Autriche. Un partenariat avec Poutine, ou les amis russes du FPÖ

Johann Gudenus (gauche), Heinz-Christian Strache, lors du Opernball de 2014; auquel Marine Le Pen participa en 2017

Par Charlotte Bischof

Le voyage des dirigeants du FPÖ [Freiheitliche Partei Österreich – Parti de la Liberté d’Autriche, parti d’extrême droite dont le président est Heinz-Christian Strache] en Russie pour rencontrer le parti de Poutine «Russie unie», en décembre 2016, a été qualifié par la droite conservatrice du ÖVP (Österreichische Volkspartei – Parti populaire autrichien) de «Geisterfahrt» [allusion à un automobiliste roulant en sens contraire]. Il s’agit du dernier indice en date des liens forts et des accointances idéologiques qu’entretiennent les partis de droite avec Moscou. L’Autriche n’échappant pas à cette tendance. En particulier au vu de sa «collaboration» renforcée avec Moscou, le FPÖ n’est pas un cas isolé: le Vlaams Belang («Intérêt flamand», Belgique), Jobbik (Mouvement pour une meilleure Hongrie) et l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) cherchent tout autant à s’assurer le soutien de Poutine que le Front national (France), qui veut se payer une campagne coûteuse au moyen de prêts russes [1].

Un partenariat avec la Russie? Il n’en a pas toujours été ainsi. Pendant longtemps, la Russie était associée à l’héritage du bloc de l’Est, communiste, et incarnait, aux yeux des partis de droite en Europe, le déclin de la civilisation. Or, depuis quelques années, on peut observer un renversement complet dans la politique des partis d’extrême droite européens vis-à-vis de la Russie: en Allemagne, l’AfD (Alternative a découvert le potentiel électoral des «Allemands de Russie» [2] et s’oppose fermement aux sanctions contre la Russie [suite à l’annexion de la Crimée]. De même, le populiste de droite dure, raciste, Geert Wilders [voir sur ce site l’analyse du vote dans les Pays-Bas en date du 17 mars 2016] souhaite mettre fin aux sanctions et considère que «la reprise des relations avec la Russie est une direction à prendre de manière prioritaire» pour les Pays-Bas. Marine Le Pen, du Front national, affiche ouvertement son admiration pour Poutine [3] et a déclaré que la Russie du dirigeant du Kremlin constituait un exemple pour la France [4].

Les étroites relations entre le FPÖ et la Russie

Qu’en est-il du FPÖ? L’intérêt de ce parti pour un rapprochement avec la Russie remonte bien avant décembre 2016, date de la visite de ses pontes au parti de Poutine. A partir de 2008 – du temps de la guerre en Géorgie – le chef du FPÖ, Heinz-Christian Strache, a étendu ses réseaux en Russie. Juste après le lancement de l’invasion russe en Géorgie de 2008, ce dernier a rencontré Levan Pirveli et Maksim Schwetschenko[5]. Pirveli est un géorgien pro-russe, qui gérait les réseaux de la communauté géorgienne de Vienne avec l’aide d’un avocat d’affaires. Pirveli écrit également des articles pour le magazine du Parti de la Liberté d’Autriche [FPÖ].

Aux côtés de Strache, on trouve Johann Gudenus, un homme de réseaux, maillon important des relations avec la Russie [J. Gudenus est aussi membre de la confrérie étudiante Vandalia dont la devise est «Allemands, fidèles, sans crainte» aux accents néonazis]. Le vice-président du FPÖ a dit en septembre 2014 à Moscou que l’Union européenne était un « lobby homosexuel»[6], ce qui révèle sa proximité idéologique avec la politique discriminatoire et d’appel à la violence envers les membres des communautés LGBTIQ [7] que propage le parti de Poutine. Srache et Gudenus ont pris part, en mai 2014, à une rencontre secrète des droites extrêmes européennes à Vienne, dont le financement a été garanti par l’oligarque russe Konstantin Malofejew[8].

D’autres politiciens du FPÖ semblent tout aussi intéressés à s’attirer les faveurs de Poutine: Barbara Kappel, qui siège au Parlement européen dans les rangs du FPÖ, s’est rendue en Russie pendant la candidature de Norbert Hofer à la présidentielle [second tour, le 4 décembre 2016, Hofer réunit 46,21% des suffrages] afin de plaider en sa faveur. Lors de son séjour, elle a assuré du fait que Hofer, s’il devenait président, prendrait des décisions dans l’intérêt de la Russie et, en particulier, qu’il aiderait à obtenir la levée des sanctions.

