Par Yves Bergeron
Le 22 septembre 2014, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, se rendait à New York afin de participer à la 6e édition de la Climate Week-New York City (CW-NYC), un événement qui prétend être un facteur dans la lutte aux changements climatiques et regroupant des représentants de 125 pays. En parallèle, une lettre signée par des représentant·e·s du patronat québécois et par deux représentants du mouvement écologiste, Karel Mayrand de la Fondation David Suzuki et Steven Guilbault d’Équiterre faisait la promotion du marché du carbone comme d’un outil qui « incite nos grands émetteurs à réduire leurs émissions de GES» (1).
Pourtant, ce type d’initiatives connaît des ratés partout sur la planète, provoque la colère de catégories de la population qui se voient refiler la facture des dérèglements climatiques alors que les vrais coupables sont invités à jouer au casino des bourses carbone de la planète afin de réaliser un profit «vert».
Comment ça fonctionne… pas?
Les bourses du carbone ont été mises sur pied suite à l’Accord de Kyoto [en 1995 est signé le Protocole de Kyoto]. Après avoir comptabilisé les émissions de GES [gaz à effet de serre] des différents pays et secteurs de la production (transports, énergies, fabrication, etc.), des quotas carbones sont alloués pour chacun des pays ou régions qui ventilent ces chiffres pour les entreprises parmi les plus polluantes: un quota = le droit d’émettre une tonne de CO2.
Puis la création d’un système communautaire d’échange de quotas d’émission permet aux entreprises qui réduisent leurs émissions de vendre des quotas aux entreprises qui dépassent leurs quotas. Les bourses du carbone sont les institutions qui organisent ces échanges et fixent les prix selon l’offre et la demande. L’allocation des quotas a donné lieu à une surabondance d’émissions créant une pression à la baisse sur le prix des quotas (le prix de la tonne de CO2 a chuté brutalement début 2005 et de nouveau en 2011-2012 avant de connaître un véritable prix plancher à 5 euros) (2). La Commission européenne (CE) a gelé la mise aux enchères de 900 millions de tonnes de quotas de CO2 sur la période 2013-2015, afin de relever le prix du carbone, trop bas pour financer les investissements dans les énergies renouvelables (3).
De plus, l’expérience européenne a permis d’identifier d’autres travers: les patrons ont préféré acheter des droits de polluer plutôt que d’investir dans des technologies propres; les entreprises disposant de trop de quotas ont réalisé un bénéfice exceptionnel en vendant leurs surplus sur le marché du carbone. (4) Celles qui voyaient les bourses du carbone comme une façon de financer le virage vert ont avalé une pilule amère. Les apports financiers des bourses du carbone européennes se sont révélés très décevants et la réduction des émissions de GES n’a pas été à la hauteur des espérances. Il est clair que l’UE (Union européenne) ne respectera pas l’objectif de 8% de réduction des émissions autrement qu’en achetant massivement des droits de polluer générés au Sud.
Quelle efficacité pour la réduction des émissions de GES?
«Vu que planter des arbres est beaucoup moins coûteux et compliqué que de remplacer des centrales électriques par des dispositifs décentralisés de production électrique basés sur l’énergie solaire, le marché du carbone tend à orienter les investissements vers des mesures non structurelles, productrices de droits à bon marché, plutôt que vers la révolution énergétique indispensable.» (5)
Il faut en effet faire un constat d’échec des tentatives des bourses du carbone qui se sont toutes heurtées à l’impératif du profit. Aucune entreprise n’ira de l’avant dans la lutte aux changements climatiques s’il n’y a pas un profit substantiel à la clé. Plus globalement, la lutte aux changements climatiques exige une planification des mesures à apporter (transport en commun, transition énergétique, etc.) et de leur application qui vont à l’encontre de l’ADN du capital: la course aux profits ne tolère aucune intrusion dans son parcours.
Cette lutte ne se résuma pas aux seules émissions de GES, elle implique non seulement de nouveaux procédés de production mais aussi et surtout l’élimination des énergies fossiles dans la production. Un plan stratégique est requis pour y parvenir, plan dont l’entreprise privée a horreur. Le seul plan qui leur convienne est celui du chemin le plus court vers le rendement maximum. Dans ce contexte, penser que le capital fera le dos rond et collaborera dans la lutte aux émissions de GES relève de la pensée magique.
