Par Patrice Leprince
C’est assurément le Molenbeek qu’ils aiment. Tout bigarré, plein d’agitation. Des jeunes et puis des vieux ou des vieilles. Avec un foulard ou bien sans. Et en ce mercredi soir, ce petit monde se presse sur la place communale. Pour dire sa douleur après les attentats qui ont frappé Paris. Pour dire aussi à ce monde qui lui renvoie aujourd’hui une si moche image de lui-même que celle-ci est tronquée. Les lettres formant le nom de Molenbeek, pas «Molenbèk» hein, ont été tracées sur le pavé, parcellées de bougies. Avec le vent qui souffle, des gobelets en plastique sont appelés à la rescousse pour protéger les flammes. La chaleur, elle, est partout. Même si elle peut se faire amère. «Chez nous, on rigole, on se sent bien, on est chez nous, quoi, entament Chaimae, Samira et Maryame. Cela fait 19 ans que vis ici et je n’ai jamais eu de problèmes et ce que l’on dit de nous jusqu’aux Etats-Unis ne correspond pas à la réalité. Ces attentats nous ont marqués, cela n’a rien à voir avec les musulmans.»
Sur l’étendard de Peggy flottent plein de jolis dessins. Croqués par les mômes qu’elle côtoie chaque jour via l’ASBL (Association sans but lucratif) De Molenketjes qui encadre les enfants au sortir de l’école ou de la garderie. «Nous sommes ici en leur nom, ils ont dessiné pour dire aux gens qu’ils sont tristes d’entendre ce que l’on dit de leur commune. Que ce n’est pas leur faute, qu’ils veulent vivre en paix.» Message passé. «Tout n’est pas parfait ici, embraient, pour leur part, Anne et Bernadette, venues de Saint-Gilles pour défendre la multiculturalité. Qui est un plus pour Bruxelles, il est essentiel de pouvoir s’ouvrir à l’autre et il est difficile de comprendre pourquoi on cible aujourd’hui Molenbeek et pas Vilvorde ou Verviers, c’est très malsain.»
«D’abord je pense à la douleur des familles qui ont perdu un proche, nous dit cette dame. Peut-on imaginer de ne plus pouvoir fréquenter un cinéma, une salle de concert ou une terrasse. Et ces enfants, il aurait pu s’agir des nôtres.» Et aujourd’hui la police qui quadrille les quartiers de Molenbeek. «Nous sommes donc touchés de loin et de près. Voir décrire Molenbeek comme terroriste me choque. J’y vis, j’y travaille et j’y ai élevé mes enfants qui sont aujourd’hui à l’université. Et ils doivent se justifier au nom d’une influence qu’ils n’ont jamais eue.»
Il est 17 heures et la place communale est désormais noire de monde. Entre 2000 et 2500 personnes, estime cette policière. Sur les marches menant à l’hôtel de ville, on devise sous les calicots représentant des mains tendues, des cœurs plutôt que des bombes. «Laissez-nous vivre», dit l’un. Une petite dame donne de la voix sur le perron. «Merci de nous avoir rejoints au nom de la paix et de la tolérance, rendons visibles les bougies et arrêtons de rendre Molenbeek obscure parce qu’elle ne l’est pas.»
Un sentiment global que la bourgmestre, entourée d’élus de tout bord, ramasse assez bien, malgré un micro un brin criard. Françoise Schepmans présente ses condoléances au peuple français. «Je lui répète notre douleur, choqués par ces terribles attentats qui ont tué tant de victimes innocentes.» Et la libérale de conclure: «Avec ses atouts et ses difficultés, Molenbeek est une commune comme les autres, ce n’est pas la base arrière du djihadisme.» (Article publié dans le quotidien belge Le Soir en date du 19 novembre 2015)
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