Construire une unité démocratique et sociale

Texte du MPS après la votation sur le renvoi des “étrangers criminels”

L’Union démocratique du centre (UDC) a marqué des points ce dimanche 28 novembre 2010. La presse et les médias le clament sur tous les tons. C’est un fait.

Pour celles et ceux qui se sont opposés (2 x NON) à l’initiative de l’UDC comme au contre-projet des Chambres fédérales, un constat supplémentaire est indispensable.

La campagne pour le double NON menée par des forces politiques diverses, des «personnalités politiques», des associations – disposant de faibles moyens – a eu un réel impact dans des cantons et des villes de toute la Suisse. Il faut garder cela à l’esprit, pour le présent et l’avenir.

Dès lors, on ne peut que regretter – pour ne pas utiliser un autre terme – la confusion créée par la majorité du groupe parlementaire du Parti socialiste suisse (PSS). Le 10 juin 2010, elle a voté pour le contre-projet trompeur de l’Assemblée fédérale et lui a permis de passer la rampe. Ce contre-projet n’était qu’une version dite «compatible» avec le «droit international» de l’initiative de l’UDC. Il crédibilisait le noyau dur de l’initiative de l’UDC. Dès lors, le choix entre l’original ou la photocopie, en noir-blanc, était donné d’avance. Le 17 octobre déjà, le sondage de la SonntagsZeitung n’attribuait-il pas 61,5 % des votes à l’initiative ?

On ne peut à nouveau que déplorer le manque d’une campagne de masse conduite par les «grandes organisations syndicales» qui comptent dans leurs rangs de très nombreux immigré·e·s.

Qui abuse-t-on ?

En effet, l’initiative comme le contre-projet – et demain la mise en musique législative avec le doigté de la pianiste et conseillère fédérale, «socialiste», Simonetta Sommaruga – diffusent un climat de menace. Il doit imposer la docilité à l’ensemble des salarié·e·s. Le patronat ne s’y est pas trompé. Les trompettes d’economiesuisse ont tonné contre l’initiative fiscale du PS. Une grosse sourdine a été mise face à l’initiative de l’UDC. Facile à comprendre.

• L’initiative de l’UDC vise les «étrangers» qui «abusent de l’aide sociale». La même UDC et toute la droite exigent une réduction de l’aide sociale, au moment où la 4e révision de la LACI (loi sur le chômage) va accroître les demandes d’aide sociale. Mieux, l’UDC veut introduire une aide minimale d’urgence en cas de «manquements» d’un bénéficiaire. La pratique existe déjà. L’UDC veut la légaliser au plan fédéral.

• L’UDC de Zurich vient de faire passer la loi refusant la naturalisation aux étrangers-candidats qui sont au chômage. Avec la même orientation sociale et politique, l’UDC ne veut plus attribuer de prestations aux chômeurs et chômeuses de moins de 30 ans, sans personne à charge, de toutes nationalités, Une sorte «d’aide d’urgence» se substitue aux allocations. De quoi faire accepter n’importe quel travail, à n’importe quel prix (salaire) à une grande partie des jeunes. Le patronat sourit, en cachette.

• Il en va de même pour l’Assurance invalidité (AI). L’UDC et la droite soutiennent une restriction drastique des conditions d’accès aux rentes de l’AI. Plus les refus de rentes seront nombreux, plus les demandes qualifiées d’«abusives» et les prétendus «abus» le seront. Cela pour tous les salarié·e·s. Pour les «étrangers», la qualification d’abus conduira, en général, à l’expulsion. Les exemples «d’abus à l’AI» visant des étrangers sont étalés dans la presse de boulevard. L’effet boomerang sur tous les salarié·e·s n’est pas perçu, dans l’immédiat.

L’initiative de l’UDC crée le climat pour frapper toutes les personnes fragilisées par la situation économique, sociale ou par des parcours de vie difficiles. Elle se combine donc avec la politique du Conseil fédéral contre les assurances dites sociales. Chaque personne au chômage ou à l’aide sociale est directement responsable de sa situation. Les autorités ne combattent pas le chômage, mais les chômeurs; elles ne combattent pas les conditions de travail invalidantes, mais les handicapé·e·s.

C’est dans le même esprit qu’elles vont condamner, sans limites de temps, celui ou celles, étrangers, ayant commis un «crime» ou un «abus»: l’expulsion intervient dans la foulée de la condamnation et la peine qui s’ensuit.

Un accueil sélectif

Les piliers, en matière «d’étrangers», de la politique de l’UDC, des associations patronales, de la droite et des autorités sont au nombre de trois.

• Sont accueillis à bras ouverts les grandes fortunes – étrangères à tout abus ! – et les salarié·e·s très qualifiés. Aux premiers des cadeaux fiscaux sont assurés: les «réfugiés fiscaux» disposent de camps de villas à Freienbach (Schwyz).

• Une multiplication de statuts (permis) divise les immigré·e·s et assure un contrôle fonctionnel à divers secteurs de l’économie: de l’industrie à la construction, jusqu’aux «boîtes de nuit».

Statuts multiples s’harmonisent avec sélections et contraintes à l’assimilation: toutes sortes de tests «civiques» existent et se développeront, en nombre et en «qualité». Une politique d’ordre prend de la vigueur.

• Une guerre aux frontières est menée contre les travailleurs et travailleuses cherchant à entrer en Suisse. Ceux et elles qui passent entre les mailles du filet – après une migration pavée de souffrances multiples – assurent le stock de sans-papiers. Ils sont condamnés à «prendre» tous les emplois les plus périlleux, les moins payés, les plus précaires. Tout cela, en silence et sans pouvoir revendiquer. Une politique qui pousse certains d’entre eux à la «marge» et en fait une main-d’œuvre susceptible d’être utilisée par une mafia ou une autre.