Un plan quinquennal d’un type nouveau

Ces tentatives de rapprochement se sont affermies lors de la visite des cadres du FPÖ à Moscou, en décembre 2016. Dans le cadre de cette réunion, Heinz-Christian Strache, le président du Conseil national Norbert Hofer, le maire adjoint de la ville de Vienne Johann Gudenus, ainsi que le chef du FPÖ de Linz, Detlef Wimmer, se sont mis d’accord avec le parti de Poutine «Russie unie» sur un «accord de collaboration et de coopération» d’une durée de cinq ans. C’est en particulier dans les domaines de la guerre «contre le terrorisme» et le renforcement de «l’esprit patriotique» que la collaboration des deux partis doit porter ses fruits.

Mais à qui sert ce «contrat de partenariat» d’une durée de cinq ans, que Strache aimerait mieux appeler «contrat de travail en commun» [Arbeitsvertrag]? Celui-ci sert-il l’intérêt de la Russie? Pas en premier lieu. On prête certes à Poutine une stratégie active visant à renforcer les divisions au sein de l’Union européenne (UE) et, de manière générale, à attiser le ressentiment face au modèle sociétal européen. Dans ce cadre, les partis populistes de droite sont censés lui être utiles. Il est bien probable que ce soit le cas. Toutefois, la proximité entre les partis d’extrême droite et la Russie sert davantage Strache et consorts. Ceux-ci ne sont pas préoccupés en premier lieu par la défense des intérêts russes. Strache et consorts sont d’abord attachés au renforcement du «populisme de droite extrême» – ceci dans leur propre pays.

Un populisme de droite dure «dé-diabolisé»

Les «contrats de partenariat» du type de celui qui a été négocié à Moscou servent, d’une part, à faire la démonstration symbolique que se renforcent les «valeurs traditionnelles», telles qu’elles sont portées par ce populisme de droite dure. Cela est également valable pour les annonces pathétiques visant à se faire inviter à la prestation de serment de Trump, comme Strache et Hofer l’ont signalé, du moins implicitement. Car, il apparaît ici clairement que les populistes de droite ne sont pas seulement reliés par leurs réseaux, mais qu’ils disposent également de convictions largement convergentes.

Marion Maréchal-Le Pen et Strache

Celles-ci se basent sur une double démarcation (Abgrenzung): premièrement, contre les élites – auxquelles ils n’appartiendraient prétendument pas – et, deuxièmement, contre les «autres», c’est-à-dire les migrant·e·s, les féministes ou bien les personnes faisant partie des communautés LGBTIQ. Cela signifie qu’ils se définissent par l’exclusion de tous ceux et toutes celles qui, selon leur vision du monde, proviennent de «l’étranger», ou alors qui représentent des «ennemis intérieurs» parce qu’ils n’adhèrent pas aux dites «valeurs traditionnelles».

Lors de ses voyages en Russie, il importe, d’une part, au FPÖ de démontrer [au sens de manifester] que leurs «valeurs» se renforcent, ce qui est à interpréter dans le sens d’un renforcement du racisme, de l’inégalité et du sexisme. D’autre part, il en va d’une stratégie supplémentaire du populisme de droite dure que l’on peut décrire en empruntant un terme à Marine Le Pen (Front national), consistant à «dé-diaboliser» ces «valeurs traditionnelles» et les «crapules» qui les représentent. Cette stratégie vise à présenter le racisme, l’inégalité et le sexisme comme étant «normaux», «naturels» et légitimes. Cela aide le FPÖ à se présenter toujours plus comme un parti «prêt à gouverner» et à vendre son programme populiste de droite et d’extrême-droite, comme légitime [lors des législatives de 2018]. (Article publié sur le site autrichien mosaik, en février 2017; traduction et notes de A l’Encontre)

Charlotte Bischof est chercheuse en sciences politiques à Vienne.

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1 Voir l’édition de Mediapart du 19 mai 2015, https://www.mediapart.fr/journal/france/190515/le-fn-obtenu-ses-millions-russes .

2. Il s’agit d’un groupe minoritaire russophone au sein de la population allemande, qualifié de façon discriminatoire de «Russland-Deutsche», que le chancelier Helmut Kohl a autorisé à immigrer en Allemagne après la Réunification, principalement constitué des descendants d’anciens émigrants de langue allemande installés dans certaines régions de l’empire tsariste (p.ex. les dits «Allemands de la Volga») et ayant, par la suite, survécu aux déportations massives ordonnées par Staline.

3. Le Monde du 2 novembre 2015, édition en ligne.

4. Handelsblatt du 30 novembre 2014, édition en ligne.

5. Voir l’article „Moskaus blaue Freunde“, Die Zeit, 29 septembre 2014, édition en ligne.

6. Voir l’article «Moskaus blaue Freunde», dans l’hebdomadaire allemand Die Zeit, 29 septembre 2014, édition en ligne.

7. Cet acronyme désigne les Lesbiennes, Gays, Bisexuels/Bisexuelles, Transgenres, Intersexuels/Intersexuelles et les personnes «Queer».

8.  Le Figaro du 4 juin 2014, édition en ligne.

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