Des «axiomes de participation», sans le respect desquels n’existent pas de gouvernements démocratiques

Par José Manuel Naredo et Tomas R. Villasante

Depuis l’affirmation du Mouvement du 15-Mai (15-M), les conditions d’une «véritable démocratie» se sont trouvées au centre de nombreux débats. Les deux auteurs de cette proposition – faite le 30 juin 2011 au sein du mouvement – établissent des «axiomes de participation» des citoyens et citoyennes. Le non-respect de ces axiomes – qu’ils illustrent à partir d’exemples concrets – par les gouvernements les poussent à conclure que ces derniers ne peuvent plus être caractérisés comme «démocratiques», mais comme «despotiques». (Rédaction)

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Quand on demande au mouvement du 15-M (15-Mai) quelles sont ses propositions, nous pensons que sa principale et première proposition devrait être d’exiger de tous les gouvernements des «bonnes pratiques politiques» pour éviter la répétition des habituelles offenses faites aux citoyens dont nous donnons des exemples ci-dessous. Notre présente proposition d’«axiomes de participation» sur lesquels devrait s’appuyer la démocratie réelle que nous défendons, énonce ces «bonnes pratiques politiques».

Notre idée est de faire circuler notre proposition pour qu’elle soit d’abord discutée, corrigée et enrichie dans les assemblées, pour pouvoir ensuite être assumée par le mouvement dans la perspective de la mobilisation de juillet. On pourra ainsi disposer de la proposition positive, réaliste, et dotée d’un certain poids, d’exiger des «bonnes pratiques politiques» qui permettent de faire rougir ceux qui continuent de les ignorer. Ces pratiques ont en outre la vertu de se situer au-dessus des partis et des sigles politiques et de susciter l’approbation de toute personne qui ne soit pas conditionnée par des intérêts mesquins et inavouables. Elles contribueraient, en plus, à renforcer et unir le mouvement par des accords qui se situent au-dessus des possibles divergences qui peuvent surgir dans le traitement des différents domaines thématiques.

Axiome 1°. Un gouvernement démocratique ne peut pas prendre des décisions qui affectent à la majorité de la population sans consulter préalablement cette population au moyen d’un référendum formulé sans équivoque et accompagné d’une information raisonnée. Le respect de cet axiome exigera de rendre plus facile la convocation d’un référendum, à l’échelle nationale, à l’échelle de la communauté autonome [17 Communautés autonomes existent en Espagne], à l’échelle locale ; et y compris à l’échelle du quartier ou du district, quand l’importance du sujet le requiert et/ou la population l’exige, comme c’est habituel dans d’autres pays de plus grande tradition démocratique.

Exemples d’actualité

• A l’échelle nationale. Il n’est pas acceptable de décider des interventions militaires sans consulter la population par référendum. Comme il n’est pas non plus acceptable d’élever l’âge de la retraite, ou le nombre d’années de cotisation, sans avoir préalablement débattu avec la population des options possibles pour financer le système de sécurité sociale.

• A l’échelle de la Communauté autonome. Il n’est pas acceptable de privatiser le Canal d’Isabelle II [compagnie assurant la desserte d’eau de Madrid] sans débattre des raisons, et sans consulter les citoyens par référendum à propos d’une décision de cette portée.

• A l’échelle municipale. Il n’est pas acceptable de réaliser des mégaprojets qui altèrent significativement l’esthétique de la ville et le porte-monnaie de ses habitants, sans les avoir préalablement consultés sur leurs priorités et préférences.

• A l’échelle du quartier. Il n’est pas acceptable de convertir un parc public en un golf privé ou « remodeler » une place sans que les habitants du voisinage directement affectés y participent en prenant et en orientant la décision.

Axiome 2°. Un gouvernement démocratique ne peut pas prendre des décisions qui affectent la majorité de la population en escamotant le débat obligatoire dans les organes délibératifs de l’Etat eux-mêmes (parlements de l’Etat, parlements des Communautés autonomes, conseils municipaux, …) ; cela en négociant et en opérant des arrangements entre partis politiques, derrière le dos des plénums des chambres. Décisions qui sont soumises, par la suite, à une simple approbation par une majorité préalablement établie. Ces pactes extraparlementaires ont perverti le fonctionnement démocratique de nos institutions, en convertissant beaucoup de débats possibles en séance plénière en de simples simulacres, sans valeur pratique aucune, parce que leur résultat avait fait l’objet d’un compromis au préalable. Pour cela, afin de mettre fin à ces pratiques de consensus obscur et élitiste, il est nécessaire de passer aux axiomes 3° et 4° qui nous apparaissent prioritaires.

