France-dossier. «Retraites: le 7 mars en ligne de mire»

Manifestation contre la réforme des retraites à Albi, le 16 février 2023

Par Pierre Jequier-Zalc

Les syndicats avaient prévenu: la participation à cette cinquième journée de mobilisation risquait d’être un peu en baisse. Les pronostics n’ont pas été déjoués. 300 000 personnes ont ainsi été comptabilisées à Paris par la CGT, soit le plus faible total depuis le début du mouvement. Ce sont 1,3 million de personnes qui ont défilé, selon les syndicats, et 440 000 selon les autorités.

Pour cause, cette mobilisation intervient en pleine période de vacances d’hiver pour deux zones sur trois, et à la suite d’une semaine de double manifestation – le mardi 7 et le samedi 11 février. Pour les syndicats, ce n’est d’ailleurs pas l’affluence du jour qu’il faut regarder.

«Les démonstrations de force ont déjà eu lieu. On a mobilisé comme jamais on ne l’avait fait depuis 30 ans. L’idée de cette journée est de maintenir le souffle du mouvement, et de montrer l’expression de la rue en parallèle des débats à l’Assemblée nationale», explique Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la CFDT.

50 000 personnes à Albi

En parallèle de la mobilisation de rue, les débats continuent de faire rage dans l’hémicycle. La Nupes a supprimé de nombreux amendements, pour essayer d’accélérer le rythme du débat parlementaire qui doit se terminer vendredi soir. Du côté syndical, on espère que l’Assemblée nationale pourra se prononcer sur l’article 7 du projet de loi. C’est lui qui prévoit de reporter l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans.

«Il serait bon qu’on puisse avoir l’avis factuel des députés sur cette question», a souligné Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, depuis Albi [Tarn, région Occitanie]. Avec les autres leaders syndicaux, il s’est déplacé dans cette ville de quelque 50 000 habitants pour soutenir les importantes manifestations dans les villes moyennes.

Selon l’intersyndicale, 50 000 personnes ont participé à cette mobilisation dans la préfecture du Tarn ce 16 février. Un chiffre historique, plus de deux fois supérieur au 31 janvier, où les syndicats revendiquaient 20 000 participants.

D’Albi à Paris, tous les syndicalistes et manifestants ont le 7 mars en ligne de mire. A cette date-là, qui interviendra à la fin des vacances scolaires, l’intersyndicale appelle les Français à «mettre la France à l’arrêt». «Le 7, on espère que ce sera beaucoup plus massif que ce qu’on a déjà fait jusqu’à présent, avec des formes différentes de mobilisation», confie Marylise Léon.

«Nous souhaitons que tous les salarié·e·s s’arrêtent de travailler, que des commerces décident de baisser le rideau… Qu’on montre que sans les travailleurs et travailleuses de ce pays, le pays ne tourne pas», abonde Marie Buisson, membre de la Commission exécutive de la CGT. Une intersyndicale est d’ailleurs prévue ce jeudi soir pour discuter des modalités et de l’organisation de cette journée de tournant pour le mouvement social.

Dans le cortège parisien, cette date du 7 est d’ailleurs dans tous les esprits. «Le 7 mars, on sera là», entonnent certains manifestant·e·s. «J’espère que ça sera aussi gros qu’on l’annonce et que ça ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Sans grève générale reconductible, on ne fera pas céder ce gouvernement intransigeant», glisse Laurent, jeune retraité.

Déjà, certaines organisations syndicales ont annoncé une date de mobilisation le lendemain pour le 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, afin de souligner le caractère sexiste de la réforme. «On est en train de voir ce qu’on peut faire tous ensemble», confie Marylise Léon, alors que la CGT et Solidaires appellent à poursuivre les grèves.

