Belgique. A Gosselies, les métallos organisent la riposte face à Caterpillar

caterpillarPar la rédaction du Progrès social

L’annonce par la multinationale américaine de la fermeture de l’usine de Gosselies (Belgique), qui va provoquer des milliers de pertes d’emploi, rappelle la nécessité d’organiser un vrai syndicalisme international.

L’histoire ne se répète pas, dit-on, elle bégaie. Pourtant, le drame social qui risque de frapper les 2200 travailleurs du site Caterpillar de Gosselies, en Belgique, reproduit une méthode devenue la norme au sein des grandes multinationales. Elle rappelle, dans sa genèse, ce qu’on a connu en France avec le groupe PSA et la fermeture de l’usine d’Aulnay-sous-Bois, mais aussi plus récemment au sein d’Air France. Même stratégie, même schéma, même déroulement des faits.

On commence d’abord, en invoquant la «compétitivité» et le «coût du travail», puis – en laissant planer la menace d’une fermeture du site de production – par demander aux travailleurs des premiers sacrifices, avec la garantie que cela sauvera leur usine et leurs emplois.

Pour les salariés de Caterpillar de Gossellies, le plus grand site européen du géant américain, le sacrifice a commencé en 2014 avec un vaste plan de relance qui s’était soldé par une première perte de 1300 postes, accompagné d’un investissement de 150 millions d’euros. En deux ans, la productivité est remontée de 20%.

Si les syndicats et les salariés n’étaient pas vraiment dupes ni rassurés quant aux promesses faites, l’annonce, la semaine dernière, de la fermeture du site était inimaginable. Elle a donc été ressentie comme un véritable choc: dans l’usine, mais aussi dans toute la Wallonie, où la désindustrialisation à l’œuvre depuis des années a fait grimper le chômage jusqu’à 20%. D’autant qu’à court terme, la fermeture aurait pour conséquence la suppression de 4000 emplois chez les sous-traitants. En un mot, la facture humaine serait lourde, très lourde.

Des motivations floues? et peu crédibles 

Comment le géant nord américain peut-il justifier pareille décision? Il fut un temps, désormais révolu, où un groupe de cette taille n’en serait venu à une telle extrémité qu’après des difficultés économiques avérées et constatées sur une longue durée. Dans le cas présent, on a beaucoup de mal à adhérer aux arguments avancés par la direction.

Car si Caterpillar, à cause de la crise minière, a vu son chiffre d’affaires chuter de 15% en 2015, ce dernier atteint aujourd’hui encore 47 milliards de dollars, et ses bénéfices se montent à 2,1 milliards. En somme, pas de quoi paniquer. Pas de quoi non plus réduire ses effectifs de 9%, soient 10’000 emplois, comme le prévoit le vaste plan mondial de restructuration lancé il y a un an.

Le courrier très brutal envoyé aux travailleurs par la direction du site de Gosselies n’a donc guère convaincu. Il s’articule autour de deux axes : un réajustement de la surface de production, amputée de 10%, et une compression des coûts de l’ordre de 1,5 milliard de dollars étatsuniens. Mais ce n’est pas tout: après la fermeture, la production de Gosselies serait transférée vers d’autres usines du groupe. Au terme de la procédure, les excavatrices seraient ainsi fabriquées au Japon (Akashi), en Chine (Xuzhou), et aux États-Unis (Victoria, Texas). Les chargeuses sur pneus de taille moyenne vendues sur le marché européen quant à elles, seraient produites à l’usine de Grenoble en France, tandis que les composants seront confiés à des fournisseurs externes ou à d’autres usines du groupe Caterpillar.

Hier matin, l’ACV-CSC METEA, syndicat national de l’industrie en Belgique, présentait toutefois une autre version dans les colonnes de sudinfo.be, pointant notamment les deux principales erreurs de stratégie de l’entreprise. Concernant la première, « Gosselies a misé sur les seules machines tier 4, les moins polluantes sur le plan environnemental, mais les plus chères aussi. Or l’Europe, le marché cible de Caterpillar Gosselies, n’ayant pas rendu ces normes obligatoires, la plupart des clients n’ont pas suivi. Les ventes n’ont donc jamais décollé». Pour la seconde, «la direction de Gosselies a également privilégié les grands engins. Les machines de plus petites tailles sont parties ailleurs… On se trouvait donc aujourd’hui avec des machines qui ne se vendaient pas, dans une usine surdimensionnée. Cet élément-là a certainement joué en défaveur de Gosselies ».

