L’Espagne va bien! Du moins selon Rajoy…

Susana Diaz (présidente de la junte d'Andalousie) et Pedro Sanchez (secrétaire général du PSOE) lors du Comité fédéral du PSOE
Susana Diaz (présidente de la junte d’Andalousie) et Pedro Sanchez (secrétaire général du PSOE) lors du Comité fédéral du PSOE

Par Manuel Gari

Les symptômes d’une certaine reprise de l’activité économique et des affaires [indice PMI des directeurs d’achat, soit l’indice composite de l’activité globale, soit celui de la production manufacturière] dans l’État espagnol doivent être intégrés dans l’ensemble communautaire et international, desquels ils dépendent fortement de manières diverses.

Le PIB pourrait atteindre une croissance de 3% en 2016 selon diverses prévisions. Les problèmes ne découlent pas de ce chiffre modeste. Les problèmes découlent d’autres aspects.

• Le débat entre le PSOE (Parti socialiste ouvrier d’Espagne) et le PP (Parti Populaire) sur la reprise économique ne nous concerne pas, ce sont leurs affaires. Ce débat est une variante du «c’est toi qui le dit…». Face au triomphalisme du PP, cependant, il convient de rappeler que si le taux de croissance du PIB espagnol est supérieur à la moyenne européenne, c’est parce que dans le cas espagnol la dépression de 2008-2013 a été plus importante et que se produit actuellement un «effet de rebond», de «rattrapage». Il ne faut pas tomber dans le mirage de certains chiffres (le PIB, certaines données concernant les exportations, une reprise de la construction, depuis le sous-sol) sans les mettre en relation avec l’ensemble. Les chiffres concernant l’investissement industriel et le volume de la production (donc en chiffres réels) demeurent en deçà de ceux de 2008.

 • La dette dite souveraine n’a cessé de croître au point d’atteindre presque le total du PIB. Le contrôle des déficits budgétaires, qui justifiait comme un talisman les sacrifices des classes populaires, reste incontrôlable. Jeroen Dijsselbloem [ministre des Finances des Pays-Bas, président de l’Eurogroupe grâce à Wolfgang Schäuble; agronome et éleveurs de porcs] vient de rappeler que le Royaume d’Espagne ne remplit pas les objectifs de réduction des déficits. Il y a donc tout lieu de penser que le prochain gouvernement fera face à un dilemme dont la solution nécessite des idées claires et du courage.

Il est vraiment très difficile – suite aux excès de 2015 – que le déficit qui atteint 5% du PIB puisse baisser en 2016 au niveau exigé de 2,8% du PIB. La combinaison explosive de l’augmentation d’une dette impayable, mais que les créanciers peuvent exiger (en vertu de l’article 135 de la Constitution), ainsi que le maintien de la norme stupide qui fixe un plafond à 3% [du PIB] le déficit budgétaire sont un héritage pesant pour le nouveau gouvernement, quel qu’il soit.

Cela, sans même discuter: 1° à qui et à quoi sont destinées les sommes qui engendrent la dette (investissement productif et dépenses sociales? ou, au contraire, corruption et subventions au capital privé ?); 2° ni, non plus, à la possibilité d’une augmentation des rentrées fiscales par le biais d’impôts progressifs sur les bénéfices du capital et de la richesse accumulée (fortune).

Sans compter, surtout, que planent sur le panorama politique de nouvelles exigences communautaires [de la Commission européenne] en matière de coupes budgétaires à hauteur de 10 ou 12 milliards d’euros. Le gouvernement qui sera constitué suite aux élections du 20 décembre 2015 ou suite à des élections anticipées [en mai si aucun accord ne permet la constitution d’un gouvernement], soit se plie, soit tire des forces de la fragilité, ce pour quoi il aura besoin d’idées claires et de courage pour s’opposer à l’agression.

La reprise du commerce de détail (du secteur de la distribution) n’est pas arrivée aux ménages. La masse salariale et l’emploi stable et de qualité ont poursuivi une tendance inverse à cette augmentation du PIB et de la dette publique. Ce qui est encore plus grave, la dérégulation des rapports de travail progresse sans arrêt; si, en 2008, près de 12 millions de salarié·e·s étaient protégées par des conventions collectives, en 2015, en l’absence de l’établissement des dernières statistiques, seuls 6,5 millions de salarié·e·s sont couverts par des conventions (qu’elles soient bonnes ou mauvaises), ce qui signifie que la capacité de défense du mouvement ouvrier est très faible. L’économie ne va donc pas bien pour la majorité. [La reprise du commerce de détail est stimulée, dans certains secteurs sociaux plus ou moins stables, par une relance du crédit à la consommation sur la base de l’argument: les taux d’intérêt vont augmenter, faites des emprunts maintenant; tout en exigeant certaines assurances de la part des banques sur le revenu, la capacité de remboursement, etc., du moins au plan formel; car dès avril-juin 2015, les banques ont baissé le niveau des critères d’approbation de l’allocation de crédits. Les chiffres de la Banque centrale le confirment. Réd. A l’Encontre]

• Mais parlons de la croissance du PIB. Luis de Guindos, le ministre de l’Economie, compte sur le fait que la diminution des prix du pétrole [le prix du baril de Brent a passé de 67,49 dollars en mai 2015 à 28,73 le 19 janvier 2016] signifiera une augmentation de 0,5% du PIB pour un pays qui dépend totalement des importations énergétiques. Il ne rougit pas de honte de compter sur un facteur incontrôlable et variable pour la dite reprise de l’économie. Ce que ne disent jamais ni Rajoy, ni ses ministres intérimaires [le gouvernement n’étant pas formé], c’est que l’augmentation du PIB espagnol comme prévu par le FMI est fondée sur d’autres facteurs internationaux qui échappent à la volonté du gouvernement et à son savoir-faire.

