Dossier
La Belgique a été en grande partie paralysée ce lundi par la grève générale contre l’austérité, qualifiée «d’historique» par les syndicats, poussant le Premier ministre Charles Michel à lancer un nouvel appel à la Concertation. Si la grève s’achèvera à 22 heures à la SNCB (chemin de fer) et dans les aéroports, il faudra patienter jusqu’à mardi matin pour un retour à la normale sur les réseaux Stib, De Lijn et Tec (transports publics-Wallonie: bus, métro, tramways). Les syndicats ont dressé le bilan, région par région.
Liège
La journée de grève en province de Liège s’est achevée sur un bilan globalement positif, selon les syndicats, bien que quelques incidents soient à déplorer. Les piquets de grève ont été levés progressivement dès le milieu d’après-midi.
«Le bilan est excellent. La réponse syndicale est à la hauteur de l’agression patronale», estime Jean-François Ramquet, secrétaire régional de la FGTB Liège-Huy-Waremme. «Sur les piquets, j’ai senti les personnes encore plus déterminées.»
«J’espère que cela pourra être le dernier mouvement de grève mais je n’en suis pas sûr», ajoute Jean-Marc Namotte, secrétaire fédéral de la CSC Liège-Huy-Waremme. «Aujourd’hui, nous avons remarqué que d’autres mouvements citoyens et culturels se joignent à nos revendications.» (Voir à ce sujet la déclaration Tout Autre Chose publiée sur le site A l’Encontre en date du 10 décembre 2014)
À Verviers aussi, les organisations syndicales se disent très satisfaites de la mobilisation générale et de l’engagement des 2.500 travailleurs présents dès 4h00 du matin sur les piquets.
Aux Hauts-Sarts, un automobiliste a tenté de forcer un piquet et a blessé deux grévistes. Des scènes d’énervement ont été relevées à Dison et La Calamine, mais personne n’a été mis à disposition du parquet. A Welkenraedt, rue Mitoyenne, un jeune homme de 20 ans a voulu franchir un piquet en empruntant un talus. Il a ensuite lancé son véhicule en direction des grévistes avant de les éviter de justesse. Son permis lui a été retiré et outre les infractions de roulages, il y aura des suites judiciaires à ce dossier, a assuré le substitut de garde.
Namur
Les syndicats sont ravis de «l’excellente mobilisation des troupes et de l’excellente réaction de la population» en province de Namur. Quelques échanges verbaux ont parfois eu lieu entre grévistes et non grévistes et un homme a été blessé près d’un barrage filtrant à Andenne. «Le but n’était pas d’ennuyer les gens mais de mettre la pression sur le gouvernement fédéral», a répété Luc Giltay, secrétaire général adjoint de la FGTB Namur. Selon lui, le niveau de compréhension de la population était satisfaisant.
Il relève toutefois quelques échanges verbaux entre les militants et certains non grévistes «qui n’avaient pas la patience d’attendre que le barrage filtrant ait fini de filtrer». Les accès et ronds-points menant notamment aux zonings industriels de Rhisnes, Seilles (Andenne), Créalys (Gembloux), Malonne, et Naninne étaient bloqués. «La nationale 4 à Naninne a été bloquée durant deux ou trois heures et la sortie Namur-Ouest sur la E42 a été bloquée également mais comme il y avait peu de circulation, ça n’a pas eu des conséquences catastrophiques», ajoute Luc Giltay.
Hainaut
Tant du côté de la FGTB que de la CSC et de la CGSLB (syndicat libéral: Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique !), on indique que les derniers piquets de grève de la région de Charleroi encore en place ont été levés, aussi bien dans les centres commerciaux qu’aux carrefours des zonings industriels, où les derniers ronds-points étaient débloqués.
Il n’y a plus eu aucun incident durant l’après-midi après celui qui s’est déroulé en début de journée aux abords d’un chantier de construction de Gerpinnes, que les manifestants syndicaux avaient fait fermer. Un automobiliste avait alors tenté de forcer le passage, blessant au cours de la manœuvre trois de ces syndicalistes.