Dans la dernière partie de ce même courrier, truffé des habituelles formules de fausse compassion, l’administrateur délégué du site Thierry Hansen tente déjà de désamorcer un conflit social très prévisible: «Toutefois, et je comprends que ce ne sera pas facile, écrit-il, nous allons devoir continuer à poursuivre nos activités car nous ne sommes qu’au début d’un processus qui peut durer plusieurs mois». Sous-entendu: « s’il vous plaît, ne bloquez pas la production». Dans sa grande magnanimité, la direction a mis en place un numéro vert d’assistance psychologique pour les travailleurs et leurs familles. L’industriel ne sait sûrement pas que les plus grands dégâts psychologiques, c’est après et non avant les licenciements.

La lutte internationale, seule issue

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas du côté des responsables politiques que les salariés de Gosselies trouveront de l’aide pour empêcher cette fermeture. Que ce soit Kris Peeters, ministre de l’Emploi et de l’économie, ou le Premier ministre Charles Michels, tous ont acté la fin et parlent déjà de plans de reclassement et de réhabilitation du site. Et les engagements pris dans ces moments-là par les politiques et les chefs d’industrie, les anciens ouvriers de Continental et de PSA (en France) savent ce que ça vaut par la suite.

Du côté des syndicats et des travailleurs de Gosselies, on hésite encore sur la stratégie à tenir: lutter contre la fermeture de l’usine, ou pour l’obtention du plus grand nombre de reclassements possible et les meilleures conditions de départ? La ligne est encore loin d’être claire. Durant tout le week-end, l’intersyndicale locale, composée de l’ACV-CSC (Confédération des syndications chrétiens) METEA et de la FGTB Métallos (Fédération générale du travail de Belgique), n’a cessé de déclarer que les bâtiments et les machines constituaient «des trésors de guerre». Autrement dit une monnaie d’échange, mais on ne sait pas encore clairement contre quoi. «On continuera à produire, a-t-on prévenu, mais plus aucun engin ne sortira, ni ne sera livré». à entendre Antonio Cocciolo, le président des Métallos FGTB Hainaut/Namur qui travaille depuis 27 ans chez Caterpillar, la bataille sera rude, car les Américains «ne bluffent jamais dans ces circonstances», et les chances sont infimes de les voir faire marche arrière. Lorsque nous avons tenté de le joindre hier matin [1], sa fédération était en pleine effervescence, son emploi du temps surchargé, et nous avons dû reporter notre entretien.

Comme d’autres avant eux, et quelle que soit leur détermination, les 2200 ouvriers auront du mal à s’en sortir en luttant seuls. Caterpillar étant une puissante multinationale, le blocage de la production sur la seule ville de Gosselies ne créerait pas une gêne et un rapport de force suffisants.

La solution passerait donc par une mobilisation commune à plusieurs pays. Une unité difficile à créer pour le moment, selon Alexis Mazza. Représentant du personnel pour la CGT sur le site grenoblois de Caterpilla. Il nous répond à la sortie d’une réunion pendant laquelle il aura été évidemment question de Gosselies: «L’erreur monumentale serait de penser que si nos collègues belges sont touchés, nous ne le serons pas. Une partie de la production de Gosselies va être rapatriée ici, mais une partie de celle que nous assurons va partir. Nous n’allons maintenant plus fabriquer que pour l’Europe. Vu la politique menée par Caterpillar, il peut nous arriver la même chose demain». C’est pourquoi son syndicat a immédiatement réagi et pris contact avec leurs homologues belges de la FGTB, avec lesquels ils entretiennent «des relations très suivies» en temps normal. «Ils devaient se déplacer pour nous rencontrer mardi, explique Alexis Mazza, mais au final, ce sera une conférence téléphonique et c’est nous qui nous déplacerons en Belgique par la suite ».

