Par Elise Gazengel
Le procès intenté aux indépendantistes catalans s’est transformé, mardi, pour son premier jour, en procès fait à la justice espagnole. Pendant cette phase initiale de questions préliminaires, les avocats des accusés ont profité de leurs interventions pour critiquer – de manière plus ou moins dissimulée – l’intégrité du pouvoir judiciaire.
• L’avocat Andreu van den Eynde, qui défend notamment l’ancien vice-président catalan Oriol Junqueras – sur qui pèse la plus lourde peine pour rébellion –, a été le premier à prendre la parole. Dans un long discours, il a affirmé que, selon lui, l’affaire judiciaire «empêche le développement d’une idéologie légitime» et «viole tous les droits de la Constitution».
De manière plus virulente, son homologue Jordi Pina, chargé de la défense de trois accusés de rébellion, a remis en doute l’impartialité du juge d’instruction ainsi que celle de plusieurs membres du Tribunal suprême, dont son président, Manuel Marchena.
Ponctuant ses invectives par des «avec tout le respect que je dois à ce tribunal», l’avocat n’a pas hésité à demander directement aux juges qu’ils «fassent leur travail de juges et non pas celui de sauveurs de la patrie» espagnole, avant de conclure qu’il s’agissait là de «reproches affectueux». Dans le même esprit, Benet Salellas, avocat de l’ancien leader d’association indépendantiste Jordi Cuixart, a qualifié ce procès de «défaite collective de la justice espagnole».
• Malgré ces dures critiques, le ton employé durant les rares échanges entre les membres du tribunal et les avocats de la défense a été cordial en tout point, tout au long de la journée. À l’intérieur de la Cour suprême, l’ambiance semblait plutôt sérieuse et appliquée, semblable à celle que l’on retrouve auprès de grands athlètes avant une course de fond. «Je vais bien, je suis prête et consciente que cela durera des mois, ce n’est qu’un jour de plus», nous expliquait, quelques minutes avant l’audience, Txell Bonet, compagne de Cuixart.
• À l’extérieur en revanche, les tensions qui cristallisent la société espagnole étaient palpables. Sympathisants unionistes et manifestants indépendantistes avaient profité de l’occasion pour se rendre au plus près de la Cour suprême afin d’afficher leurs positions. Çà et là, quelques drapeaux indépendantistes ou espagnols apparaissaient dans les rues adjacentes à l’édifice, protégé par plus de 200 policiers.
Dès 6 h du matin, près de quatre heures avant le début de l’audience, ils étaient une dizaine devant la porte du Tribunal suprême à affronter le froid madrilène. Quelques étudiants en droit et une majorité de militants du parti d’extrême droite Vox faisaient la queue pour assister au procès. Une cinquantaine de places de la salle d’audience était réservée au public. Dans la file qui grossissait de minute en minute, les partisans de l’ultra-droite en profitaient pour se présenter.
Étudiants, retraités ou travailleurs ayant pris un jour de congé, la plupart se rencontraient pour la première fois après avoir échangé pendant plusieurs jours dans un groupe WhatsApp créé pour l’occasion. «Attention! Je vous préviens : une fois dedans, vous vous taisez. Pas un sourire ni un regard complice à Javier», avertissait l’organisateur improvisé de cette réunion particulière.
«Javier» est en fait Francisco Javier Ortega Smith, numéro deux du parti et avocat de l’accusation populaire du procès, représentée par Vox [l’ultra-droite]. En Espagne, le ministère public ne détient pas le monopole de l’accusation pénale – lire ci-contre. Tandis que certains faisaient connaissance en expliquant leurs professions, d’autres commentaient les chances du parti pour les prochaines élections municipales, régionales et européennes du 26 mai prochain.
«Pour passer d’un bon résultat [Vox en Andalouise, et le «bloc» PP, C’s et Vox] un grand résultat, il faut qu’on gagne ce cirque médiatique», expliquait Pedro, retraité venu de la grande banlieue madrilène, à son voisin qu’il connaissait depuis 30 minutes à peine. Tous les deux sont d’accord : «Ce qu’ont fait les Catalans est pire que le coup d’État du 23 février » 1981, marqué par l’assaut armé du Congrès des députés par des officiers de l’armée et qui s’est soldé par un échec. [Dans la foulée de l’opération Galaxia, en 1978 – préparation d’un coup d’Etat, démantelé, qui aboutit à seulement 7 mois de prison pour Antonio Tejro lors d’un jugement passé en 1980 – ce dernier est réapparu sur les écrans de la TV, en tant que lieutenant-colonel, armé d’une mitraillette le 23 février 1981. Il menaça les députés – donc les «représentants du peuple» (sic!) – tous «planqués» avec célérité sous leur pupitre, à l’exception de Santiago Carrillo (PC) et d’Adolfo Suárez, le «patron de la transition». Ce dernier apporta son aide au général de division M.G. Mellado, vice-président de l’Assemblée, qui ordonna à A. Tejero de «rendre les armes». Quelques tirs dans le plafond dramatisèrent la situation dans l’Assemblée, mais le coup d’Etat était un acte assez bien préparé par des militaires se situant cœur du système issu du franquisme. Ils furent condamnés à des peines par la Justice militaire, sentences confirmées par le Tribunal suprême. Tejero, par exemple, fut condamné à 30 ans de prison; mais dès 1993, il jouit d’un régime ouvert, et est libéré en 1996. Réd. A l’Encontre)
• Dans l’autre camp, le président catalan, Quim Torra, était lui aussi présent à l’ouverture du procès. Il a également profité de l’attention médiatique pour poser avec des élus et des manifestants sous une pancarte où était inscrit «Décider n’est pas un délit». (Article publié dans Le Soir daté du 13 février 2019; reproduit avec l’autorisation de l’éditeur, https://journal.lesoir.be; titre de la rédaction A l’Encontre)
Soyez le premier à commenter