Au terme de cette journée, les trois syndicats s’entendent pour constater que le mouvement a été particulièrement bien suivi dans la région de Charleroi, qu’il s’agisse des grandes entreprises des secteurs de la sidérurgie, de la métallurgie ou de l’aéronautique, de l’enseignement ou des grandes surfaces. Les centres commerciaux ont été bloqués eux aussi.
Luxembourg
Les syndicats en front commun se félicitent «d’une grève bien suivie» en province de Luxembourg, où les actions se sont concentrées sur les entreprises, la frontière avec le Grand-Duché. La grève a particulièrement été bien suivie dans les administrations et dans l’enseignement.
Bruno Antoine, secrétaire fédéral de la CSC Luxembourg a souligné le fort taux de participation dans l’enseignement: «tout réseau et tout niveau confondu, la grève a été suivie dans 80% des implantations».
Brabant wallon
Alors que les derniers piquets de grève et barrages routiers ont été levés en début de soirée, les syndicats estiment que la journée de mobilisation en Brabant wallon est une réussite. Les objectifs fixés, à savoir le blocage de l’ensemble des zonings industriels et de certaines zones commerciales, ont été remplis. Et à part quelques énervements ponctuels d’automobilistes impatients voulant forcer le passage, il n’y a pas eu d’incidents majeurs, indiquent les responsables de l’action à la CSC et à la FGTB Brabant wallon.
«La réussite ne se mesure pas seulement au nombre de personnes mobilisées mais surtout au degré de neutralisation de l’économie. A ce niveau, les objectifs ont été remplis: dès le début de la matinée, 90% de l’activité dans les zonings du Brabant wallon était paralysée», indique Enzo Gramaglia, secrétaire régional adjoint de la FGTB Brabant wallon. Ce dernier souligne aussi l’excellente collaboration avec les forces de police, qui étaient présentes sur les lieux des piquets et des barrages routiers, et ont pu rapidement calmer certaines situations.
Bruxelles
La porte-parole de la police a indiqué qu’un barrage filtrant a été mis en place en matinée au niveau du rond-point Schuman et de la rue de la Loi. Les policiers sont intervenus pour négocier le passage d’un conducteur mécontent dont le véhicule avait des plaques allemandes.
En matinée, quelques dizaines de militants ont sensibilisé des clients dans le haut de la chaussée d’Ixelles. A la suite de cette action, des magasins comme le Carrefour Express ont fermé.
Plus d’une centaine de personnes se sont rassemblées à l’intérieur du Conseil fédéral de la Politique scientifique situé avenue Louise jusqu’à 16h00. Des débats ont été tenus par des artistes, des représentants de leur secteur, le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté ou le syndicat agricole Fugea.
Vers 16h00, un groupe de près de 50 jeunes parmi lesquels des membres de la JOC (Jeunes organisés et combatifs) ont fait une action de protestation devant le siège du MR à Bruxelles. Des membres de la JOC sont également allés renforcer en journée les piquets au Woluwe shopping center pour affirmer le soutien des jeunes aux travailleurs. (Le Soir 15 décembre 2014)
*****
Le FMI: «le gouvernement doit aller plus loin»
Au moment où le gouvernement Michel parle de «concertation sociale» et où au même titre des membres de l’appareil de la FGTB et de la CSC utilisent le même vocabulaire, le FMI proclame: «le gouvernement belge doit pousser plus loin ses réformes», lisez ses contre-réformes. Voici ce qu’en dit le quotidien Le Soir du 15 décembre 2014.
«Chaque année, à pareille époque, le Fonds monétaire international (FMI) publie le bulletin de l’économie belge. C’est la procédure, prévue par l’article IV des statuts de l’institution internationale. Il ne s’agit pas de prévisions de croissance, mais d’un état des lieux des défis auxquels doit faire face notre pays et d’une appréciation des mesures prises pour y répondre.