Le 9 mars, les organisations de jeunesse ont également annoncé une journée de mobilisation pour durcir le mouvement. La rentrée s’annonce définitivement brûlante. (Publié dans Politis, le 16 février 2023)

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Que la grève dure et tout commencera

Par Kaoutar Harchi

La reconfiguration objective des modes de division par classes a entraîné, dans son sillage, la croyance en la fusion progressive des classes sociales, telle que théorisée, notamment, par Henri Mendras sous le nom de «moyennisation» de la société. Plus généralement encore, une certaine doxa libérale s’est empressée de crier à la disparition de la classe. La classe est morte. Mort à la classe.

Or il n’en est rien: en matière de patrimoine constitué, de revenus perçus, de confrontation au travail précarisé et au chômage, tout concourt à montrer que les membres de la classe bourgeoise – qui «ont plus de dîners que d’appétit» – sont protégés, tandis que ceux de la classe prolétaire – qui «ont plus d’appétit que de dîners» [1] – sont exposés. La distance entre les positions sociales dominantes et dominées persiste. Au vrai, rien ne se moyennise. Tout s’extrémise.

Bien que contredite par un ensemble de travaux de recherche, il semblerait pourtant que la tentation est toujours grande de laisser entendre que la lutte a fait son temps, que désormais tout le monde baigne dans le même bain. Allez, tous dans la pataugeoire!

Le projet de réforme des retraites porté par Elisabeth Borne tient de cette rhétorique de l’effort commun, équitable, l’effort juste et nécessaire, l’effort rendu à la nation, l’effort pour l’avenir, l’effort pour nos enfants, que nous devrions tous faire pour «sauver le système».

Mais quel système? Le système de la mise à mort des corps. Ni plus ni moins. Car travailler plus longtemps, c’est faire travailler plus longtemps certains corps – les corps des femmes et des racisés –, c’est allonger le temps de leur exploitation, c’est se donner plus de chances de tuer ces corps avant qu’ils puissent faire autre chose que travailler. Quelque chose comme vivre libéré. C’est alors ce «système à sauver» qui doit mourir. Pas nous.

En ce sens, la grève, une grève de forme permanente, comme une révolution, est bien plus qu’une mise à l’arrêt, bien plus qu’un temps mort. C’est, au contraire, un commencement. La reconquête du temps. Le temps de ceux et de celles qui passent des heures, du matin au soir, dans les transports car, leur temps perçu comme ne valant rien, que pourraient-ils faire d’autre que se rendre au travail?

Le temps de ceux et de celles qui n’ont le temps de rien, ni de dormir, ni de se soigner, ni d’être avec leurs proches. Le temps de ceux et de celles que l’on maintient en dehors de tout temps à soi pour que leur temps soit tout entier un temps aux autres, comme leur vie, comme leur corps, comme leur force est déjà aux autres.

Il ne faut plus alors se rendre au travail, il faut se rendre aux manifestations, aux assemblées générales, il faut se rendre aux réunions syndicales, il faut se rendre aux piquets de grève et exiger que tout nous soit rendu. (Article publié dans Politis, le 15 février 2023)

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[1] Pensées, maximes et anecdotes, Nicolas de Chamfort, 1803 (posthume).

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«Les 7 et 8 mars: la jonction possible et nécessaire entre la grève pour le retrait d’une contre-réforme et la grève des femmes»

Déclaration du NPA

Le 16 février est la 5e journée de mobilisation d’un mouvement historique contre la réforme des retraites. Dans plusieurs villes, les manifestations du samedi 11 février étaient les plus grosses de l’histoire! Face à cela, Macron et le gouvernement se donnent une image d’intransigeance.

Mais comment maintenir une réforme aussi injuste qu’injustifiée alors que 90% du monde du travail rejette ce projet? Macron et sa clique ont perdu leur légitimité, mais ont choisi de poursuivre le bras de fer. Ainsi, si l’on en croit Nathalie Saint-Cricq [cheffe du service politique de France 2], au soir du 11 février sur France 2, le gouvernement «est relativement confiant» et «table sur l’effet vacances. On se dit que le taux de grévistes jeudi dernier était en baisse de 10%. Finalement les manifestations, cela peut gêner, mais ce sont les grèves qui sont compliquées.»

