Par Wolfang Schaumberg
Les salarié·e·s d’Opel n’avaient encore jamais entendu un appel à la lutte aussi radical de la part des porte-parole des comités d’entreprise et des syndicats de la métallurgie (IG-Metall):
• «Les usines Opel de Bochum ont déjà été maintes fois menacées de fermeture! Nous avons pu effectivement bloquer de tels plans. C’est aussi valable pour le futur. Nous n’accepterons jamais la fermeture des usines de Bochum, même assortie d’un plan social. La fermeture de l’usine de Bochum serait la plus chère de tous les temps pour General Motors et Opel» (Déclaration commune du président du Comité d’entreprise d’Opel-Bochum, Rainer Einenkel, et du dirigeant de l’IG-Metall en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Olivier Burkhard).
• «Nous ne pouvons pas travailler en permanence [à des niveaux de salaire] inférieurs à la convention collective. Nous ne résoudrons pas le problème en faisant en sorte que les salariés acceptent une réduction supplémentaire [de leur salaire]» (Rainer Einenkel dans [le quotidien] Westdeutsche Allgemeine Zeitung, WAZ, du 5 janvier 2012).
• A cela vient s’ajouter la déclaration du comité d’entreprise européen d’Opel, représentant 40’000 salariés dans 12 usines en Europe, adressée à la direction d’Opel le 24 mars 2012, soulignant qu’il ne négocierait plus au niveau local, afin de mettre fin à l’instrumentalisation du personnel d’une usine contre celui d’une autre. (WAZ, 26 mars 2012).
Doit-on donc s’attendre à ne plus voir de fermetures d’usine, après celle d’Anvers en 2010? L’idée se serait-elle imposée que les licenciements massifs peuvent [certes être rendus] tolérables au plan individuel [à cause des indemnités versées], mais qu’ils ne sont jamais «socialement acceptables» pour l’ensemble de la société? [1] Est-ce la fin des compromis basés sur l’acceptation par le personnel de baisses de revenus (Verzichtsleistungen), comme le prévoit le dernier «Master-Agreement» ou convention d’entreprise de 2010, avec le démantèlement [aux usines de Bochum] de 8000 places de travail et des baisses annuelles de salaire équivalant à un total de 265 millions d’euros?
Pourtant, la direction d’Opel-General Motors a soumis dernièrement aux comités d’entreprise un nouveau «catalogue de revendications de l’horreur (Horror-Katalog)», exigeant en 2012 le renoncement à des augmentations salariales conventionnelles et aux indemnités pour le travail du week-end, la flexibilisation accrue du temps de travail et l’acceptation d’une part de travailleurs intérimaires allant jusqu’à 30% du total des salariés. [Face à l’appel à la lutte des porte-parole des comités d’entreprise], est-ce que les managers d’Opel peuvent jeter à la poubelle ce catalogue de revendications? [Qu’en est-il des] baisses de profit massives de General Motors en Europe en 2011, à hauteur de 750 millions de dollars, ainsi que des sombres perspectives engendrées par la baisse renouvelée des ventes en 2012, tandis que les usines ne tournent qu’à 75% de leur capacité productive (selon le chef de la production d’Opel dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung du 22 mars 2012)? Est-ce que l’appel à une lutte de masse lancé par des représentants du personnel – représentant des «chers collaborateurs» dans le langage patronal – va insuffler aux managers d’Opel une telle peur qu’ils vont écrire leur propre lettre de licenciement et, en passant, encaisser quelques millions en primes de départ?
Pas de panique! La question décisive est de savoir comment les porte-parole des comités d’entreprise et de IG-Metall envisagent de faire face aux attaques de General Motors.
• Le chef du comité d’entreprise de l’usine de Bochum fait mention du «blocage effectif» des plans de fermeture [survenus dans le passé]. A-t-il à l’esprit la grève de l’année 2000 à Bochum, suivie par 5 équipes de travail [ce qui équivaut à 40 heures en travail posté en 3 x 8] ou celle de 2004, suivie par 11 équipes [équivalent de 88 heures]? Il est de notoriété publique qu’il s’agissait d’actions auto-organisées du personnel, critiquées comme étant des «grèves sauvages», et absolument pas voulues, ni soutenues par les officiels du comité d’entreprise ou du syndicat IG-Metall. Exactement comme à l’époque, les salariés de Bochum entendent des avertissements sous-entendus: «Nous n’allons pas sombrer dans l’activisme aveugle, mais chercher ensemble des solutions intelligentes avec le personnel, le syndicat IG-Metall et le pouvoir politique.» (R. Enkel, chef du comité d’entreprise de l’usine de Bochum, dans la WAZ du 26 mars 2012).
• Le 19 mars 2012, le comité d’entreprise européen d’Opel propose, conjointement avec Fédération européenne des métallurgistes (FEM) et la direction d’Opel, «l’élaboration commune d’un plan de croissance pour l’Europe et les grands marchés globaux à l’extérieur de l’Europe». Selon leurs formules, les partenaires sont «d’accord sur le fait qu’Opel doit produire de manière profitable et prendre des mesures pour augmenter le chiffre d’affaires, augmenter les marges et réduire les coûts (…) (et, donc, que la volonté existe de) travailler ensemble à la stratégie optimale pour améliorer la santé financière de l’entreprise». De même, il devrait être mis fin à la «perte de confiance des clients» (déclaration du conseil central d’entreprise du 28 mars, WAZ du 29 mars 2012).