L’objectif est de «construire une réponse collective», même s’il est encore trop tôt pour en connaître les détails, «surtout aux côtés de la FGTB, qui veut apparemment se battre contre la fermeture». Pour ce qui est d’organiser la lutte de manière internationale, la CGT Caterpillar Grenoble juge cela évidemment indispensable pour répondre à l’organisation transnationale du capitalisme.

Cependant, cette lutte syndicale internationale est « pour le moment un feu de paille. Chez Caterpillar, nous sommes organisés au sein de la FIOM [Fédération Internationale des ouvriers de la métallurgie, NDLR], mais les organisations représentées ne sont pas toutes sur la même longueur d’onde. Il y a notamment des désaccords entre les syndicats “d’accompagnement” et ceux qui, comme nous et quelques autres, veulent transformer la société ».

Le fait que le syndicalisme ait accumulé du retard sur ce plan tandis que le capitalisme, lui, est depuis longtemps transnational, est l’une des clefs qui expliquent pourquoi des scandales comme la fermeture de Gosselies et bien d’autres sont possibles. (Article de la rédaction du Progrès social)

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[1] Le quotidien belge Le Soir sous le titre «Caterpillar aux abonnés absents» écrivait, le 7 septembre 2016: «Ce mardi à la Chambre, aucun dirigeant de Caterpillar ne s’est présenté devant les parlementaires, déclenchant la colère de ces derniers qui s’étaient réunis pour entendre les responsables de la multinationale, mais aussi des représentants syndicaux.

Ce refus de s’exprimer au Parlement est une manifestation d’un problème plus vaste: la difficulté pour les autorités belges, mais aussi pour les syndicats et les sous-traitants, de trouver des interlocuteurs crédibles au sein du groupe américain. Il y va bien sûr du respect légitime vis-à-vis des milliers de travailleurs qui vont perdre leur emploi. Mais le flou qui entoure encore la manière dont la direction de Caterpillar va gérer les mois à venir pose aussi des problèmes pratiques. Dans quel cadre le gouvernement wallon peut-il discuter avec le directeur de Gosselies? Que doivent faire les sous-traitants qui ont des centaines d’employés en attente sur le site?»

Dans un second article du Soir intitulé «Allô Caterpillar», signé Benoît July, on peut lire: «Mais c’est surtout du côté syndical qu’on s’inquiète. Même si un rendez-vous a finalement été fixé avec la direction locale, lundi prochain, afin d’entrer dans le vif du sujet de la première phase d’information et de consultation de la procédure Renault, les représentants du personnel craignent n’avoir affaire qu’à une direction totalement soumise aux injonctions venues d’en haut. «La confiance est évidemment rompue», commente Antonio Cocciolo, président de la FGTB-Métal Hainaut-Namur.

Et le permanent d’ajouter: «Nous venons d’apprendre que la supervision de la procédure sera assurée par le vice-président du secteur des excavatrices.» Et de se tourner vers un collègue. «Comment s’appelle-t-il déjà? Ah oui, Bob De Lange!» Un homme dont le CV mentionne tout de même qu’il est responsable mondial du segment «pelles hydrauliques sur pneus et à chaînes», et qu’il est natif d’Anvers, titulaire d’une maîtrise en ingénierie mécanique de l’UCL [Université catholique de Louvain]. Viendra-t-il pour autant à Gosselies? «Nous n’en avons pas la moindre idée, nous ne l’avons d’ailleurs jamais vu.»

Le verraient-ils que cela changerait finalement quelque chose? «Lors de la précédente restructuration de 2013, on nous avait assuré que l’objectif était de sauver l’usine», relève un délégué. «Mais on voit où cela nous a menés. Quels que soient les hommes, c’est la soumission de cette entreprise au diktat de ses actionnaires qui est la seule réalité.» (Rédaction A l’Encontre)

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 sortira son numéro 100 le jeudi 8 septembre 2016

 

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