Petite particularité cette année: la conférence de presse de la mission du FMI était prévue ce lundi, jour de la grève générale. Du coup, elle ne s’est pas tenue, comme il est de coutume, au siège de la Banque nationale, mais dans un hôtel du centre de Bruxelles. Sur le fond, cependant, le FMI n’a guère changé son discours.
Le Fonds donne un satisfecit au gouvernement Michel. Les différentes mesures annoncées – du saut d’index à la réduction des cotisations sociales, en passant par l’allongement de la carrière – constituent «un pas important dans la bonne direction», a expliqué le chef de mission, Edward Gardner.
Le FMI salue le saut d’index et le gel des salaires, qui devraient permettre de résorber le handicap salarial accumulé depuis 1996. C’est l’objectif numéro un, explique Edward Gardner. Qui met immédiatement en garde: tous les problèmes ne seront pas résolus pour autant.
Va-t-on voir le chef de mission du FMI rappeler les critiques traditionnelles à l’encontre du système d’indexation automatique des salaires ? Surprise: le sujet n’est pas abordé. Interpellé, Edward Gardner s’explique: « Notre point de vue a évolué dans la mesure où l’indexation n’est pas aujourd’hui le problème majeur. L’évolution des salaires doit s’aligner sur celle de la productivité. Et pour cela, l’indexation encadrée par la norme salariale peut faire l’affaire ».
Car le FMI souhaite déplacer le débat vers une autre de ses marottes: la décentralisation des négociations salariales, pour que l’évolution des rémunérations soit mieux adaptée aux besoins des différentes entreprises. Mais la piste est simplement esquissée.
Tax shift: quatre pistes
La priorité, c’est la baisse des charges fiscales et parafiscales sur le travail. Le gouvernement a promis une réforme fiscale et un « tax shift »; et le FMI l’encourage dans cette voie. En lui proposant quatre pistes: harmoniser et relever la taxation des revenus du capital pour la rapprocher de la taxation des revenus du travail; revoir la taxation immobilière, en imposant moins les transactions immobilières et plus la propriété; restreindre les biens et services bénéficiant des taux réduits de TVA; développer la taxation environnementale.
On verra ce que les différents partis de la coalition, qui, sur ces sujets, ne sont pas vraiment sur la même longueur d’onde, retiendront de ces recommandations.
Côté budgétaire, le FMI juge que le rythme de consolidation prévu en 2015 et 2016 est raisonnable, compte tenu de l’environnement économique maussade et des taux d’intérêt très bas. Autrement dit: il ne faudrait pas encore serrer la ceinture.
Même si la Belgique loupe, comme on peut le craindre, ses objectifs budgétaires l’année prochaine et la suivante ? Sans surprise, le chef de mission du FMI « ne veut pas préjuger de la décision de la Commission européenne », qui, comme l’on sait, se penchera à nouveau sur le budget belge en mars prochain.
Mais Edward Gardner ne s’en tient pas là. Il ferme une porte: «Dans un environnement de taux bas, il n’y a pas d’urgence à vendre des actifs publics pour réduire la dette» – le message est clair à l’attention de celles de nos éminences qui voudraient vendre les «bijoux de famille».
Et il en ouvre une autre, rappelant que les règles fiscales permettent une certaine flexibilité, surtout si l’État concerné met en œuvre des «réformes structurelles».
Or, celles-ci sont la clef pour doper la productivité, l’investissement et la création d’emploi, assure le FMI, qui prône «une approche plus vigoureuse» pour accroître la concurrence sur certains marchés, sur le modèle (si l’on comprend bien) de la récente loi Macron en France.
Encore faut-il préciser que le Fonds a l’honnêteté de préciser que les effets bénéfiques attendus de toutes ces mesures ne se manifesteront que très lentement, compte tenu de la mauvaise conjoncture européenne. (Le Soir, 15 décembre 2014)
Soyez le premier à commenter