La cheffe du service politique de France 2, habituée à faire le service après-vente du gouvernement, le dit elle-même! Ce qui se joue maintenant, c’est le blocage du pays pour mettre en échec la réforme et toute la macronie. C’est d’entraîner dans notre sillage encore plus de monde pour mettre un coup d’arrêt à la régression sociale.

Si le jeu parlementaire qui a cours en ce moment semble plus virulent que d’habitude, il a ses limites, toujours les mêmes. Le grand spectacle n’a jamais permis de véritables avancées pour les travailleurs et travailleuses. Il n’y a donc rien à espérer de ce côté-là: n’ayons aucune illusion!

Il est temps de solder les comptes

La profondeur de la mobilisation exprime un rejet massif de la réforme des retraites. Le mouvement porte aussi en lui des ­revendications plus larges.

D’abord pour nos salaires qui ont été amputés un peu plus par l’inflation. Nous devons exiger une augmentation générale de 400 euros pour toutes et tous. Personne ne devrait avoir un salaire inférieur à 2000 euros par mois. C’est un minimum pour vivre dignement! Par ailleurs, augmenter les salaires, c’est augmenter les cotisations pour les retraites. C’est la solution pour aller reprendre une partie des richesses que le patronat nous vole, et pour chercher l’argent qui permettrait de regagner la retraite à 60 ans après 37,5 annuités!

Les services publics détruits par des décennies de politiques libérales et de privatisations, la santé, l’école, le secteur de l’énergie, l’industrie pharmaceutique, doivent être immédiatement retirés du marché. Profits et bien commun, profits et écologie, sont incompatibles. Nous devons mettre les secteurs essentiels de l’économie au service du plus grand nombre. Cela permettrait là encore de récupérer des quantités colossales de richesses qui aujourd’hui sont accaparées par une petite minorité.

Pour gagner, cette fois-ci, pas de grève par procuration!

Le mardi 7 mars, l’intersyndicale appelle à mettre tout à l’arrêt, à bloquer le pays. Le mercredi 8 mars, la jonction sera faite entre grève contre la réforme et grève des femmes. Nous avons quelques semaines pour construire dans les entreprises, les quartiers et les écoles une riposte qui permette de faire reculer le gouvernement. Dans plusieurs secteurs, comme la RATP, des intersyndicales appellent à la grève reconductible à partir de cette date. Si nous voulons gagner, nous ne pouvons pas laisser quelques secteurs entrer seuls dans la reconductible. Certes les cheminot·e·s, les éboueurs/euses ou les raffineurs/euses ont un pouvoir bloquant plus visible que d’autres professions mais, isolés, ils et elles ne pourront pas tenir. Par ailleurs, l’arrêt de la production industrielle, des administrations, des enseignements… est tout aussi important. Il n’y a pas de secteurs inutiles. Tout le monde doit prendre sa part pour gagner!

En plus de l’arrêt du travail, il faut également réfléchir à des formes de blocages territoriaux. Par quartier ou par bassin d’emploi peut se discuter la question de participer au blocage du pays. Dans tous les cas, pour être plus fort·e·s, pour gagner en légitimité, il faut que partout, sur les lieux de travail, les quartiers ou les lieux d’études, nous organisions des assemblées générales, des réunions, pour discuter et nous organiser, avec les organisations syndicales, les forces politiques de gauche, les associations, et toutes celles et tous ceux qui veulent contribuer à la victoire.

Construire une alternative anticapitaliste à la macronie

Dans cette mobilisation, Macron et son gouvernement mettent en jeu la suite du quinquennat. Nous aussi! Nous voulons le retrait de la réforme mais également la chute de ce pouvoir politique qui ne s’arrêtera pas à la réforme des retraites si on le laisse faire.

Contre Macron et ses amis capitalistes, le NPA défend l’unité de toute la gauche sociale et politique. Et il met également en débat la construction d’une alternative politique anticapitaliste qui regroupe toutes celles et tous ceux qui, dans la foulée d’une mobilisation qui ferait tomber Macron et son gouvernement, sont prêts à mettre en place une politique qui soit aussi fidèle aux intérêts des travailleurs et travailleuses que Macron l’est au Medef et aux actionnaires du CAC 40. (15 février 2023)

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Pension minimale à 1200 euros: un bobard du gouvernement!

