Par Ruwaida Kamal Amer
Ces derniers jours ont été les plus éprouvants que nous ayons connus depuis le début de la guerre, ici dans la ville de Khan Younès, au sud de Gaza. Jusqu’au vendredi 1er décembre, ce secteur était désigné comme «zone de sécurité» – une qualification ridicule si l’on considère que l’armée israélienne a bombardé la ville sans relâche. Mais cette appellation a néanmoins entraîné un afflux de centaines de milliers de Palestiniens déplacés des parties nord de la bande de Gaza, que les troupes israéliennes occupent directement depuis plus d’un mois. Aujourd’hui, l’invasion du sud de la bande de Gaza par l’armée est en cours, et les habitants n’ont nulle part où aller.
Tôt samedi 2 décembre, les chars israéliens sont entrés dans la ville de Deir al-Balah, au centre de Gaza, coupant la route de Salah al-Din, la principale autoroute qui relie le nord de la bande de Gaza au sud. Des bombardements intensifs sur certaines parties de Khan Younès ont suivi peu après, avec notamment la destruction de six tours résidentielles dans la ville de Hamad [immeubles construits avec l’aide de l’émirat du Qatar – un message, réd.]. A l’heure où j’écris ces lignes, les chars israéliens roulent dans les faubourgs de la ville.
Dès la reprise des hostilités, vendredi, après une accalmie de sept jours, les avions militaires israéliens ont largué des tracts avertissant les habitants des régions orientales de Khan Younès de se déplacer vers le centre [1]. Parmi eux, des milliers de personnes terrifiées cherchant refuge dans les hôpitaux, les universités et les écoles gérés par le gouvernement et l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA), après que la population de la ville a triplé par rapport à la situation d’avant-guerre.
Peu après, l’armée israélienne a commencé à diffuser une carte interactive divisant l’ensemble de la bande de Gaza en 2400 zones numérotées et demandant aux habitants – dont la plupart ont du mal à maintenir une connexion internet [pour repérer la zone, désignée par QRcode] – de situer «leur» zone [et celle où ils sont censés devoir se rendre]. Puis sont venus les ordres d’évacuation, appelant les habitants de diverses zones du gouvernorat de Khan Younès et des villes voisines d’Al-Qarara, Khirbet Al-Adas, Khuza’a et Abasan à quitter les lieux.
Certains reçoivent l’ordre de se rendre à l’ouest, dans la zone côtière d’Al-Mawasi [il s’agit d’un rectangle de 1,4 km de large et 14 km de long, collé contre la mer et proche de la frontière égyptienne]. D’autres sont poussés plus au sud, vers le point de passage de Rafah avec l’Egypte. Ces évacuations semblent s’inscrire dans le cadre d’un projet divulgué par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou visant à «réduire» la population de Gaza en forçant des centaines de milliers de Palestiniens à franchir la frontière avec l’Egypte et à rejoindre l’Europe et l’Afrique par la mer [voir note 2 de l’article publié sur ce site le 4 décembre].
Dans les deux cas, les familles déplacées – qui fuient souvent pour la deuxième ou la troisième fois depuis le début de la guerre – restent bloquées dans les rues faute d’abris, totalement exposées aux bombardements israéliens incessants sur toutes les parties de la bande de Gaza assiégée [2].
Salim Mallouh, 55 ans, vit à Al-Qarara depuis plus d’un mois, après avoir été déplacé de la ville de Gaza avec sa famille. Aujourd’hui, ils sont contraints de se déplacer à nouveau. «Nous sommes venus pour rester avec nos proches et nous pensions que la guerre prendrait fin et que nous pourrions retourner chez nous», explique-t-il. «Mais au lieu de cela, nous avons vécu les jours les plus difficiles en raison des bombardements et des tirs d’artillerie… Nous avons essayé de survivre à ces bombardements, mais l’armée israélienne nous a ordonné de partir. Ma famille, qui compte plus de 30 personnes, est partie à la recherche d’un autre abri, mais nous n’avons trouvé que des écoles. Je vais chercher une maison ou un endroit à Rafah pour que nous soyons en sécurité. Cette guerre n’a eu pitié de personne. Elle vise à nous chasser de nos maisons et à nous tuer dans des zones qu’Israël prétend sûres.»
Avec l’intensification des attaques, des milliers de personnes ont fui leurs maisons et leurs abris à Khan Younès et se sont dirigées vers le sud, à Rafah, à la recherche d’un abri – en vain en grande partie. Beaucoup ont été contraints de survivre dehors, affamés et assoiffés, dans le froid et l’humidité.
«Où dois-je emmener mes enfants?» demande avec désespoir Soha Radi, 32 ans, mère de quatre enfants, originaire d’Al-Ma’ani, dans le nord de Khan Younès. «Il est facile pour les forces d’occupation de nous dire de quitter nos maisons, mais nous avons besoin d’un abri en lieu et place de rester dans la rue. Cette guerre fait mourir les Palestiniens “mille fois”. Je n’ai pas de famille dans la ville de Rafah. Lorsque mon mari est allé chercher un logement, il m’a dit que les écoles étaient pleines de personnes déplacées et que les rues étaient très encombrées. Je ne veux pas quitter ma maison, je veux y mourir.» (Article publié sur le site israélien +972, le 4 décembre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
Ruwaida Kamal Amer est une journaliste indépendante de Khan Younès.
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[1] Selon Samuel Forey dans Le Monde du 5 décembre: «L’armée lance des tracts prévenant qu’une “terrible attaque est imminente”. Des dizaines de chars, de troupes et de bulldozers s’en rapprochent pour donner l’assaut.» (Réd.)
[2] Hugh Lovatt, spécialiste de la Palestine à l’European Council on Foreign Relations, écrit: «Israël détruit délibérément et méthodiquement les institutions civiles et les infrastructures qui seront nécessaires pour gouverner et stabiliser Gaza après le conflit» – Le Monde, 5 décembre. (Réd.)
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