Par la rédaction de rs21
Liz Truss est maintenant à la tête du parti Tory et sur le point de devenir Première ministre [elle a été nommée officiellement par la reine Elizabeth le 6 septembre] – mais elle n’a pas de réponse aux crises qui affectent presque tous les aspects de la vie en Grande-Bretagne.
Deux tiers des banques alimentaires disent qu’elles vont manquer de nourriture cet hiver et qu’elles devront refuser des personnes. Plus de six millions de personnes sont inscrites sur les listes d’attente du NHS (National Health Service). En cas d’urgence médicale, comme une attaque cérébrale, une ambulance met en moyenne un peu moins d’une heure à arriver, alors que le délai cible est de 18 minutes.
Les compagnies des eaux ont déversé des eaux usées non traitées dans les cours d’eau plus de 370 000 fois en 2021. Seul un train sur trois reliant Londres à Manchester est programmé pour circuler. La sécheresse généralisée n’est qu’un exemple de la crise climatique.
Alors que les gens désespèrent de l’avenir, Liz Truss et Rishi Sunak ont passé l’été à démontrer que s’attaquer à ces problèmes n’est pas une priorité pour eux. En ce qui concerne le coût de la vie, les plans vantés de Liz Truss pour réduire l’impôt sur le revenu, les contributions des salarié·e·s et des employeurs à la National Insurance [pièce maîtresse de l’Etat social] et la TVA offrent très peu à ceux qui en ont le plus besoin. Les personnes faiblement rémunérées ne paient pas beaucoup d’impôts sur le revenu ou de cotisations sociales, et la nourriture est détaxée de la TVA.
Mais malgré toute la rhétorique de Liz Truss sur les forces du marché, il semble maintenant que son gouvernement sera contraint de faire une volte-face radicale pour éviter une explosion de colère sur le coût du carburant. Des informations filtrant du Parti conservateur divulguent des plans pour un gel des prix de l’énergie, sans toutefois donner de détails sur la manière dont cela pourrait fonctionner. Robert Peston [responsable politique d’ITV News] met déjà en garde contre ce que cela pourrait nous coûter dans les années à venir. Mais même si les mesures d’urgence parviennent à éviter la crise immédiate des prix de l’énergie, le nouveau gouvernement doit faire face à de nombreuses autres lignes de fractures sociales et économiques.
Le NHS est à genoux, mais il n’y a aucun signe d’une quelconque politique de Liz Truss en matière de santé. Les loyers dépassent l’inflation alors que des millions de locataires ne bénéficient pas d’une sécurité de base, mais le logement n’a pas non plus été mentionné lors de la course à la direction du Parti conservateur. Quant au climat, Liz Truss veut augmenter les forages de gaz, et éventuellement commencer la fracturation hydraulique, alors que nous devrions remplacer les combustibles fossiles par des énergies renouvelables. Ajoutez à cela les services sociaux, l’éducation, l’Irlande du Nord, les transports, l’Ecosse, les retombées continues du Brexit, la quasi-certitude d’une nouvelle poussée de Covid plus tard cette année… Crise? Quelle crise?
Pour consolider son pouvoir, on peut s’attendre à ce que Liz Truss lance une série d’attaques contre les cibles préférées des Tories. Attendez-vous à plus de lois pour rendre la grève plus difficile. Attendez-vous à davantage d’attaques contre les migrant·e·s et au retour de l’ignoble projet d’expulsion des réfugiés vers le Rwanda. Attendez-vous à davantage de guerres culturelles et d’attaques contre les personnes transgenres, en particulier avec la transphobe Suella Braverman en lice pour le poste de ministre de l’Intérieur [1].
Liz Truss s’est présentée aux membres du Parti conservateur comme une dirigeante de droite dure, mais elle est une Thatcher de comptoir. Thatcher a construit un consensus derrière ses politiques néoconservatrices qui incluait les grandes entreprises, les électeurs conservateurs de la classe moyenne et même certains travailleurs. Actuellement, le Financial Times souligne que les conservateurs n’ont pas de réponse aux problèmes majeurs du capitalisme britannique, tels que les soins de santé et le logement. De nombreuses personnes de la dite classe moyenne sont touchées par la flambée des factures d’énergie. Plus de la moitié des électeurs conservateurs (par opposition aux membres) sont désormais favorables à la renationalisation des entreprises énergétiques.
Liz Truss est également dans une position beaucoup plus faible que Boris Johnson. Elle devient Première ministre sans l’attractivité de Johnson auprès des électeurs, sans la ruse ou la gloire d’avoir réussi le Brexit, et alors que le Labour jouit d’une avance à deux chiffres dans les sondages électoraux. Lors du vote initial des députés conservateurs, Liz Truss n’était la «première préférence» que d’un sur sept d’entre eux, et lors du vote final, elle était encore le «premier choix» de moins d’un sur trois. Elle n’a même pas obtenu la majorité des membres du parti Tory qui ont voté pour elle, un sur six n’ayant pas voté. Et elle est à la tête d’un parti parlementaire conservateur qui n’a pas de consensus sur la stratégie à adopter – les réductions d’impôts et le marché libre ne permettront pas de réaliser le programme de «nivellement par le haut» sur lequel les députés conservateurs du «mur rouge» comptent pour conserver leurs sièges [2].
