Par Sebastian Friedrich
Annalena Baerbock enveloppée dans un manteau vert foncé, dans sa main deux grandes tablettes de pierre avec dix interdictions que les Verts sont censés vouloir. Sous cette représentation renvoyant aux tables de la loi de Moïse, on peut lire en lettres capitales: «Pourquoi les interdictions vertes ne nous mèneront pas à la terre promise». Cette publicité est apparue en bonne place sur les pages de la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), de la Süddeutsche Zeitung et de Zeit Online le vendredi 12 juin conjointement à la conférence (du 11 au 13 juin) du parti fédéral des Verts. Elle a été placée par l’organisation de lobbying néolibérale Initiative Neue Soziale Marktwirtschaft (INSM) [Initiative pour une nouvelle économie sociale de marché], qui est largement financée par l’industrie métallurgique et électrique. L’annonce a atteint son but: l’enfer s’est déchaîné sur Twitter et plusieurs journaux ont repris le sujet. Des rédactions ont fait du fact checking.
Pourtant, de larges pans de l’économie n’ont rien à craindre des Verts. Le parti l’a prouvé de manière impressionnante lors de la conférence du parti au cours de laquelle le programme électoral a été adopté. De manière pragmatique, constructive, se situant à la hauteur des étages conduisant à l’exécutif, deux tiers des délégués ont rejeté une proposition visant à augmenter les prestations de Hartz IV de 200 euros! L’abolition du frein à l’endettement a également été rejetée, tout comme la proposition des Verts de ne pas autoriser la socialisation des sociétés immobilières. Une motion visant à porter le taux d’imposition maximal à 53% a également échoué – la conférence du parti a opté pour une augmentation «modérée» à 48%. Les riches ont poussé un soupir de soulagement. L’industrie automobile a également eu des raisons de se réjouir: les voitures à moteur à combustion ne pourront plus être immatriculées depuis 2030 – et non pas déjà à partir de 2025. Et l’industrie de l’armement a été heureuse d’apprendre que les Verts n’excluent pas catégoriquement l’utilisation de drones de combat.
Un discours a été prononcé par l’ancien patron de Siemens, Joe Kaeser. Le nouveau président du conseil de surveillance de Siemens Energy – qui se décrit lui-même comme un «croyant du capitalisme inclusif» – s’est exprimé lors de la conférence du parti en faveur d’une économie de marché socio-écologique – par opposition au socialisme. Il a exhorté les Verts à ne pas rater la grande opportunité de passer de chef du département de l’environnement au conseil d’administration de l’Allemagne.
Eloge de fractions du Capital
Même les banques privées n’ont plus peur de Baerbock et Cie: l’Association des banques allemandes en a fait l’éloge dans le Handelsblatt du 5 mai, déclarant que les Verts étaient peut-être le premier parti à comprendre que la transformation vers une économie durable ne pouvait être réalisée qu’avec le soutien des banques et des marchés de capitaux.
Fin mai, la banque suisse UBS a publié une analyse des prochaines élections au Bundestag le 26 septembre: même avec les Verts au gouvernement, il n’y aurait aucune raison pour les investisseurs de s’inquiéter. Il y aurait même des opportunités: les entrepreneurs de systèmes d’énergie renouvelable, les constructeurs automobiles axés sur les véhicules électriques, les entreprises de semi-conducteurs et les entreprises d’énergie verte pourraient en profiter. Un gouvernement des Verts avec la CDU est le scénario le plus probable, qui pourrait aller de pair avec un soutien à l’euro et le transfert de certains pouvoirs à Bruxelles.
Avec autant d’éloges préalables de la part d’importantes fractions du Capital, il n’est pas surprenant que la Confédération des associations patronales allemandes (BDA) ait critiqué la campagne de l’INSM. «Le dénigrement personnel et l’utilisation infructueuse du symbolisme chrétien ne sont pas des opérations appropriées dans la nécessaire compétition pour le contenu politique.» Ce n’est pas le style de la BDA, a-t-elle fait entendre.
L’INSM ne semble pas avoir encore entendu le message: les Verts, et à leur tête Annalena Baerbock, pourraient finalement mener le capital allemand vers la terre promise, vers une terre où le capitalisme peint en vert a un avenir. (Article publié sur le site de l’hebdomadaire Der Freitag, le 14 juin 2021; traduction rédaction A l’Encontre)
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