En réaction à l’annonce de la deuxième vague du marché du carbone en janvier 2015, il est clairement souligné que la facture sera refilée aux consommateurs-trices. (6)
Où va le gouvernement Couillard?
Philippe Couillard, lors de son récent voyage à New York, a souhaité positionner le Québec parmi les leaders du marché du carbone. Il affirme que la bourse du carbone représente le meilleur moyen pour lutter contre les changements climatiques (7). Or il s’agit là d’une imposture: le gouvernement Couillard ouvre la porte à l’exploitation du pétrole sur le territoire du Québec; il appuie le passage du pétrole sale de l’Alberta au Québec par oléoducs, un projet qui multipliera les émissions du Québec de 40% selon l’AQLPA (8). Il appuie la mise en place de la cimenterie de Port-Daniel-Gascons
[Cette cimenterie de McInnis Ciment vante sa dimension écologique sur son site Sur un milliard de dollars canadiens d’investissement prévu, 350 millions au total viennent du bras financier de l’Etat québécois: Investissement-Québec et 100 millions de la Caisse de dépôt et de placement du Québec. La subvention étatique sera d’un million de dollars par emploi! Le groupe français Lafarge – fusionné avec le suisse Holcim de Schmidheiny et donc en position oligopolistique à l’échelle mondiale – fait opposition au permis en faveur de la fabrique de McInnis. La concurrence entre capitaux est dure dans cette période de surproduction dans ce secteur, parmi d’autres. Réd A l’Encontre.]
Ce projet qui aura pour effet de multiplier les émissions tout comme le projet d’usine d’engrais IFFCO à Bécancour [plaine du Saint-Laurent, région Centre-du-Québec, carrefour de communication]. Les beaux discours ne sont que de la poudre aux yeux pour masquer l’absence de mesures contraignantes qui doivent être adoptées pour forcer les entreprises à adopter les mesures nécessaires à la réduction radicale des émissions de GES.
Parlant de la cimenterie de Port-Daniel, le premier ministre Couillard semble empêtré dans ses demi-vérités et ses presque mensonges alors qu’il invoque les conséquences financières de l’immobilisme en matière de réduction des émissions de GES grâce à la bourse du carbone (9), alors qu’il semble que son gouvernement aurait accordé des crédits carbones gratuits à cette entreprise (10) qui va générer 2 millions de tonnes de GES par année. Et du même souffle, il refuse de mettre en «opposition le développement économique et la lutte aux changements climatiques». En pratique, ça veut dire que s’il y a une piastre à faire, l’économie passe avant l’environnement, comme il se plaît à dire.
Où vont ces écologistes?
Car là est bien le problème: sans contrainte, les entreprises iront là où les mène la quête du profit. Et c’est ce que nos écologistes Mayrand et Guilbault qui appuient de telles mesures oublient. Nous vivons dans une société dominée par le capital. Dans un contexte où cette société connaît des crises structurelles (financière, alimentaire, environnementale, etc.) qui rendent la recherche du rendement maximum plus hasardeuse que jamais. Bref, ça joue du coude et l’impératif de la protection de l’environnement ne figure pas parmi les priorités de l’oligarchie. Leur faire des guili-guilis pour les convaincre de l’importance d’investir sans profit à terme pour la protection du climat, c’est faire preuve de naïveté.
Avoir pour objectif de lutter contre les changements climatiques est une tâche fondamentale. Se fier à l’élite, celle-là même qui nous a conduits à la catastrophe actuelle, pour opérer un virage vert tient de l’aveuglement volontaire. L’élite de ce pays est mobilisée autour de l’extractivisme : exportation du pétrole et de richesses naturelles sont à la base de leur stratégie de développement. Penser que, dans ce contexte, l’oligarchie sera tentée par un virage vert relève de la naïveté extrême. (Publié le 30 septembre 2014, sur le site québécois Presse-toi-à-gauche; édité par A l’Encontre)
Notes
4- Le marché du carbone, politique de gribouille, Daniel Tanuro http://www.legrandsoir.info/Comment-les-mecanismes-du-marche.html
5- Ibid
6- http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2014/09/30/001-bourse-carbone-quebec-janvier-2005.shtml
10- http://www.fil-information.gouv.qc.ca/Pages/Article.aspx?aiguillage=ajd&type=1&idArticle=2209231914
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