Un grand avantage pour la nouvelle administration, bien sûr, est l’opposition inadéquate fournie par le Parti travailliste de Keir Starmer. La stratégie générale de Starmer a longtemps consisté à démontrer aux électeurs et électrices qu’il n’est pas Jeremy Corbyn. Aux pouvoirs en place, il veut démontrer qu’il est une personne sûre à qui l’on peut faire confiance pour gérer l’Etat britannique. Son incapacité à comprendre le désespoir de millions de personnes a fait perdre aux travaillistes 90 000 membres, soit plus d’un sixième de leurs effectifs, l’année dernière.
Même un centriste comme Andy Burnham [maire du Grand Manchester, ayant servi dans le gouvernement de Gordon Brown] a pris la parole lors d’un rassemblement «Enough is Enough» [mouvement social menant campagne pour l’augmentation des salaires, la réduction des factures d’énergie, contre la pauvreté alimentaire, pour des logements décents pour tous, pour la taxation des riches] et a critiqué l’interdiction faite par Keir Starmer aux membres du cabinet fantôme de participer aux piquets de grève. En août, lorsqu’il a été question qu’Unite – le deuxième plus grand syndicat britannique – se désaffilie du Labour, les alliés de Keir Starmer ont répondu que «nos sondages monteraient probablement en flèche du jour au lendemain» [alors que le soutien populaire aux diverses grèves est très élevé]. Il ne s’agit pas seulement d’une politique de droite, mais d’une incompétence remarquable.
Heureusement, Liz Truss doit faire face à une opposition beaucoup plus significative de grèves comme celles du rail et de la poste, et de campagnes comme «Don’t Pay» et «Enough is Enough». Les grèves du syndicat RMT (National Union of Rail, Maritime and Transport Workers) et du CWU (Communication Workers Union) ont été solides. Les dirigeants syndicaux interviewés dans les médias ont touché des millions de personnes. Un rapide coup d’œil au site web du syndicat Unite montre que les grèves ont permis d’obtenir des augmentations de salaire à deux chiffres dans une liste croissante de firmes locales du secteur privé. Cependant, lorsqu’il s’agit de grèves nationales, où le gouvernement tient les cordons de la bourse, la victoire ne sera pas facile. Liz Truss sera déterminée à affronter les syndicats plutôt que d’être vaincue dès les premiers mois de son mandat. Les travailleurs et travailleuses devront très probablement faire pression pour que les modalités actuelles de conduite des grèves, sur un ou deux jours, s’intensifient et pour que s’établisse une plus grande coordination entre les secteurs en lutte, afin de maximiser la pression sur le gouvernement.
Jusqu’à présent, «Don’t Pay» [voir sur ce site l’article publié le 26 août] a obtenu l’engagement de près de 160 000 personnes à annuler leurs prélèvements automatiques le 1er octobre si les prix de l’énergie ne baissent pas. Il s’agit d’un énorme succès – la campagne de base a permis d’inscrire à l’ordre du jour de l’opinion publique l’idée de ne pas payer, de faire comprendre aux Tories qu’ils s’affrontent à une grave révolte et de pousser les gens à agir.
«Enough is Enough», lancé par les directions de plusieurs petits syndicats, a organisé des rassemblements stimulants et a rapidement développé une énorme liste d’adresses de contact. Les tracts distribués lors de l’événement de Londres promettaient la création de sections locales, la solidarité sur les piquets de grève et de mettre à l’ordre du jour la désobéissance civile. Le potentiel de militantisme est énorme, comme l’a montré la réunion massive le 30 août devant la cathédrale de Manchester, qui a rappelé les milliers de personnes qui s’étaient rassemblées il y a plusieurs années au même endroit pour écouter Jeremy Corbyn. Mais l’un des inconvénients du corbynisme est qu’il s’agissait souvent d’attendre que Corbyn prenne des mesures depuis en haut, plutôt que d’inspirer les gens à agir par eux-mêmes. Des sections locales du mouvement, une implication plus large et un accent mis sur l’activité des membres peuvent aider à transformer le potentiel d’«Enough is Enough» en une réalité.
Les prochaines actions d’envergure sont les manifestations régionales et locales d’«Enough is Enough» le 1er octobre, le jour où les factures d’énergie doivent augmenter, la manifestation We All Want To Just Stop Oil le même jour à Londres, manifestation qui lie les tensions sur le coût de la vie à l’urgence climatique. Le jour suivant se tiendra l’Assemblée du peuple (People’s Assembly) devant la conférence du parti Tory à Birmingham . Mais il y aura de nombreuses protestations dans les mois à venir. Préparez-vous à sortir dans la rue et à mettre Liz Truss sous pression à partir d’aujourd’hui. (Article publié sur le site rs21, le 5 septembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Selon Le Monde du 6 septembre: «Suella Braverman, 42 ans, conseillère juridique du gouvernement et initialement candidate au poste de première ministre, est pressentie au ministère de l’intérieur. Très à droite, elle héritera du dossier des milliers de migrants illégaux arrivant sur les côtes britanniques, pour lesquels la ministre sortante souhaitait les envoyer au Rwanda.» (Réd. A l’Encontre)
[2] Lors des législatives générales de 2019, le «mur rouge» travailliste, c’est-à-dire les régions du nord de l’Angleterre affectées par la désindustrialisation et favorables au Brexit, a été conquis par le Parti conservateur. Ces députés tories ne désirent pas perdre leur siège. (Réd. A l’Encontre)
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