloliakos [le Führer d’Aube dorée, qui est en garde à vue] et d’autres dirigeants à la fin de la période de 18 mois de détention qui se termine fin février 2015 ; ce d’autant plus que le procès d’Aube dorée a été retardé au maximum. Ils utilisent les besoins du système en leur faveur, en agissant comme une digue et en tant que facteur pouvant susciter la peur du mouvement social et de la gauche, alors que la bataille pour renverser la politique l’austérité sera menée contre l’Union européenne, les banquiers et les bailleurs de fonds. Ils espèrent un faux pas possible de SYRIZA, un échec de la gauche dans le contexte de la lutte contre les politiques d’austérité. Cela afin d’apparaître comme des sauveurs de la nation et ceux qui punissent effectivement un système politique pourri et en particulier la gauche. Ils cherchent à profiter de la montée de l’extrême droite en Europe et misent sur l’hystérie anti-musulmane volontiers cultivée par la droite et les gouvernements sociaux-démocrates de l’UE. Pour toutes ces raisons, le mouvement antifasciste et la gauche doivent se remobiliser de manière dynamique aux plans politique et idéologique en réponse à cette menace fasciste qui demeure.
Le procès à venir d’Aube dorée ne peut pas rester (contrairement à diverses tendances au sein de la gauche) sur le terrain exclusif du pouvoir judiciaire. La tentative des membres d’Aube dorée de se présenter comme des victimes persécutées par l’establishment politique doit rencontrer une riposte à l’intérieur comme à l’extérieur de la salle d’audience, dès le début du procès.
Dans le même temps, nous devons exiger du nouveau gouvernement de couper le cordon ombilical des fascistes avec les forces de la police et de l’armée, en relançant l’enquête concernant la pénétration d’Aube dorée au sein de l’armée et de la police. Cela afin d’en écarter tous ceux qui ont été impliqués dans des opérations de coopération avec des sections d’assaut d’Aube dorée ou qui ont manifesté une tolérance face à leurs crimes. Le gouvernement devrait interdire les défilés haineux des fascistes qui aboutissent à frapper et à briser la tête de militants locaux, de réfugiés et d’immigrés.
Mais, avant tout, le gouvernement doit mettre en question le cadre institutionnel raciste qui, au cours des dernières années, a créé le terreau pour les néonazis ; en prenant une série de mesures telles que la suppression des camps de concentration [la ministre de l’Immigration Tasia Christodoulopoulou l’a annoncé, au même titre que Yiannis Panoussis, ministre de la Protection des citoyens, le 14 février 2015], la cessation de toutes les opérations de rafles ainsi que la démilitarisation des frontières. A cela doivent s’ajouter la citoyenneté à tous les enfants d’immigrés [ce qui est sur la voie de se faire], la légalisation des travailleurs migrants vivant dans le pays et la reconnaissance immédiate de dizaines de milliers de réfugiés de guerre.
Des déclarations telles que celles du sous-ministre de l’Ordre public comme quoi la barrière de l’Evros [Marica en translittération internationale, antique Hèbre] a des conséquences bénéfiques pour la région de la Thrace orientale n’aide en rien pour mettre en question les mythes racistes qui nourrissent le fascisme. En outre, les forces nationalistes qui sont installées au sein du gouvernement (principalement les ministères de la Défense et des Affaires étrangères, les Grecs indépendants) non seulement n’affaiblissent pas le populisme nationaliste, mais peuvent conduire (si elles ne sont pas contenues) à des affrontements avec la Turquie.
Pour toutes ces raisons, la lutte pour la marginalisation du fascisme passera ces prochains mois inévitablement par un débat idéologique et politique au sein de la gauche et, en particulier, par rapport à sa version gouvernementale. La réponse à l’islamophobie et à l’homophobie, la participation active de la gauche dans le combat antifasciste, la défense sans concession des immigrés et des réfugiés comme partie intégrante de la classe ouvrière et l’approche internationaliste anti-impérialiste concernant relations internationales du pays – à l’encontre d’un nationalisme expansif se fondant sur les «droits souverains» – constitueront quelques-uns des domaines de cet affrontement critique au plan des idées et de la politique à conduire. (Paru dans La Gauche ouvrière,organe de DEA, le 4 février 2015 ; traduction Antonis Martalis)
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1. Imia (en turc: «Kardak») est formé de deux petites îles grecques inhabitées (celles de l’est et celle de l’ouest). En fait, il s’agit de deux îlots rocheux. En 1996, ces îles ont été sur le devant de la scène car réclamées par la Turquie et la Grèce. Cela a débouché sur une crise des relations turco-grecques, connue comme la crise d’Imia. Les nazis d’Aube dorée commémorent chaque année «l’affrontement» face aux forces turques, en organisant des manifestations. (NdT)
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