Le Non à l’indépendance a gagné, de justesse et par le recours au chantage à la peur du futur (la campagne du Better together en est venue à s’appeler «le projet de la peur»), mais le résultat obtenu par le Oui montre clairement que si le Royaume-Uni veut survivre, il ne pourra plus exister comme auparavant. L’option que David Cameron a refusé d’inclure dans la question du référendum (la Devo-Max) et qu’il a dû récupérer dans l’étape finale de la campagne pour pouvoir mettre en échec le Oui est maintenant sur la table, pour autant que cela ne se passe pas comme au Canada où les promesses faites ont vite été oubliées…
Ce qui est le plus important, c’est que nous assisterons probablement à une progression de l’activisme de base écossais au sein de la société britannique grâce au processus d’auto-organisation qui s’est produit avec des initiatives telles que la Radical Independence Campaign (RIC), Women for Independence et autres organisations en faveur du Oui. Et cela en tant qu’expression de ce qu’un journaliste a qualifié d’«insoumission populiste» non seulement contre l’«unionisme», mais aussi contre les politiques néolibérales de David Cameron. Parce que, comme l’a écrit Owen Jones [du quotidien The Independent], dans toute la propagande en faveur du Oui, on pouvait lire également qu’on ne voulait «plus jamais vivre sous un gouvernement Tory».
Mais ce qu’il y a de plus essentiel, c’est que le possible dénouement favorable de toute cette affaire a fait trembler jusqu’aux dernières heures tout l’establishment occidental et surtout les élites de l’Union européenne (UE) et que l’organisation d’un référendum sur la question d’une sécession sur une partie du territoire de l’un des Etats le plus vieux du monde a constitué un fait inédit depuis 1945. Et tout cela a pu se produire de manière négociée et légale. Ainsi tombe à l’eau, après des précédents comme celui du Québec, la présumée «théorie de l’eau salée» [référence aux théories «naturalistes» de René Quinton] qui insistait sur le fait que le droit à l’autodétermination était quelque chose qui ne pouvait être réclamé que par des peuples colonisés, «théorie», soit dit en passant, qui ne s’appliquait ni aux Palestiniens ni aux Sahraouis…
Avec la célébration de ce référendum, c’est également l’existence d’un demos [«peuple» en grec] différencié à l’intérieur d’un Etat qui a été reconnue, demos ayant le droit non seulement à l’autodétermination en général, mais aussi celui de décider de se séparer ou non de cet Etat. Il s’agit de quelque chose qui continue à être un tabou dans la majorité des Etats ayant des réalités plurinationales, arc-boutés qu’ils sont sur la thèse selon laquelle il existerait en leur sein un demos unique, cette thèse devant occulter la prédominance d’une nation sur les autres. C’est le cas de l’Etat espagnol et du nationalisme réactif permanent qu’il pratique face aux revendications telles que celle qu’avance actuellement le demos catalan en exigeant son droit à une consultation non juridiquement contraignante.
Ce serait une grave erreur de la part de Mariano Rajoy (PP), Pedro Sanchez (nouveau secrétaire du PSOE) et compagnie que de se sentir trop heureux du résultat de ce référendum. Parce que là-bas, en Ecosse, c’est la logique démocratique qui s’est imposée, facilitée sans doute par la non-existence d’une Constitution écrite, et rien n’a empêché l’exercice du droit à décider de la sécession ou non de l’Etat britannique, alors qu’ici, en Espagne, on insiste sur une lecture fondamentaliste de la Constitution, et en particulier de la première partie de son article 2, pour refuser ce droit, quand on ne réclame pas tout bonnement l’application de l’article 155 pour menacer de suspendre l’autonomie catalane.
C’est pour cela que nous devrions prendre note de ce précédent vécu le 18 septembre et reconnaître le droit du parlement catalan, avec la loi ayant trait aux consultations populaires qu’il approuvera aujourd’hui, de célébrer la consultation annoncée pour le 9 novembre prochain. Le Tribunal constitutionnel devrait en faire de même en s’appuyant aussi sur l’appel au dialogue qu’il a lancé dans sa sentence du 25 mars de cette année pour aborder les problèmes «dérivés de la volonté d’une partie de l’Etat d’altérer son statut juridique», en reconnaissant que le droit de décider «exprime une aspiration susceptible d’être défendue dans le cadre de la Constitution».
On ne peut ainsi continuer à refuser de reconnaître une revendication qui, comme nous venons de le constater ce 11 septembre, est réclamée par un mouvement ample et pluriel qui peut compter sur l’appui de la majorité de la société catalane. Ainsi, au cas où ni le gouvernement ni les juges ne devaient répondre affirmativement à cette revendication, le Parlement catalan aurait toute la légitimité – appuyée d’ailleurs sur sa propre légalité – pour désobéir à l’interdiction et convoquer la consultation.
(Article publié sur le site Viento Sur, le 19 septembre 2014; traduction A l’Encontre)
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Jaime Pastor est universitaire, professeur de Science politique auprès de l’UNED, éditeur de la revue Viento Sur, membre de Izquierda Anticapitalista et de Podemos. Il a publié récemment Los nacionalismos, El Estado espanol, y la izsquierda (2e édition révisée, 2014), Ed. Los Libros de Viento Sur et La Oveja Roja.
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