Par Jean-Claude Mas
La machine à expulser a montré, cet été, l’étendue des drames et illégalités qu’elle était capable de générer. Entre juillet et août, elle a enfermé, puis libéré, près de 300 exilés d’Erythrée, d’Afghanistan et du Soudan fuyant des persécutions ou des zones de conflit. Elle a enfermé des familles avec enfants en bas âge pour faciliter leur expulsion. Elle a enfermé et tenté d’expulser une personne atteinte d’un cancer en stade avancé. Elle doit rendre compte de la mort par asphyxie d’une personne survenue lors de son transfert à l’aéroport…
A l’abri des regards et peu connue de l’opinion publique, la rétention administrative s’est, peu à peu, banalisée. Le nombre de places dans les centres de rétention a doublé en une décennie, passant de 969, en 2004, à plus de 1800. Chaque année, la France enferme plus de 40’000 personnes dans ces «prisons» qui, nous dit-on, n’en sont pas, avec pourtant, leur lot de murs et barbelés, sas, verrous et portes closes, caméras de surveillance et cellules d’isolement. Alors que la rétention administrative devait, sous cette majorité, «redevenir l’exception», elle constitue toujours l’instrument majeur d’une politique d’éloignement violente et ravageuse. Pour les personnes étrangères, enfermées au seul motif qu’elles ne disposent pas des bons papiers, elle symbolise des lieux d’injustice et de désespoir. Le régime de la rétention administrative est toujours régi par la loi, particulièrement répressive, de juin 2011, si fortement décriée à l’époque par la majorité actuelle : une intervention tardive du juge des libertés et de la détention aboutissant à ce qu’en 2013, 60% des personnes expulsées l’ont été avant que son contrôle de légalité puisse s’exercer, une durée excessive de rétention à quarante-cinq jours alors que les personnes enfermées sont rarement expulsées au-delà des dix premiers jours, une parodie de justice quand les recours s’avèrent ineffectifs en outre-mer…
A ce cadre législatif inchangé s’ajoutent trop souvent des pratiques inutilement répressives de préfectures, qui enferment des personnes sans perspective réelle d’expulsion, des personnes en situation régulière dans des pays de l’espace Schengen ne faisant que transiter par la France, ou encore des personnes malades ou vulnérables comme des familles, dont la situation est, manifestement, incompatible avec un enfermement. Face à ces drames et à ces souffrances répétés, à ces humiliations, à ces illégalités, à ces absurdités parfois, dont l’été 2014 s’est fait le triste écho, que propose, en matière d’éloignement forcé, le projet de loi sur le droit au séjour des étrangers soumis au Conseil des ministres du 23 juillet ? Pas grand-chose malheureusement.
L’une des mesures phares porte sur une généralisation de l’assignation à résidence que le ministère de l’Intérieur présente comme, dorénavant, «la mesure de droit commun en matière de privation de liberté des étrangers». Soit, mais alors, pourquoi maintenir le même nombre de centres de rétention administrative ? Pourquoi prévoir le même nombre de places puisque le droit commun de référence ne sera plus l’enfermement ? A quand l’annonce d’une fermeture d’une partie de ces centres, conséquence logique d’un retour à l’exception ? Tout laisse à craindre que cette assignation à résidence-là, très contestable dans les conditions d’application et de contrôle envisagées (en légalisant notamment l’interpellation des personnes à leur domicile et dans les foyers d’hébergement), ne remplacera pas la rétention, mais s’y ajoutera, comme une mesure de plus de mise à l’écart des «indésirables».
Ce projet de loi ne prévoit pas, par ailleurs, de revenir sur les mesures les plus répressives de la loi Besson de juin 2011. Ainsi, continuer à expulser des personnes étrangères avant le contrôle juridictionnel du juge des libertés et de la détention ? Pas grave. Maintenir des durées d’enfermement disproportionnées, inutiles et traumatisantes ? Pas grave. Un droit dérogatoire en outre-mer, nettement défavorable aux étrangers ? Pas grave.
Depuis trente ans, l’enfermement des étrangers en France, en vue de leur expulsion, n’a cessé de se développer. Aucune véritable réflexion de fond ne remet en question le bien-fondé de cette politique. Aucune réflexion n’est portée sur l’atteinte à la dignité humaine que représente la privation de liberté d’hommes, de femmes et d’enfants, au seul motif qu’ils ne disposent pas des bons papiers administratifs, au seul motif qu’ils sont migrants, réfugiés, exilés, voire touristes. Le bilan est désastreux, il est plus que temps d’y réfléchir. (Tribune publiée dans la page Rebonds, p. 25, du quotidien Libération, lundi 22 septembre 2014)
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Jean-Claude MAS est Secrétaire général de la Cimade (Comité inter mouvements auprès des évacués)
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