Exemples d’actualité

• A l’échelle nationale.  Il n’est pas acceptable de se mettre d’accord, sous le sceau du secret –  comme l’ont fait lamentablement le PSOE et le PP – sur la loi qui a ouvert la porte à la privatisation des caisses d’épargne [fortement impliquées dans la crise hypothécaire et donc immobilière], en escamotant aussi bien le débat parlementaire obligatoire que la consultation préalable, par référendum, qu’aurait dû requérir une décision si importante.

• A l’échelle de la Communauté autonome et à l’échelle locale.  Un exemple paradigmatique de despotisme local et régional fut l’ingénierie du consensus élitiste si habilement manipulé par Florentino Pérez [homme d’affaires et dirigeant du club de football : Real Madrid], en noyant la discussion dans les séances plénières et les chambres, avec l’accord préalable de tous les groupes politiques, IU [Gauche unie] y compris, afin d’imposer le double coup de force de la requalification des terrains et de la réalisation des mégaprojets de l’ancienne et de la nouvelle cité sportive du Real Madrid.

Axiome 3°. Pour rendre viables les axiomes 1 et 2, un gouvernement démocratique ne peut précipiter des décisions qui affectent la majorité de la population sans avoir étudié préalablement toutes les options possibles, en informant avec transparence et en facilitant que les citoyens, dûment informés, participent dans les différentes instances (par le référendum, dans les parlements, dans les plénières des conseils municipaux, etc.) à la décision du plan d’action qu’ils jugent le plus pertinent. Car, en plus des partis et des juges, la démocratie doit inclure des commissions ou des groupes dédiés à promouvoir des travaux de planification participative, qui aident à élaborer et à donner la priorité à des propositions aux différents niveaux de participation, en incluant les assemblées au niveau le plus décentralisé, dans les quartiers et les villages (l’expérience des budgets participatifs indique comment on peut réguler et rendre viables ces pratiques).

Exemples d’actualité

• A l’échelle nationale. Un gouvernement ne doit pas accorder des aides à la banque sous forme d’achat d’actifs (à hauteur de 5% du PIB) et sous forme de cautions (à hauteur de 10% du PIB), sans avoir préalablement étudié les problèmes dont elle soufre et les traitements possibles, ni tracé des plans à débattre et à accorder, cela avec transparence dans toutes les instances de participation (y compris le référendum, quand la décision affecte à la majorité de la population et/ou conditionne le futur du pays, de la région ou de la commune, ou de secteurs économiques et sociaux importants). Un gouvernement ne doit pas endetter le pays (en agrandissant le déficit budgétaire ou en émettant de la dette publique), ni dépenser «son» argent allégrement (comme cela s’est passé au début de la deuxième législature de Zapatero) sans débattre de décisions si graves (dans les parlements et/ou les plénums municipaux) et sans les soumettre à référendum.

• A l’échelle des Communautés autonomes et à l’échelle municipale. Il n’est pas acceptable que des mégaprojets reçoivent la priorité, clé en main, pour des jeux olympiques, ou des «opérations» immobilières et/ou d’infrastructures ou de démolition-construction de quartiers entiers (souvenons-nous de El Cabanyal – quartier de bord de mer – à Valence) sans avoir formulé, ni débattu de plans plus amples pour le futur, avec divers scénarios qui permettent la participation citoyenne dans la prise de décisions à tous les niveaux concernés.

Axiome 4°. Un gouvernement démocratique doit encourager, accueillir avec un intérêt maximum et un appui institutionnel les lois et/ou propositions surgies par initiative populaire.

Il faut signaler que les référendums qui sont le fruit d’initiatives législatives populaires ou de grands mouvements sociaux, d’en bas vers en haut, posent les questions que les gens ont débattues. Alors que les référendums qui émanent des gouvernements contiennent habituellement des questions truquées pour obtenir que passe quelque chose que le pouvoir désire (pour cela ils recourent à des études d’opinion préalables). C’est pourquoi il incombe aux mouvements sociaux de base de dénoncer ces truquages pour les corriger et/ou les démonter. Cette distinction faite, cet axiome devrait être prioritaire, car l’axiomatique de la participation que nous proposons devrait partir de la volonté et de l’initiative des gens comme fondement de la démocratie. Mais il faut préciser que l’ordre dans lequel nous proposons les axiomes n’implique aucune hiérarchie de leur importance puisque, au fond, ils sont liés (nous pourrions présenter les trois derniers comme des théorèmes dont l’énoncé découle du respect des axiomes 1 et 2, mais nous préférons continuer de les appeler des axiomes).