• Plus de «croissance», «réduire les coûts», «améliorer la situation financière de l’entreprise» – et en même temps, pas de fermeture d’usine, pas de pertes salariales, pas d’extension du travail intérimaire, pas de concessions supplémentaires de la part du personnel?
• De plus, on exige de gagner plus de clients: c’est, au regard de marchés en voie de contraction, plutôt à interpréter comme un affront aux concurrents tel Volkswagen (VW) et, par la même occasion, aux salariés de ces entreprises.
• «Pour garantir la sauvegarde du site (Standortsicherung), nous avons besoin d’une nouvelle série de modèles. La production annuelle de 40’000 voitures du modèle Chevrolet-Orlando, prévue pour l’Europe, doit sérieusement être étudiée pour l’usine de Bochum», exigent le comité d’entreprise et le syndicat IG-Metall dans leur «Déclaration commune» du 19 mars 2012. Or, avec chaque «série supplémentaire de modèles», [le management peut provoquer] de nouvelles suppressions d’emplois au moyen de rationalisation et de la sous-traitance de tâches de production (Fremdvergabe), ce qui lui permet de renforcer le chantage [sur le personnel restant]. Ainsi, la porte est grande ouverte à une politique qui monte les salariés d’une usine contre ceux d’une autre.
• «Nous devons faire la promotion d’Opel dans le monde entier» (WAZ du 5 janvier 2012). Avec acharnement, les représentants du personnel exigent: la direction de General Motors à Detroit devrait enfin accepter que des voitures issues des usines européennes d’Opel puissent être également vendues en Chine et dans d’autres pays. Là-bas, General Motors dispose toutefois, depuis longtemps, de ses propres usines, de réseaux de concessionnaires, de plans d’investissement, sans fin. Si les syndicats se réclament de la solidarité internationale, de telles revendications portant sur l’expansion commerciale d’Opel sont plus que douteuses… Pour rappel: «nous» vendons surtout notre force de travail, dans le pire des cas, il arrive que nous devions vendre une voiture, la nôtre. Nombreux sont les représentants officiels qui semblent avoir oublié le cours de formation du syndicat IG-Metall: «délégué syndical niveau 1»…
Conclusion: quand on cherche à tout prix à «faire cause commune» avec le management, et ainsi à sauver aussi bien les profits de l’entreprise que le personnel, on ne sort pas de la spirale de la concurrence avec le chantage que cela implique. Cela conduit, malgré toutes les promesses, à devoir encaisser de nouvelles mesures [où les salariés doivent] renoncer à une partie de leur salaire. Dans l’usine Opel d’Eisenach, la réduction du temps de travail [sans compensation salariale, dans le cadre de la baisse de la production] a été récemment imposée à 33 heures hebdomadaires, 30 pour le travail de nuit: «Pour les salariés, cela signifie jusqu’à 19% de salaire en moins», selon le chef du comité d’entreprise d’Eisenach, cité dans le quotidien Bild, en date du 20 mars 2012.
Et maintenant, que faire? Il y a parmi le personnel au moins une minorité de collègues qui sont prêts à lutter. Ils-elles savent aussi qu’une lutte victorieuse contre de telles attaques de la part de la transnationale ne peut pas être gagnée par les salarié·e·s d’une seule usine. Le fait que la grande majorité des salariés d’Opel et de l’industrie automobile sont organisés au sein de l’IG-Metall ne va pas leur donner du courage pour autant… Ils attendent tout aussi peu de la «politique»…
Peut-être qu’il est utile de rappeler certains aspects de la lutte des salariés de l’usine Opel de Bochum en 2004:
• «Stop aux concessions». Ici, il est possible de s’appuyer sur la revendication des syndicats et de discuter ses contradictions. De plus, on peut rappeler les fausses promesses des accords précédents qui intégraient des concessions [telles que l’acceptation de baisses de salaire et de certains droits acquis] et stimuler la discussion sur les moyens et les modalités de riposte.
• «Nous devons rester». La vieille revendication des salarié·e·s de Bochum a, au moins en 2004, provoqué une solidarité large dans la population, et bien au-delà. Cette solidarité ne sera pas possible à concrétiser si l’objectif se réduit à obtenir des indemnités relativement élevées de licenciement, tout en acceptant le principe des licenciements.
• Toute décision du comité d’entreprise doit être précédée d’un vote de tout le personnel de l’usine… C’est-à-dire que les salarié·e·s doivent prendre directement les choses en main. (Traduction A l’Encontre)
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Cet article sera publié dans le mensuel de la gauche syndicale express, en mai. Il a été mis en ligne sur le site Labournet.de. Wolfgang Schaumberg a travaillé 30 ans aux usines de Bochum. Il fut membre du comité d’entreprise pendant 25 ans. Retraité, il est actif dans le collectif de base Gegenwehr ohne Grenzen (GoG) («Résistance sans frontières»), ainsi que dans plusieurs mouvements et réseaux de solidarité, entre autres avec des salarié·e·s en Chine.
[1] L’auteur fait ici un jeu de mots intraduisible autour de l’adjectif sozialverträglich, qui désigne par euphémisme l’accompagnement de mesures de licenciement par des mesures censées «ménager les intérêts sociaux», tandis que l’adjectif verträglich renvoie à un médicament ou un traitement toléré par le patient, au sens médical.
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