Les traitements inhumains infligés aux migrant·e·s en Grèce sont connus et reconnus. Ils subissent aussi bien le harcèlement policier, des conditions de détention infra-humaines dans lesdits camps de rétention que les attaques des nervis d’Aube dorée. En outre, par dizaines, enfants, femmes et hommes meurent noyés dans la mer Egée et leurs corps sont parfois retrouvés (voir ci-dessous la vidéo consacrée à ce sort tragique). Dans la nuit du 19 au 20 janvier 2014, onze (ou douze migrants) sont morts dans les eaux froides de la mer Egée près de l’île grecque de Farmakonisi. Un des survivants rapporte: «Lorsque le bateau grec nous tirait de plus en plus vite en faisant des zigzags, l’eau rentrait de partout dans le bateau, alors les femmes et les enfants se sont réfugiés dans la petite cabine. Ils se sont retrouvés piégés lorsqu’on a sombré», explique Abdul Sabur Azizi, 30 ans. «Nous les hommes, on a réussi à se hisser à bord du bateau grec malgré les tentatives pour nous en empêcher. Un Grec a coupé la corde reliant les deux bateaux», soutient encore Monsieur Azizi.» (Le Monde, 1er février, p. 2)
Suite aux témoignages des survivants, diverses manifestations ont eu lieu devant les bureaux de Miltiadis Varvitiotis, ministre de la Marine, entre autres le jeudi 30 janvier. Les manifestants, membres de la Jeunesse de SYRIZA, demandaient, au même titre que le HCR et différentes organisations de défense des migrants et des demandeurs d’asile, qu’une enquête indépendante soit menée et que les survivants ne soient pas expulsés de Grèce afin qu’ils puissent témoigner dans la procédure judiciaire. La réponse fut immédiate: la police a brutalement attaqué les jeunes de SYRIZA, un député de cette coalition et le maire de Komotini. Selon une méthode aujourd’hui traditionnelle, les manifestants furent accusés de «comportements agressifs» justifiant la brutalité policière, qui est devenue coutumière et qui s’exerce de plus en plus face à tout type de manifestation d’opposants au régime, de fait d’exception(s), de Samaras.
Le ministre de l’Ordre public, Nikos Dendias, le jeudi 30, sur la chaîne Skai TV, déclarait: «Les migrants de l’Union soviétique [sic] arrivant en Suède ont une bonne qualité. Nous faisons face à des migrants du Bangladesh et de l’Afghanistan avec une autre culture, d’un autre monde. C’est notre malheur.» Voilà une forme extrême de l’option avouée dans de nombreux pays européens de la migration choisie. Ce qui a valu à ce ministre de «l’Ordre public» une réplique d’un humour grinçant de la part d’un journaliste proposant de placer sur les côtes de l’archipel grec des banderoles indiquant: «N’entrez pas si vous ne possédez pas un diplôme universitaire, un minimum de qualifications».
La situation des migrants en Grèce est devenue si insupportable, si cruelle que certains «choisissent» de retourner en Turquie, quitte à être attachés à d’autres chaînes, comme l’illustre l’article ci-dessous. (Rédaction A l’Encontre)
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Par Guillaume Perrier
En bas de l’échelle métallique qui descend à la cave d’un immeuble lépreux, la porte s’ouvre sur un réduit sans fenêtre, glacial, qui laisse juste la place d’étendre quelques matelas. Ibrahim Khalil, un jeune Sénégalais, partage l’endroit avec cinq de ses compatriotes.
La journée, il parcourt Istanbul pour vendre des montres, des ceintures ou des portefeuilles sur les trottoirs et les marchés. Le soir, il regagne son refuge dans le quartier de Kumkapi, là où se croisent des milliers de migrants, clandestins ou non, aux origines diverses. L’ancien quartier arménien est devenu une plaque tournante pour les voyageurs clandestins en chemin vers l’Union européenne (UE). Mais aussi, désormais, pour ceux qui en reviennent.
