État espagnol. 16 mars: une manifestation à Madrid qui met l’État en accusation

Par Martì Caussa 

L’Assemblée nationale catalane (ANC) et Ómnium cultural [association, fondée en 1961, dont le but initial était la promotion du catalan], avec le soutien de nombreuses associations, organisations et partis, participeront le 16 mars à Madrid à un rassemblement pour exiger la liberté des prisonniers politiques et des indépendantistes exilés, afin de rappeler que «l’autodétermination n’est pas un crime», que le droit de décider fait partie des libertés démocratiques, que le procès qui se déroule devant la Cour suprême est un procès contre la démocratie et un nouvel exemple de la dérive de l’État espagnol vers l’autoritarisme et la restriction des libertés.

De nombreux autocars au départ de la Catalogne sont organisés; nombreux sont ceux qui ont déjà réservé des billets de train et d’avion ou ont décidé de voyager en voiture. La participation de représentants d’autres villes de l’État espagnol et, en particulier, de la ville de Madrid est attendue. La manifestation débutera à 18h à la gare d’Atocha et se terminera vers 20h à la place Cibeles.

C’est la première fois que les organisations indépendantistes organisent une manifestation à Madrid. Elles le font, en outre, conjointement à différentes organisations sociales et politiques de la Communauté de Madrid. Le 7 décembre 2018, pour les mêmes raisons, une marche à Bruxelles a rassemblé entre 45’000 et 60’000 personnes selon les chiffres de la police municipale et fédérale. Certains secteurs indépendantistes ont accueilli initialement avec quelques réticences l’annonce de la marche du 16 mars, mais celles-ci se sont progressivement atténuées. Ces derniers jours, une forte volonté de participation s’est confirmée. Il reste difficile de prévoir le nombre de participant·e·s, bien qu’il ne fasse guère de doute que la manifestation sera importante.

Cet article entend souligner l’importance de cette initiative, tant du point de vue de la Catalogne que pour l’ensemble de l’État espagnol.

Porter la lutte catalane à Madrid

La Cour Suprême de Madrid juge en ce moment 12 prisonniers, inculpés pour le délit de rébellion, le parquet exigeant 177 ans d’emprisonnement pour l’organisation du référendum du 1er octobre 2017 et pour la déclaration politique d’indépendance [de «8 secondes»…] le 27 octobre de la même année. En ces temps difficiles, il est nécessaire que les prisonnières et les prisonniers puissent constater que les citoyens sont avec eux, comme ils ont pu le faire lors des rassemblements citoyens devant les prisons, ou comme l’ont vérifié les exilés à Bruxelles le 7 décembre 2018.

Madrid est la capitale de l’État, domicile du roi, ville du parlement et le siège des principaux médias, etc. Il est aussi important que ces institutions puissent faire le constat de la force et de la détermination du mouvement de solidarité avec les prisonniers et pour la lutte en défense de la démocratie.

Le 16 mars peut jouer un rôle important en favorisant la rencontre et la convergence avec des associations, des organisations et des personnes solidaires de la Catalogne, luttant contre la régression répressive de l’État et partageant le point de vue selon lequel nous devons unifier les luttes pour la démocratie, les droits sociaux face au régime monarchique. On dit parfois que ces secteurs, en dehors du Pays Basque (Euskal Herria) et de la Galice (Galiza), n’existent pas. Mais ce n’est pas vrai: ils sont là, ils travaillent, ils se mobilisent et il existe des possibilités qu’ils se renforcent. Des moments de convergence comme le 16 mars peuvent aider un renforcement mutuel.

La manifestation est une occasion de montrer aux habitant·e·s de Madrid la réalité du mouvement souverainiste catalan: populaire, transversal, pacifique et attaché à la démocratie. L’État et les médias ont réussi à imposer à l’opinion publique hors de Catalogne l’image déformée d’un mouvement manipulé par la bourgeoisie, ethnicise, qui veut marginaliser le castillan et qui n’est pas solidaire avec les autres peuples de l’État. Il faut rendre visible l’affirmation formulée par Jordi Cuixart devant ses accusateurs: nous sommes des peuples frères et ils ne réussiront pas à nous opposer.

Au cours des dernières années, qui ont été intenses, un secteur du peuple catalan s’est vu tellement attaqué par l’État qu’il se sent totalement étranger. Il considère que sa lutte n’a reçu que très peu d’appui de la part des partis, des associations et des personnes qui se déclarent démocrates. Ils sont convaincus que cela ne changera pas et ont finalement décidé de se «déconnecter» de ce qui se passe en Espagne. Cela revient à se mettre des bâtons dans les roues. Parce que l’État non seulement ne se déconnecte pas de nous, mais parce qu’il veut nous écraser et gagner le référendum que nous réclamons; nous devons trouver des alliés parmi les autres peuples de l’État, ce qui est parfaitement possible. C’est pourquoi nous devons nouer des liens avec eux, les convaincre de l’objectif de la construction de luttes communes pour la défense de la démocratie et des droits sociaux.

