Face à la santé, des Français pas si égaux que ça. La «double peine» des ouvriers

Vente organisee par le Modef, syndicat agricole d'exploitants familiaux, avec l'aide de militants du Parti Communiste (PCF), proposant des produits a des prix inferieurs à ceux du marche.

Par Eric Chol

En août 2010, l’Office fédéral de la statistique (OFS – Suisse) publiait une étude intitulée: «Travail et santé. Résultats de l’enquête suisse sur la santé 2007». Le silence médiatique sur cette étude importante fut quasi complet.

Les politiques d’austérité antisociales (santé, éducation, retraites) frappent l’ensemble des pays d’Europe, certes à des degrés divers Se multiplient les fermetures d’entreprises, les licenciements et explose un chômage de longue durée, conjointement à la «gestion intense et flexible» de la force de travail. Dans un tel contexte, le thème de la santé publique est politiquement explosif.

En effet, il met en lumière une des manifestations difficiles à justifier de l’inégalité sociale plongeant ses racines dans la structure de classes de la société. Pas étonnant, dès lors, que ces études ne soient pas trop diffusées.

Néanmoins, le quotidien économique français La Tribune publie, lui, un article, en date du 23 novembre 2010, en page 45 ! Il donne quelques indications sur un rapport confidentiel de l’Igas (l’Inspection générale des affaires sociales en France). Ce rapport réaffirme, une fois de plus, combien les «progrès dans la santé» profitent de manière socialement sélective à la population.

On aimerait que Le Temps, L’AGEFI ou la NZZ donnent à des rapports non confidentiels une place analogue. L’information n’est-elle pas une composante d’une «société démocratique» ? Ou est-ce une formule creuse ? (Réd.)

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Il y a quelques jours, le Secours catholique publiait son rapport annuel, une photographie sombre de cette France aux fins de mois difficiles. Or, dans la longue liste des injustices pointées du doigt par les auteurs, s’en dégage une, à la fois logique et inquiétante, liée aux dépenses d’alimentation.

L’étude compare le prix des étiquettes alimentaires avec le contenu du portefeuille des ménages aux ressources financières limitées. Impossible, concluent les auteurs, pour une famille avec enfants de «respecter les préconisations nutritionnelles et avoir une alimentation équilibrée et variée qui garantisse une bonne santé». La fameuse règle des cinq fruits et légumes par jour ? «Pour un couple avec deux enfants, la quantité quotidienne est au minimum de 2,8 kilogrammes et la dépense de 3.20 euros par jour», calculent les experts.

Or si on ajoute les autres recommandations alimentaires (trois produits laitiers, viande, œufs ou poisson une à deux fois par jour, pain, céréales…), la facture familiale pour se nourrir sainement atteint, au plus serré, 10.74 euros par jour. Pourtant, le budget quotidien disponible des ménages concernés ne dépasse pas 10.50 euros…

En réalité, seuls les Français au porte-monnaie bien garni suivent les conseils de diététique. Une étude du ministère de la Santé montre que la consommation de fruits est effectivement deux fois plus élevée chez les hauts revenus par rapport aux bas revenus.

Pessimiste ? Oui, mais en ligne avec les statistiques de la santé, qui fournissent un constat identique: la France, qui dispose d’un des meilleurs systèmes de soins du monde, et dont l’espérance de vie à la naissance est l’une des plus élevées de la planète, est aussi l’un des pays développés où les inégalités sociales de santé sont les plus prononcées.

Pis, elles se sont même creusées au cours des deux dernières décennies, et la crise économique n’a pas arrangé la situation. Un chiffre résume ces inégalités: l’importance des décès prématurés (avant 65 ans) en France. Ceux-ci représentent actuellement une mort sur cinq, la France se classant, selon une étude du magazine scientifique The Lancet, au 15e rang sur 21 pays européens passés en revue (et même au 19e rang si l’on considère uniquement la mortalité prématurée des hommes). «Globalement depuis 1968, la mortalité a diminué, mais certaines catégories en ont plus profité que d’autres», précise un rapport confidentiel de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) daté du mois d’août et consacré aux inégalités sociales de santé.