Ibrahim et ses cinq compagnons ont séjourné plusieurs années en Grèce, mais ils ont récemment fait le choix de rebrousser chemin. «En trois ans passés entre Istanbul et Thessalonique, j’ai vu la situation se dégrader. Maintenant, la Grèce est un pays dangereux où tout le monde souffre», raconte Ibrahim. Emmitouflé dans une couverture, Ousmane, qui a fait le même trajet, renchérit: «C’est un soulagement d’être en Turquie, là-bas , nous finissions par avoir peur de nous faire tuer.» Depuis quelques mois, expliquent ces deux Sénégalais, les migrants sont de plus en plus nombreux à quitter la Grèce, chassés par la crise économique et par les violences racistes, pour retourner d’où ils étaient venus, à Istanbul.
La Turquie, une solution de repli
Deux étages plus haut, dans le même immeuble, Zahir Sayeed et sa femme Parveen ont posé leurs maigres bagages il y a trois mois. Ibrahim «vient souvent discuter», en grec, avec ce petit homme de 32 ans, originaire du Bangladesh, passé comme lui par la Grèce. M. Sayeed dit avoir quitté Athènes après l’agression raciste dont a été victime l’un de ses amis, au printemps 2013. Des membres du parti Aube dorée, affirme-t-il, étaient venus faire une razzia anti-immigrés sur une place du centre-ville. Le couple vivait terré chez lui. Sa communauté a commencé à retourner en masse vers la Turquie, par petits groupes. A Istanbul, depuis qu’il est revenu, il coud des sacs et des chaussures dans un petit atelier. Le salaire – 200 lires turques (65 euros) pour soixante heures hebdomadaires – lui permet de survivre.
La Grèce, principale porte d’entrée des migrants vers la zone Schengen, tend à devenir une impasse. Ceux qui peuvent se faire envoyer un peu d’argent essayent de poursuivre leur route clandestine en passant par la Macédoine, la Serbie et la Hongrie, ou encore par la Bulgarie.
Mais pour des milliers de migrants en difficulté, la Turquie, dont l’économie reste dynamique, offre une solution de repli moins coûteuse. Cette tendance risque de se renforcer. La Turquie et l’UE ont en effet signé, en décembre 2013, un accord de réadmission des migrants entrés dans l’UE par la Turquie. Il prévoit que les autorités turques devront prendre en charge les clandestins interpellés dans la zone Schengen. En contrepartie, les Turcs seront progressivement autorisés à voyager en Europe sans visa.
«Ici, même les imams sont policiers»
La décision de faire demi-tour a été synonyme de renoncement pour le couple Sayeed, pour qui la Turquie n’était qu’un pays de transit. Le voyage depuis le Bangladesh leur avait coûté plus de 20’000 euros. Ils espéraient arriver jusqu’au Royaume-Uni. «Une fois que nous avons réussi à entrer en Europe, nous avons vu que ce n’était pas aussi facile que ce que nous avions imaginé», concèdent-ils. Pour revenir à Istanbul, il leur a fallu franchir clandestinement la frontière une deuxième fois et emprunter à rebours la route qui leur avait permis de gagner l’UE trois ans plus tôt. En contournant le mur qui, entre-temps, a été construit par la Grèce.
A Alexandroupolis, une ville proche de la frontière turque, les passeurs organisent désormais les trajets dans les deux sens. Ils se font à pied, de nuit, à travers champs, avec parfois la traversée périlleuse du fleuve Evros. «Nous n’avons pas croisé un seul garde-frontière et nous sommes arrivés le matin à Edirne», se souvient Ousmane. Pour réclamer de l’aide et un lieu pour se reposer, le groupe de Sénégalais se rend alors à la mosquée. «Cinq minutes après, la police venait nous arrêter. Ici, même les imams sont policiers», s’offusque Ibrahim.
Dans le centre de rétention d’Edirne, où ils sont placés durant trois jours, se croisent les flux migratoires. Si les migrants «économiques» sont tentés de revenir sur leurs pas, d’autres continuent à fuir en masse. «Nous arrivions de Grèce et nous étions enfermés avec des dizaines de personnes, en majorité des Syriens, qui essayaient d’y aller », note Ibrahim. « Mais eux fuient une guerre, ils partent sans se retourner», ajoute Ousmane. (Article publié dans Le Monde, 1er-2 février 2014)
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