Les pauvres chassés

L’initiative adoptée va accroître le nombre d’expulsions suite à un «délit». Les chiffres énoncés voisinent les 1500. En 2009, selon la Commission fédérale pour les migrations, ils s’élèvent déjà à 750 personnes ayant le droit de séjour en Suisse.

A cela s’ajoutent 9576 renvois de requérants d’asile en 2009. Et quelque 110’000 refoulements aux frontières par année, depuis 10 ans. Les gardes-frontière interpellent annuellement près de 30’000 personnes sur le territoire suisse. Ils les remettent à la police pour expulsion.

On peut donc estimer les expulsions, renvois, refoulements, en 2009, à environ 150’000, auxquels il faut ajouter 25’000 visas refusés par les autorités diplomatiques à des personnes qui ne disposent ni de comptes en banque, ni de garants crédibles (pour les autorités) en Suisse.

En 2009, dans cette chasse aux pauvres, 360 personnes ont été ligotées et casquées de force pour expulsion. La mort du Nigérian Joseph Ndukaku Chiakwa à Zurich, il y a 8 mois, alors que des policiers le frappaient – attaché, tête recouverte d’un filet – s’inscrit dans ce genre de pratique.

La vraie remise à l’ordre

Face à ce type d’initiative (comme celle sur l’interdiction de la construction des minarets le 29 novembre 2009), une presse bien-pensante et une fraction de la droite comme de la gauche institutionnelle ne manquent pas de railler «L’ordre populaire», titre en une du «média suisse de référence»: Le Temps (29 novembre 2010).

Derrière cette raillerie se cache un profond mépris des salarié·e·s – autrement dit des couches populaires – susceptibles d’être influencés par la démagogie d’une formation politique de droite dure, patriotique.

Les mêmes groupes de presse qui véhiculent des publicités les plus frivoles ou les plus «dans le vent» sont moins railleurs et interrogatifs sur cette construction de choix placés sous influence. Normal, ils en vivent et certaines de ces publicités sont payées par ceux qui financent l’UDC.

Derrière ce persiflage se profile une orientation politique qui – «pour le bien de la Suisse dans le monde» – revendique un «gouvernement des sages», des «experts», de «ceux qui savent et donc comprennent l’intérêt supérieur»… des supérieurs qui dirigent la Suisse. Dans les défuntes «démocraties populaires», les Bureaux politiques du Parti savaient eux, seuls, ce qui était bon pour le pays.

Il s’agit ici d’une remise en cause de la démocratie semi-directe. Autrement dit, parfois, il faut «se passer du peuple», puisqu’il est difficile de le dissoudre et d’en élire un autre.

L’UDC – dont les mentors font partie des élites économiques – a depuis longtemps des représentants parmi les «sept sages» (le Conseil fédéral). Elle saura utiliser les sarcasmes «anti-populistes» des médias et de certains politiciens de «gauche» pour renforcer son emprise sur le système politique helvétique.

Une restriction des droits populaires dans le cadre de l’actuel système de démocratie semi-directe ne va en aucune mesure permettre aux salarié·e·s de mieux défendre leurs droits. Au contraire.

Cette restriction repose sur une conception qui prétend instaurer un cadre institutionnel assurant la «seule politique raisonnable». Cette dernière doit échapper à des votes et, encore plus, à la rue.

Le vrai débat, sous l’angle des besoins et donc des droits des salarié·e·s, devrait commencer par faire la clarté sur: qui décide, et de quelle façon, sur les questions décisives en Suisse ? Et aussi dans l’Union européenne, au moment où la majorité de la population de certains pays est mise sous la tutelle de l’austérité sociale par une Banque centrale (BCE). Cette actualité est utilisée par l’UDC face à l’eurobéate orientation de la «gauche institutionnelle».

Quelques repères

La construction sur la durée d’un mouvement contre la xénophobie et le racisme ainsi que pour le renforcement des droits sociaux de l’ensemble des salarié·e·s doit éviter un piège: diaboliser celles et ceux qui ont voté pour l’initiative. Sans concession, il faut contre-argumenter et aller sur le terrain social. Là où la convergence d’intérêts concrets peut être démontrée, de manière pédagogique. Ainsi pourront être combattus les facteurs et instruments de division entre «suisses et étrangers» et au sein même des immigré·e·s. En définitive, c’est la reconstruction d’un mouvement des salarié·e·s qui s’impose, sur le long terme. Un mouvement qui tisse des éléments d’identité partagée, de classe, donc internationalisée.

Toute action promouvant les échanges entre les diverses cultures – locales et des migrant·e·s – doit être popularisée. Cela implique le soutien le plus large des initiatives issues des migrant·e·s ou cogérées par divers types d’associations. A cela doit s’ajouter la possibilité d’un large apprentissage des langues.

Pour démanteler la fabrique officielle des sans-papiers, leur régularisation collective est nécessaire; en respectant le regroupement familial.

Au «droit du sang», il faut opposer le «droit du sol»: compris comme le droit à la nationalité pour celles et ceux qui naissent en Suisse, ainsi que le droit à un permis d’établissement permanent ou à la nationalité pour celles et ceux (avec leur famille) qui habitent et travaillent en Suisse.

Un front large et démocratique – qui n’exclut pas la discussion et le débat – devrait se renforcer pour faire face aux diverses attaques contre les droits des migrant·e·s (et des salarié·e·s), offensives qui se préparent dans les cercles gouvernementaux et des partis.

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