Le même document, que s’est procuré La Tribune, relève au passage que «les inégalités liées au niveau d’études ont augmenté depuis 1968». Conséquence: la différence d’espérance de vie entre un cadre supérieur et un ouvrier à l’âge de 35 ans atteint sept ans, le premier ayant encore 46 années de vie devant lui, contre 39 pour le deuxième.

Au début des années 1980, cet écart d’espérance de vie était de six ans. En trente ans, il s’est donc agrandi, légitimant les revendications sur le thème de la pénibilité du travail au moment du débat sur les retraites. «Les études indiquent que l’accroissement des écarts est dû à une baisse plus importante de la mortalité pour les groupes les plus favorisés, liés à la diminution des causes de décès», expliquent les auteurs de «L’État de santé de la population en France 2009-2010». (IGAS).

Sans compter que les ouvriers subissent ce que les experts appellent «la double peine». « En effet, sur les 47 années d’espérance de vie des cadres supérieurs, ils peuvent espérer en vivre 34 (73%) sans aucune incapacité (difficultés visuelles, auditives, de la marche ou des gestes de la vie quotidienne); un ouvrier de 35 ans, lui, vivra en moyenne 24 ans sans incapacité, soit 60% du temps qui lui reste à vivre», détaille le rapport.

Ce type d’injustice, qualifiée par les experts de «gradient social», se résume par une formule lapidaire: plus on est pauvre, moins on est en bonne santé.

Une lapalissade ? Sans doute dans les pays du tiers-monde. Mais plus difficile à accepter dans un pays comme la France qui a mis en place la couverture maladie universelle et qui consacre 11,2% de son PIB aux dépenses de santé (2e rang mondial, selon l’OCDE). Pourtant, chaque mois, les statistiques hexagonales égrènent des vérités souvent désagréables à entendre.

Ainsi, la proportion d’obèses est deux fois plus fréquente chez les ouvriers que chez les cadres. Un fléau qui a toutes les chances de se reproduire à la génération suivante, puisqu’en grande section de maternelle, «les enfants dont le père est ouvrier sont 13,9% à présenter une surcharge pondérale (et 4,3% une obésité) contre 8,6% (et 1,2% une obésité) pour ceux dont le père est cadre».

Autre exemple, la consommation de tabac, repartie à la hausse pour la première fois depuis les années 1990. «La prévalence au tabagisme quotidien a augmenté parmi les personnes sans diplôme, parmi les diplômés inférieurs au bac et parmi les diplômés de niveau bac. Elle a diminué parmi les individus de niveau supérieur au bac», détaille l’étude Inpes-Santé sur la consommation de tabac en France, publiée au mois d’octobre. Laquelle conclut: « Le fait que c’est parmi les chômeurs que l’on trouve la hausse de prévalence la plus forte entre 2005 et 2010 montre que les efforts à mettre en œuvre pour réduire les inégalités sociales en matière de tabagisme restent importants.»

Dans les pays développés, le constat n’est pas nouveau: l’Organisation mondiale de la santé (OMS) tire depuis plusieurs années la sonnette d’alarme sur les inégalités sociales de santé. De nombreux pays ont d’ailleurs déjà pris des mesures pour les résorber, à l’instar des Pays-Bas, qui veulent les réduire de 25% d’ici à 2020.

Avec retard, la France prend le train en marche. Roselyne Bachelot, lorsqu’elle était ministre de la Santé, a préparé le terrain de cette nouvelle stratégie. La lutte contre les inégalités de santé est désormais inscrite dans les objectifs des nouvelles agences régionales de santé: celles-ci seront évaluées notamment en fonction de l’indicateur de réduction de la mortalité prématurée. Cette politique repose largement sur l’impact des programmes de prévention et d’éducation.

Lesquels ont déjà prouvé leur efficacité, selon une récente étude, publiée en juin 2010 par le British Medical Journal et portant sur 15 pays européens. «Globalement, quand on considère toutes les causes de mortalité, 100 dollars par habitant investis dans le social et la prévention permettent de réduire de 1% la mortalité, expliquent les auteurs. Pour réduire via le soin de 1% la mortalité, il faut investir près de 10’000 dollars.»

Paradoxalement, à l’heure où les ministères raclent leurs fonds de tiroirs pour boucler les fins de mois, cette nouvelle orientation de la politique de santé vers plus de justice sociale ne pourra que satisfaire les argentiers de Bercy (ministère des finances).

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