Ecologie. Il y a 40 ans, le rapport Charney annonçait le réchauffement anthropique

Par Stéphane Foucart

Un peu de satisfaction, pas mal d’amertume. Avec des sentiments mêlés, plusieurs scientifiques ont célébré, au congrès d’automne (2009) de l’American Geophysical Union (AGU), qui s’est tenu en décembre à San Francisco, le trentième anniversaire du rapport Charney. Du nom d’un texte commandé, en 1979, par la Maison Blanche à l’Académie nationale des sciences américaine, afin de dresser une synthèse des connaissances sur l’impact possible des activités humaines sur le climat.

Satisfaction: «Rien, dans toutes les nouvelles connaissances acquises depuis trente ans, n’est venu contredire les conclusions du rapport Charney«, explique Raymond Pierrehumbert, titulaire de la chaire de géo-sciences de l’université de Chicago, qui présidait la session célébrant les trente ans de cet ancêtre des rapports du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). Amertume, aussi: «Ce qui (était) discuté à Copenhague aurait pu commencer à être discuté il y a trente ans», ajoute-t-il.

Rapport tombé dans l’oubli

De fait, ce qu’écrivent les neuf auteurs du rapport, emmenés par Jule Charney (1917-1981), alors professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), pourrait avoir été écrit hier. «Depuis plus d’un siècle, nous savons que des changements de la composition de l’atmosphère peuvent changer sa faculté à absorber l’énergie du Soleil, peut-on lire en préambule. Nous avons la preuve irréfutable que l’atmosphère change et que nous contribuons à ce changement. Les concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone augmentent continûment, ce qui est lié à la combustion des ressources fossiles et à l’utilisation des sols. Puisque le dioxyde de carbone joue un rôle significatif dans l’équilibre thermique de l’atmosphère, il est raisonnable de penser que son augmentation continue affectera le climat.»

Jule Gregory Charney en 1978

La lecture du rapport Charney nous rappelle, a expliqué en substance l’océanographe Carl Wunsch, professeur au MIT, qui en fut l’un des auteurs, que le diagnostic du réchauffement anthropique ne repose pas sur des modèles numériques complexes. Il tient à une physique simple, déjà maîtrisée il y a trente, voire quarante ans. L’estimation de la sensibilité du climat à un doublement du CO2 atmosphérique était grosso modo la même en 1979 qu’aujourd’hui: entre 1,5 °C et 4,5 °C d’augmentation de la température moyenne de la basse atmosphère.

Mais «le plus important» est, selon Raymond Pierrehumbert, que la science de la fin des années 1970 avait déjà anticipé que les premiers effets du réchauffement mettraient des décennies à être décelables. «Les auteurs écrivaient que, vu l’inertie du système, si on attendait de voir les premiers effets du réchauffement avant d’agir, alors une grande quantité de réchauffement supplémentaire serait inévitable», dit le chercheur.

Une fois remis, le rapport Charney est tombé dans l’oubli. «Les décideurs politiques ont du mal à tenir compte des prévisions, ils ne réagissent qu’à ce qu’ils voient se produire (…), pas à ce qui est prévu», conclut M. Pierrehumbert. Le rapport commandé par Jimmy Carter aura eu son utilité. Parmi ses auteurs, un certain Bert Bolin (1925-2007) allait cofonder, moins d’une décennie plus tard, le GIEC et en être le premier président. (Article publié dans Le Monde en date du 28 décembre 2009)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*