Le boom touristique [ces dernières années le nombre de touristes atteint des niveaux historiques en Espagne, supérieur à 60 millions par année], par exemple, bénéficie des conflits armés ou des «actes terroristes» dans les pays riverains du sud de la Méditerranée [Tunisie, Turquie, Liban, Egypte, sans même mentionner la Syrie]. Comme ils n’analysent pas non plus que les chiffres des exportations n’ont pas augmenté en raison de la croissance de la «valeur ajoutée», de la qualité, etc. des biens et des services, mais simplement du fait de la diminution du taux de change de l’euro par rapport au dollar – un facteur que la Moncloa [le siège du gouvernement espagnol] ne contrôle pas.

Ce qui est encore pire, nous pouvons déjà remarquer qu’une partie de l’activité qui a rebondi, c’est l’immobilier, soit le vieux modèle productif de la spéculation, de la corruption et des bulles.

Tout cela pointe vers une fragilité de la reprise. Ce qui est plus grave encore: les souffrances, les diminutions des salaires, le chômage, la précarité et la détérioration du système de soins et de l’éducation se poursuivront et les exigences de la troïka et du système UE se feront pressantes, y compris au plan politique si nécessaire.

Il faut tirer des conclusions de cette époque d’instabilité

Sommes-nous aux portes de la Grande Récession tellement crainte? Il ne m’appartient pas de faire office d’oracle. Mais la question elle-même devrait alerter les personnes engagées sur le terrain social, les syndicats et les partis politiques de façon à ce qu’elles prennent en compte les signes qui s’accumulent. Ce que nous pouvons conclure, en revanche, c’est que l’instabilité de l’économie capitaliste mondialisée a crû et que, loin de conjurer le fantôme de 2008, les craintes demeurent et s’expriment ouvertement.

Nous vivons une époque, au sein de l’Etat espagnol, où le débat sur l’activité politique des élites parlementaires accapare l’attention des médias, des dites informations et les conversations de bistrot. Il y a une surdose de discours et de manœuvres politiques et un déficit d’analyses et de propositions programmatiques.

La conséquence en est la suivante: une subordination passive, de spectateur, des classes subalternes (atomisées et sans auto-organisation) devant la politique spectacle des leaders [de Sanchez à Iglesias en passant par Rajoy et d’autres]. L’action politique actuelle n’accorde que très rarement de l’attention au conflit matériel, concret des intérêts opposés entre classes sociales qui existe et s’exprime le plus directement sur la question des revenus [des salaires, soit en dernière instance du taux de plus-value] et de la richesse [du capital accumulé à partir de l’extraction de la plus-value]. Tout cela empêche que la gauche politique et sociale de faire face et de prévoir les mouvements telluriques de fond.

Si ces signes se confirment, ils deviendront des données objectives qui marqueront les conditions de vie de la majorité sociale, qui transformeront le cadre matériel qui configure et détermine les rapports sociaux. Sans tomber dans des conceptions mécanistes sur le rapport entre l’économie et le mouvement social et politique, entre les cycles économiques et de mobilisation, il importe de tenir compte que les bases matérielles des conflits sociaux – de l’affrontement entre classes – découlent de la lutte autour des «revenus» et de la «richesse». L’existence même des inégalités produit le malaise, mais cela n’implique pas qu’il se traduise de manière linéaire en une action antagoniste. Le malaise peut s’échouer sur le rivage de la résignation et de la démoralisation (comme c’est le cas d’une bonne partie des pays européens), dans la soupe cultivée par le populisme fascistoïde et fasciste (entre autres dans le cas de la Pologne et de la Hongrie, et, au-delà des différences, y compris de la droite extrême en France, en Flandres, en Allemagne, etc.), ou en mouvements antagoniques radicaux, qu’ils soient de nature sociale ou qu’ils disposent d’une expression politico-électorale (dans l’Etat espagnol, par le 15 M et les mareas dans le premier cas, et, dans une certaine mesure, pour le second, Podemos et les convergences d’unité populaire). Tout dépend de la constitution de sujets conscients, de leur existence ou non, ainsi que de leur orientation politique générale.

La lutte des classes autour de la plus-value, le combat pour s’approprier les revenus de la part de la minorité oligarchique ainsi que l’application de politiques fiscales régressives et des politiques restrictives en matière de budget public impulsées par le néolibéralisme (de type anglo-saxon) qui domine au sein des organismes économiques internationaux ou par sa variante ordo-libérale (allemande) dans l’UE, déterminent les vecteurs du cadre socio-économique. C’est de là que découle le noyau central des fondements matériels des rapports de forces entre les classes sociales à l’échelle de l’État, de la communauté [européenne] et de continents entiers. De l’évolution des événements économiques et sociaux dépendront les conditions d’existence des classes populaires et des salarié·e·s, ce qui est essentiel pour un projet émancipateur.

De la réponse politique que la gauche donne à ces situations dépendra l’évolution de la lutte de classe ainsi que le développement d’aspects programmatiques importants. Est-ce qu’à nouveau perdront ceux et celles d’en bas, comme cela a été le cas lors de la crise qui a débuté en 2008? La gauche est-elle préparée à répondre rapidement et de manière adéquate aux intérêts sociaux qu’elle doit viser à traduire, face à cette nouvelle phase de la crise du capitalisme? (Article publié le 25 janvier 2016 sur le site VientoSur.info, traduction A l’Encontre)

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