Par Romaric Godin
L’appel d’Alexis Tsipras à l’Allemagne à ne pas “jouer avec le feu” traduit surtout une impuissance face au jeu de Wolfgang Schäuble qui n’a jamais abandonné son projet d’une exclusion de la Grèce de la zone euro…
Alexis Tsipras a donc voulu se montrer ferme ce dimanche 12 février devant le congrès de Syriza en appelant le ministre fédéral allemand Wolfgang Schäuble à « ne pas jouer avec le feu ». Mais derrière ces énièmes rodomontades de l’hôte de Maximou, le Matignon hellénique, se cache en réalité un cri de désespoir. Car le Premier ministre grec, qui, depuis le mois de juillet 2015 tente d’obtenir la bienveillance des créanciers voit progressivement se refermer sur lui un piège redoutable, dont il doit se résoudre à n’être que le spectateur avant d’en être la victime.
La stratégie du gouvernement grec
Pour saisir la situation, il faut d’abord comprendre ce que le gouvernement grec a cherché à obtenir avec le troisième mémorandum signé en août 2015 et indirectement validé par les électeurs helléniques au cours des élections du 20 septembre suivant. Alexis Tsipras avait promis de respecter le programme signé, tout en préservant les intérêts grecs et en se voyant in fine « récompensé » par des concessions des créanciers. En clair : la Grèce entendait assouplir au maximum les exigences des créanciers, puis les appliquer et utiliser cette application pour obtenir des conditions plus avantageuses en termes d’objectifs et de restructuration de la dette. Il s’agissait, dans l’esprit d’Alexis Tsipras, de changer de logique face à l’application à la lettre des demandes de la troïka des gouvernements de 2010 à 2015.
Les objectifs d’Alexis Tsipras
L’objectif principal du gouvernement grec était notamment la révision de la dette publique, principalement détenue par les États de la zone euro et les institutions européennes. Pour cela, Alexis Tsipras pouvait compter sur une particularité de ce troisième mémorandum : la divergence radicale dès le départ entre les créanciers européens et le FMI. Le FMI refusait d’entrer dans le programme sans restructuration de la dette, tandis que les Européens refusaient toute coupe dans le stock de dettes, mais voulaient la participation du FMI. Dès lors, en se montrant bon élève sur le plan budgétaire, Alexis Tsipras pouvait espérer obtenir un ralliement des Européens aux positions du FMI et l’abandon par ce dernier de ses demandes de réformes radicales, notamment sur les retraites. Dans ce débat, Alexis Tsipras avait, du reste, choisi son camp : il n’a cessé pendant un an et demi de dénoncer le FMI, espérant ainsi pouvoir mieux négocier, seul, face à ses créanciers européens.
Impuissance grecque
Mais toute cette stratégie s’est révélée perdante. Avec le troisième mémorandum, la Grèce a définitivement perdu la maîtrise de son destin. A plusieurs titres. D’abord, parce que, comme les précédents, ce mémorandum était irréaliste dans ses exigences. Cet irréalisme a une fonction : celle de maintenir une pression permanente sur le gouvernement grec et, finalement, le réduire à l’impuissance. Aussi, face à Athènes, les créanciers peuvent toujours présenter une ligne non remplie de « réformes » qu’il faut réaliser avant de toucher les fonds promis. Ceci contraint Athènes à devoir accepter une tutelle permanente qui ne lui laisse aucune marge de manœuvre réelle. Les longues discussions pour la conclusion de la deuxième revue qui ont lieu actuellement succèdent aux mêmes scènes toujours renouvelées depuis 2010. En ceci, Alexis Tsipras n’a rien pu réellement changer. Bien au contraire, il lui a fallu accepter de nouvelles concessions comme les expulsions des résidences principales et même un vrai « troisième mémorandum et demi » au printemps 2016 prévoyant notamment des baisses « automatiques » de dépenses en cas de déviation de l’objectif d’excédent primaire.