Converger avec les autres peuples de l’État

De nombreuses associations, organisations et personnes dans toute l’Espagne partagent une analyse similaire et travaillent pour cette convergence.

Un bon exemple réside dans l’extrait suivant du «Manifeste du syndicalisme alternatif et de classe» qui appelle à la manifestation du 16 mars à Madrid: «la lutte pour le droit à l’autodétermination en Catalogne a constitué non seulement l’un des principaux facteurs politiques de déstabilisation du régime de 1978 [année du vote de la Constitution postfranquiste], mais c’est aussi un nouveau terrain de lutte permettant de démasquer «l’agenda caché» de l’État espagnol, c’est-à-dire celui qui mobilise l’arsenal de l’exceptionnalité répressive du pouvoir législatif, médiatique, politique, judiciaire et policier, lequel, avec une intensité variable, est ensuite dirigé contre l’ensemble de la population, les mouvements et les classes laborieuses».

C’est dans le même sens qu’ont travaillé, les signataires du Manifeste «Il n’y a pas de justice» (No hay Justicia) qui ont appelé à une manifestation à Madrid le 15 décembre: «Nous voulons mettre en évidence que la judiciarisation de la vie politique est un mécanisme systématiquement appliqué contre toute forme d’opposition politique qui se veut transformatrice et qui tente d’agir pour dépasser le régime de 1978».

Si, comme le roi Philippe VI l’a dit, n’est démocratie que ce qui est légal, si ce qui n’est pas légal est un délit, si les lois et leur interprétation chaque fois plus restrictive des libertés, si les manifestations pacifiques sont des tumultes et si la désobéissance est rébellion, alors tous les mouvements sociaux qui visent une transformation de l’ordre des choses sont sérieusement menacés.

Pour s’opposer à cette dérive réactionnaire de l’État, il faut plus que des résolutions de congrès, des déclarations et des interventions parlementaires. Il faut de l’action dans la rue. Cela, Podemos devrait le comprendre qui dans l’ensemble de l’État est une organisation de gauche forte, qui partage théoriquement une bonne partie de ces arguments, mais qui, jusqu’à présent, est absente de la mobilisation dans la rue.

Le Manifeste du syndicalisme alternatif et de classe ne s’arrête pas à des déclarations: «Face aux atteintes à la souveraineté populaire, face à la régression démocratique, aux coupes budgétaires, à la répression, aux privatisations et à la précarité, nous avons besoin d’œuvrer à une unification des luttes et construire ensemble un calendrier commun des mouvements sociaux et du syndicalisme combatif afin de porter les revendications de la rue à tous les centres de travail et aux institutions»… et il lance un appel à descendre dans les rues de Madrid le samedi 16 mars

Si nous ne nous mobilisons pas ensemble, nous serons écrasés séparément, en première ou en seconde instance. Le résultat de l’appel en justice des jeunes d’Altsasu [1] devant l’Audience Nationale en est un bon exemple: certes la bagarre de bar n’est plus qualifiée de terrorisme, mais des peines de 2 à 13 ans sont maintenues parce que le Tribunal ratifie que ce fut une agression pour des raisons idéologiques, pour le fait d’avoir blessé des gardes civils. Par contre, on ne considère pas que les policiers et les gardes civils qui ont matraqué les gens lors du référendum du 1er octobre 2017, pour le simple fait qu’ils voulaient voter, l’aient fait pour des raisons idéologiques – malgré la campagne menée autour du mot d’ordre «En finir avec eux!» – non, ils l’ont fait «en défense de la démocratie».

Le 16 mars est une bonne occasion d’essayer d’arrêter cette dynamique perverse, pour dénoncer que la justice est utilisée pour réprimer les libertés et droits fondamentaux, pour accuser l’État et sa dérive autoritaire. (Article publié le 9 mars 2019 sur le site VientoSur.info; traduction A L’Encontre)

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[1] Une altercation qui s’est déroulée dans un bar d’Altsasu, petite ville de Navarre, entre deux gardes civils, leurs compagnes et huit jeunes, en octobre 2016, a conduit à la condamnation de sept de ces derniers à des peines de prison entre 9 et 13 ans sous le chef d’accusation «d’attentat», celui de «terrorisme» ayant finalement été écarté. Il est à noter que la juge de ce procès, auprès de l’Audience nationale, Carmen Lamela, membre depuis 2018 à la Cour suprême, a joué un rôle central dans les poursuites lancées contre les indépendantistes catalans.

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