Par S. Bernard

La Première ministre Elisabeth Borne et le gouvernement ont martelé qu’aucune pension ne sera inférieure à 85% du Smic, soit 1200 euros brut avec la complémentaire. C’est un bobard, c’est-à-dire «un conte mensonger ou fantaisiste destiné à tromper», selon la définition du linguiste Alain Rey dans le Dictionnaire historique de la langue française.

Les petites pensions pourront être revalorisées mais à des montants inférieurs au chiffre annoncé et à condition qu’elles relèvent du minimum contributif, le «Mico». Ce dispositif en vigueur concerne les personnes ayant l’âge légal de départ à la retraite (allongé de 62 à 64 ans) qui ont cotisé le nombre requis de trimestres (entre 166 et 172 selon l’année de naissance) ou ont atteint 67 ans sans qu’il soit dans ce cas nécessaire d’avoir atteint le nombre requis de trimestres. Mais les personnes qui n’ont pas atteint le taux plein et qui ont liquidé leur pension avec une décote (un taux de minoration) n’auront pas le droit de bénéficier de cette mesure. En 2023, un assuré·e social qui a cotisé moins de 120 trimestres perçoit un minimum contributif de 684,13 euros par mois. Avec plus de 120 trimestres le montant est de 747,57 euros. Mais si le montant de cette pension additionnée à la complémentaire tous régimes (privé/public confondus) dépasse le seuil de 1309,75 euros par mois le montant du minimum contributif sera réduit de la différence.

Illusions perdues

Borne a déclaré que «les salarié·e·s et les indépendant·e·s qui ont travaillé avec des revenus autour du SMIC toute leur vie et justifient d’une carrière complète, à savoir 42 années de cotisation aujourd’hui et à terme 43 annuités dès 2027 pourront bénéficier de cette revalorisation». Or beaucoup de personnes sont contraintes d’arrêter de travailler pendant au moins une période de leur vie professionnelle, notamment les femmes qui risquent d’être particulièrement victimes de ce dispositif. Selon une enquête de l’Insee, en l’espace de 13 ans, seulement 7% des travailleurs et travailleuses payés au SMIC n’ont pas bénéficié d’augmentations de salaire! Et il n’est pas caché qu’il est peu probable de retrouver les 16 millions de dossiers individuels qui n’étaient pas informatisés avant 2010.

Selon l’étude d’impact du gouvernement la revalorisation serait en moyenne de 33 euros par mois pour 200 000 nouveaux retraité·e·s par année et de 57 euros pour les pensionné·e·s actuels. Elle ne concernera pas les fonctionnaires qui bénéficient d’une retraite minimum brute de 1250 euros brut pour une carrière complète.

Le ministre Olivier Véran [du Renouveau démocratique et porte-parole du gouvernement] renvoie les personnes qui ne sont pas éligibles à ce dispositif vers «le minimum vieillesse» appelé Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) depuis le 1er janvier 2006. Pour en bénéficier il faut être âgé de 65 ans ou plus et avoir des revenus inférieurs à 961,08 euros par mois pour une personne seule. Le montant de l’Aspa dépend de la situation familiale du demandeur et des ressources du foyer. A taux plein, l’aide est de 961,08 euros par mois pour une personne seule et de 1492,08 euros pour les personnes vivant en couple.

On peut gagner!

En 2003 était votée la loi Fillon où il était déjà indiqué que «l’objectif poursuivi est qu’un assuré ayant cotisé toute sa vie au SMIC ne puisse pas percevoir moins de 85% du SMIC en pension de retraite». Proclamation restée sans suite. Cette fois cependant nous sommes en grand nombre dans les manifestations, et la satisfaction de nos revendications est à notre portée. Amplifions notre mobilisation notamment par la grève reconductible! (Article publié sur le site de l’Anticapitaliste, le 16 février 2023)

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