Maigres bénéfices
Parallèlement, la capacité de résistance d’Alexis Tsipras aux exigences des créanciers n’a guère été démontrée. Mieux même, les excellents résultats budgétaires de la Grèce (l’excédent primaire – hors service de la dette a été de 2 % du PIB en 2016 contre un objectif de 0,5 %), n’ont guère donné plus de force à la parole du gouvernement grec, comme l’a prouvé l’épisode de la prime aux retraités du mois de décembre. Voulant utiliser une faible partie de l’excédent, Alexis Tsipras avait annoncé une prime aux pensionnés les plus fragiles. Les créanciers ont réagi vivement, suspendant les mesures de réduction des intérêts futurs décidés un peu plus tôt, avant d’accepter cette prime moyennant un engagement futur à renoncer à toute annonce de ce type. Au printemps, la réforme des retraites promue par le gouvernement avait été acceptée par les créanciers moyennant des baisses automatiques de dépenses en 2018 en cas de déviation de l’objectif. Du reste, malgré ses résultats, le gouvernement grec n’a pas obtenu son intégration par la BCE (pourtant remboursée jusqu’ici rubis sur l’ongle par Athènes) dans le programme de rachats de titres de la banque, le QE, qui conduirait à des baisses de taux bienvenues. Bref, la stratégie d’Alexis Tsipras n’a que des succès très ponctuels à présenter.
Croissance fragile et insensible
Le retour à la croissance est lui-même très fragile, dépendant largement du contexte de négociations avec les créanciers. De plus, même si le taux de croissance promis par la Commission européenne en 2017 (2,7 %à, se réalisait, ceci ne réglerait en rien le problème du gouvernement : cette reprise est non seulement tardive, mais, acquise avec des baisses de salaires et de dépenses sociales, elle ne sera pas en mesure de réduire les inégalités et les maux de la plupart des citoyens grecs. L’OCDE a récemment montré combien ce type de croissance renforçait les inégalités. La forte pression fiscale sur la classe moyenne et les plus faibles, encore renforcée par la dernière hausse de la TVA, va continuer de peser lourd dans l’appréciation d’un niveau de vie en chute libre depuis 2010. Alexis Tsipras ne pourra guère jouer sur la croissance pour retrouver la confiance de son peuple.
L’impossible décision « politique »
La colère d’Alexis Tsipras s’explique donc sans doute par ce sentiment d’avoir été joué, une fois de plus. Alors qu’il a cherché en permanence des négociations avec ses créanciers, il s’est retrouvé en permanence face aux exigences de l’Eurogroupe. En bref, alors qu’il voulait une négociation « politique », Alexis Tsipras a été renvoyé à des discussions « techniques ». C’est exactement ce qui s’est passé lors du premier semestre 2015. Devant le congrès de Syriza, Alexis Tsipras a donc, sans surprise, « demandé à la chancelière » de mettre au pas Wolfgang Schäuble. Demande qui ressemble à s’y méprendre aux appels de juin 2015 lorsqu’il attendait de ses rencontres avec la chancelière une issue au bras de fer avec l’Eurogroupe. En réalité, la chancelière, plus que jamais en délicatesse dans les sondages, n’a pas de raison de faire ce plaisir à Alexis Tsipras contre le très populaire Wolfgang Schäuble. Ce dernier a donc les mains libres. L’Eurogroupe peut donc continuer à faire pression sur la Grèce. Cette semaine doit donc déterminer de nouveaux « efforts » et de nouvelles « réformes ». Un travail de Sisyphe qui, évidemment, épuise le pays et sa population. Alexis Tsipras est donc enfermé dans une stratégie perdante, condamné à pousser au bout une logique dont l’absence de résultats a fait ses preuves.
Le non-dit du mémorandum de 2015
Or, parallèlement, le dernier acte du débat avec le FMI semble se dessiner. Pendant dix-huit moins, Eurogroupe et FMI ont joué un jeu de faux-semblants, faisant croire que leurs positions pouvaient s’accorder. En réalité, l’accord était impossible et le refus du FMI de rejoindre le plan en 2015 en était la preuve. Le Fonds a dû en 2010 et 2012 tordre le bras de ses propres statuts pour entrer dans la cavalerie financière inventée par Bruxelles, Berlin et Francfort. En 2015, il n’était pas possible de renouveler l’opération : ni les États-Unis ni les émergents n’acceptent plus une telle méthode au profit d’Européens dont les méthodes ont si clairement échoué. Aussi le Fonds a-t-il réclamé un changement de méthode, passant par des coupes massives dans le stock de dettes et certaines réformes ciblées en retour. Un retour à la démarche habituelle du FMI qui a été réaffirmée la semaine dernière par le Fonds.
