Par Ajit Niranjan
Les émissions mondiales de carbone provenant des combustibles fossiles ont de nouveau atteint des niveaux record en 2023, alors que les spécialistes avertissent que le rythme de réchauffement prévu ne s’est pas atténué au cours des deux dernières années.
Selon un rapport du Global Carbon Project, le monde est en passe d’avoir brûlé plus de charbon, de pétrole et de gaz en 2023 qu’en 2022, rejetant dans l’atmosphère 1,1% de dioxyde de carbone supplémentaire qui contribue à réchauffer la planète. Et ce à un moment où les émissions doivent chuter si l’on veut éviter que les événements climatiques extrêmes ne deviennent plus violents.
Cette conclusion intervient alors que les dirigeants mondiaux se réunissent à Dubaï à l’occasion du difficile sommet (COP28) sur le climat. Dans un rapport distinct publié mardi, Climate Action Tracker (CAT ) a légèrement revu à la hausse ses projections concernant le réchauffement futur par rapport aux estimations qu’il avait faites lors d’une conférence à Glasgow il y a deux ans.
Pour maintenir le réchauffement en dessous de 1,5 °C, il faudrait parvenir à «zéro émission nette» de CO2» avant 2040
«Deux ans après Glasgow, notre rapport est pratiquement pareil», a déclaré Claire Stockwell, analyste chez Climate Analytics et auteure principale du rapport du CAT. «On pourrait penser que les événements extrêmes qui se produisent dans le monde entier incitent à l’action, mais les gouvernements semblent inconscients et pensent que le fait de faire du sur-place permettra de gérer le flot de répercussions.»
A mesure que le carbone encrasse l’atmosphère, piégeant la lumière du soleil et brûlant la planète, le climat devient de plus en plus hostile à la vie humaine. Le Global Carbon Project a constaté que le taux de croissance des émissions de CO2 avait sensiblement ralenti au cours de la dernière décennie, mais que la quantité émise chaque année avait continué d’augmenter. Le CAT prévoit que les émissions totales de CO2 en 2023 atteindront le niveau record de 40,9 gigatonnes.
Selon cette équipe internationale composée de plus de 120 scientifiques, si le monde continuait à émettre du CO2 à ce rythme, il épuiserait le budget carbone [1] restant pour avoir une chance infime de maintenir, au cours des sept ans à venir, le réchauffement de la planète à 1,5 °C au-dessus des températures de l’ère préindustrielle. Dans 15 ans, les scientifiques ont estimé que le budget pour 1,7 °C serait également épuisé.
Les chercheurs ont constaté d’importantes différences régionales en matière d’émissions. Ils s’attendaient à ce que les émissions de combustibles fossiles augmentent cette année en Inde et en Chine, les deux plus grands pollueurs, et qu’elles diminuent aux Etats-Unis et dans l’Union européenne, les deux plus grands pollueurs en termes historiques. De plus, la moyenne des émissions du reste du monde aurait dû également légèrement diminuer.
Les émissions provenant de l’utilisation de combustibles fossiles devraient croître en 2023 et atteindre le chiffre record de 36,8 milliards de tonnes de CO2 (GtCO2)
Les chercheurs ont constaté que les émissions dues à la déforestation et à d’autres changements d’affectation des sols étaient également censées avoir légèrement diminué, mais pas suffisamment pour que les volumes actuels de plantation d’arbres puissent compenser cette baisse.
Pour la première fois, les scientifiques ont également mis en évidence la croissance des émissions provenant des transports aériens et maritimes internationaux. Ensemble, ces deux types d’émissions devraient avoir augmenté de 11,9%, sous l’effet de la montée en flèche des émissions dues à la navigation aérienne.
Pierre Friedlingstein, climatologue au Global Systems Institute de l’université d’Exeter et auteur principal de l’étude, a déclaré: «Les effets du changement climatique sont évidents tout autour de nous, mais les mesures prises pour réduire les émissions de carbone provenant des combustibles fossiles restent terriblement lentes. Il semble désormais inévitable que nous dépassions l’objectif de 1,5 °C de l’accord de Paris. Les dirigeants réunis à la COP28 devraient convenir de réductions rapides des émissions de combustibles fossiles même pour conserver l’objectif de 2°C.»
Samedi 2 décembre, plus de 117 gouvernements présents au sommet de Dubaï ont décidé de tripler la capacité mondiale en matière d’énergies renouvelables et de doubler le taux d’amélioration de l’efficacité énergétique d’ici à 2030.
Certains dirigeants ont également approuvé des efforts visant à éliminer progressivement les combustibles fossiles, bien que seule une poignée d’entre eux ait exprimé un soutien au traité de non-prolifération [des énergies fossiles].
Selon Glen Peters, directeur de recherche à l’institut de recherche sur le climat Cicero [Norvège], qui a coécrit le rapport, les gouvernements sont disposés à promouvoir les énergies propres, mais n’ont pas fait grand-chose pour contrecarrer les combustibles fossiles. «Il ne suffit pas de soutenir les énergies propres. Des politiques sont également nécessaires pour éliminer les combustibles fossiles du système énergétique», a-t-il ajouté.
Le rapport indique également que la technologie permettant d’extraire le dioxyde de carbone de l’atmosphère n’aurait, cette année, pratiquement rien fait pour arrêter le réchauffement de la planète. Les chercheurs ont constaté que les niveaux actuels d’élimination basés sur cette technologie – qui n’incluent pas le carbone absorbé par les arbres – sont plus d’un million de fois inférieurs aux émissions actuelles de CO2 d’origine fossile.
Corinne Le Quéré, professeure à l’Ecole des sciences de l’environnement de l’université d’East Anglia, a déclaré: «Tous les pays doivent décarboniser leurs économies plus rapidement qu’ils ne le font actuellement afin d’éviter les pires impacts du changement climatique.» (Article publié par The Guardian, le 5 décembre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Un budget carbone ou quota d’émissions représente la limite supérieure des émissions de CO2 permettant de rester en dessous d’une moyenne mondiale donnée, en l’occurrence 1,5°C comme défini lors de l’Accord de Paris – COP21 en 2015. (Réd.)
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