Exemples d’actualité

• Récemment une initiative législative populaire a été déposée pour freiner la vague d’expulsions de logements causée par les banques [qui avaient effectué les prêts hypothécaires] et le chômage [donc la perte de revenu], en proposant que la « dation » du logement hypothéqué suffise à éteindre la dette hypothécaire et qu’il ne soit pas nécessaire de continuer à payer à la banque toute la somme due, quand la maison reste en mains de la banque. Mais malgré que quelques hauts dirigeants du PSOE se soient montrés d’accord, cette proposition ne sera pas soumise à référendum mais après un bref débat sera sûrement archivée par le bipartisme bien obéissant aux banques.

Axiome 5°. Un gouvernement démocratique ne doit pas seulement encourager le bon fonctionnement des instruments de participation et de délibération qui existent aujourd’hui (Axiome 2°), sinon qu’il doit également appuyer l’extension de ces instruments, en leur accordant les moyens nécessaires, au travers de tout le corps social dans le but de corriger l’actuel déficit de participation et d’implication des citoyens dans la décision, le contrôle et la gestion de la chose publique.

Exemples d’actualité

• Le mouvement du 15-M est une bonne preuve de ce que peut être l’initiative qui vient de la base, celle qui a échappé à toute possibilité d’être manipulée ou utilisée au service de sigles ou de dirigeants. Et en se projetant dans les assemblées de quartiers et de communes, cette initiative devrait être saluée comme un authentique approfondissement démocratique. C’est bien ce que semblent indiquer les enquêtes, bien que cela ne jouisse pas de l’agrément du bipartisme régnant [PSOE et Parti Populaire] qui craint de perdre le monopole du pouvoir qu’il a l’habitude d’exercer en connivence avec les élites du monde des affaires.

Bien que notre ordre de présentation des axiomes va du pouvoir vers la base, les initiatives les plus crédibles et intéressantes vont de la base vers le pouvoir. Nous l’avons expliqué en relation avec la convocation de possibles référendums. Pour le mouvement surgi le 15-M nous devrions proposer déjà maintenant l’exigence d’un référendum concret comme cela vient d’arriver en Italie et en Islande. Par exemple : sur le sujet des expulsions et la « dation en extinction de dette hypothécaire» qui font l’objet d’un large consensus ; sur le Pacte de l’Euro [un des éléments au sein de l’UE de la politique d’austérité et de régression sociale] ; ou pour la Communauté de Madrid au sujet de l’acharnement à privatiser le Canal d’Isabelle II.

Corollaire. Si, comme c’est devenu habituel, le gouvernement décide et agit sans tenir compte des citoyens, évite le débat dans les organes délibérants de l’Etat eux-mêmes au travers d’obscures combines extraparlementaires et autres astuces, et n’encourage pas, mais au contraire punit, les initiatives citoyennes de participation, de contrôle et de production législative, alors ce gouvernement ne devra plus être appelé démocratique, sinon despotique et autocratique, bien qu’il ait été élu, en son temps, par une minorité suffisante des listes électorales.

Exemple à petite échelle

Dans un village de la Sierra de Madrid, le PP a obtenu 295 voix (obtenant la majorité absolue), le PSOE 188, Zaide 83, IU 44 (l’opposition totalise donc 315) et les bulletins nuls 40, les bulletins blancs 21, avec 287 abstentions (total 348). C’est-à-dire qu’avec moins d’un tiers des voix possibles, la Loi électorale confie le gouvernement à un parti, sans que celui n’ait plus à consulter la population (qui dans sa majorité ne l’appuie pas) durant les quatre années suivantes.

Au vu de ce qui précède, il suffit de conclure que les votes ne confèrent pas aux gouvernants le droit de se comporter de manière despotique, d’ignorer et y compris punir les citoyens, en subtilisant des droits et des ressources budgétaires au moyen de mesures, de mégaprojets et de pratiques corrompues, qui n’avaient même pas été explicitées durant les campagnes électorales, comme cela s’est passé lamentablement, en faisant étalage de mauvaises pratiques que le présent texte tente de dénoncer et corriger. (Traduction A l’Encontre)

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José Manuel Naredo est économiste, statisticien et un des pionners de l’économie écologique dans l’Etat espagnol; Tomas R. Villasante est sociologue et spécialisée dans les processus de décisions et d’organisations urbaines.

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