Le piège se referme
Or, ces exigences sont simplement inadmissibles pour Wolfgang Schäuble qui reste fidèle à la doctrine édictée par Angela Merkel en 2010 : « pas un euro pour la Grèce ». Cette doctrine pouvait supposer des prêts, mais exclut toute coupe dans la dette, ce qui signifierait des dons. Wolfgang Schäuble n’a jamais eu l’intention d’accepter un tel geste. Pas plus aujourd’hui qu’en août 2013, lorsqu’il a accepté le mémorandum sous condition d’une participation future du FMI. Le ministre allemand des Finances savait donc parfaitement ce qu’il faisait : la participation du FMI n’était, en réalité, pas possible. Une fois cette vérité découverte, Wolfgang Schäuble pourra rouvrir la question refermée en 2015 de la participation de la Grèce à la zone euro. Car, si le FMI refuse de participer au programme, ce dernier deviendra caduc pour Berlin, une des conditions de son existence étant tombée. Sans argent du programme, la Grèce n’aura alors que deux options : ou réclamer une nouvelle « aide » au seul MES, sans appel au FMI et donc en excluant définitivement l’option d’une coupe dans la dette publique ou bien une sortie de la zone euro de la Grèce qui ne réglera pas le problème (sauf à faire défaut) puisque la dette publique est sous contrat international et libellée en euros.
L’application du programme Schäuble?
Wolfgang Schäuble, en juillet 2015, avait proposé la sortie de la Grèce de la zone euro pour « cinq ans ». Cette option avait alors été rejetée par Angela Merkel, mais le ministre fédéral des finances n’a pas dit son dernier mot. Il a placé un ver dans le mémorandum qui a fini par le ronger et qui, inévitablement, va venir reposer la question. Wolfgang Schäuble avance dans son projet propre d’organisation européenne conforme à son fameux projet de 1994, signé avec Karl Lamers : celle d’un « noyau dur » de la zone euro. Et dans les deux cas cités plus haut, cette option va se rapprocher : il s’agira de corriger la zone euro actuelle, soit par une exclusion des « mauvais élèves », soit par une correction encore plus sévère avec plus de réformes et plus de conditions d’excédents primaires après 2018. Dans les deux cas, il s’agit aussi de présenter de nouvelles règles non-écrites aux autres pays de la zone euro pour l’avenir : s’ajuster unilatéralement ou sortir. Au-delà de la Grèce, c’est donc l’avenir de la zone euro qui se joue en Grèce : si les plans de Wolfgang Schäuble s’appliquent, c’en sera fini des rêves de zone euro plus équilibrée et plus solidaire.
Duel avec Angela Merkel
Quand cette épreuve de vérité aura-t-elle lieu ? On pourrait penser qu’Angela Merkel n’a guère intérêt à voir la crise grecque s’enflammer à nouveau. Mais si la CDU est en réelle difficulté, elle pourrait tenter de montrer sa fermeté face aux « Grecs indolents » et, ainsi, rassembler autour de la popularité de Wolfgang Schäuble pour ramener vers elle une partie de l’électorat conservateur. Dans ces conditions, le débat entre la chancelière et son ministre des Finances sera déterminant. En 2015, Angela Merkel avait utilisé Wolfgang Schäuble comme « père fouettard » utile pour faire monter les enchères. Cette fois, saura-t-elle maîtriser la situation, souhaitera-t-elle faire contrepoids à son très populaire ministre ? L’avenir le dira. En attendant, le FMI est conscient de la situation et reste prudent pour ne pas déclencher la crise. Mais cette prudence ne saurait durer éternellement : le programme se termine dans moins de deux ans. En tout cas, toutes les conditions d’une nouvelle déflagration sont réunies et cette dernière semble inévitable.
Quant à Alexis Tsipras, il ne peut rien faire contre cette logique infernale dont il est à la fois spectateur et victime. Il voit le piège se refermer lentement, à mesure que le FMI s’éloigne du programme. Il tente donc de se raccrocher à une fantomatique stratégie « politique », mais il sait que son sort et celui du peuple grec ne dépendent que du bon vouloir de l’Eurogroupe, c’est-à-dire de Wolfgang Schäuble. (Article publié par La Tribune, le 13 février 2017, à 17h30)
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