Hong Kong. Grève étudiante pour la démocratie. Pékin cherche le soutien des hommes d’affaires

Le poing levé, en tee-shirts blancs (couleur du deuil), des milliers d'étudiants de l'Université de Hong Kong manifestent le 23 septembre
Le poing levé, en tee-shirts blancs (couleur du deuil), des milliers d’étudiants de l’Université de Hong Kong manifestent le 23 septembre

Par A l’Encontre et
Marine de La Moissonnière

Depuis dimanche 21 septembre 2014, les étudiant·e·s de la «région administrative» de Hong Kong sont en grève, à l’appel de la Fédération des étudiants de Hong Kong. La grève touche 26 établissements d’études supérieures. Depuis la rétrocession, en 1997, à la Chine de la colonie britannique de Hong Kong, la revendication d’une élection du «responsable» de cette région par le suffrage universel n’a cessé. La contestation portait sur l’article 23 de la «Constitution» (Basic Law, Loi fondamentale). En 2003, la manifestation avait réuni quelque 500’000 personnes. L’an 2014 marque la plus ample mobilisation depuis 2003 – si l’on excepte le 1,5 million de personnes qui ont défilé, en 1989, sous le régime britannique, à l’occasion de la révolte étudiante de la place Tiananmen. En 2017, un type de suffrage universel sera accordé. Les détenteurs du droit de vote pourront choisir entre deux ou trois candidats sélectionnés par la direction politique de Pékin – formellement par un comité de sélection de 1200 personnes –, comme l’a décidé la direction du Parti communiste de Chine, décision adoptée par le Congrès national populaire le 31 août 2014.

L’intégration économique de la «région administrative» de Hong Kong à l’économie de la Chine continentale – et le rôle de Hong Kong comme une des plaques tournantes (financière, en plus de Singapour) pour la République populaire de Chine (RPC) dans son processus d’expansion impérialiste – continue et s’approfondit. Ce que la direction du PC chinois s’efforce de faire comprendre à certains entrepreneurs et banquiers qui voudraient plus d’autonomie décisionnelle. Cela ressort bien de la revue de presse que nous publions ci-dessous.

La formule «un Etat, deux systèmes» se fêle moins sur le plan économique que sur celui de l’expression démocratique politique. Ce qui peut entrer en connexion avec des revendications sociales et démocratiques en Chine continentale. Dès lors, le mouvement démocratique des étudiant·e·s se heurte aux options de contrôle centralisateur du Parti-Etat ou de l’Etat-Parti (selon l’analyse faite). Ce dernier craint les tendances centrifuges propres au développement inégal capitaliste au sein de ce pays-continent, marqué par une histoire qui est loin d’être homogène. Dans la mobilisation démocratique de Hong Kong surgissent des traits d’affirmation culturelle et identitaire face à la politique du pouvoir central de la RPC. Cela d’autant plus que la volonté de faire valoir une langue (le cantonais) et une «culture» unitaristes de la part de ce pouvoir s’affirme avec fermeté. Dans une telle mobilisation étudiante et démocratique vont émerger des tendances différentes qui peuvent aller d’une «nostalgie» du Hong Kong colonie britannique à des revendications restant sur le terrain politico-institutionnel jusqu’en 2017 – bien qu’avec des mots d’ordre acérés tels que «contre la colonisation et pour la sélection depuis en bas» –, en passant par une interaction avec des revendications sociales et politiques qui existent en Chine, y compris au-delà des luttes ouvrières dans de grandes entreprises. D’ailleurs, des activistes propageant et soutenant les luttes ouvrières ont leur base à Hong Kong. (Rédaction A l’Encontre)

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Le poing levé et un tee-shirt blanc, la couleur du deuil. Des centaines d’étudiants ont séché les cours hier et ont envahi le campus de l’Université chinoise de Hong Kong. Récit et photos sur le site du site South China Morning Post. C’est le début d’une semaine de boycott dans les 26 établissements supérieurs de la ville. Les manifestants étaient 13’000 selon la Fédération des étudiants. La police n’a fourni aucun chiffre.

Aujourd’hui, ils se rendront devant le siège du gouvernement de la Ville, annonce le quotidien. Ils appellent l’ensemble de la population à les rejoindre pour remettre aux autorités de Hong Kong la liste de leurs revendications. Ils demandent notamment que les candidats à l’élection pour le poste de «dirigeant en chef» de Hong Kong – sorte de président de la Région administrative spéciale – ne soient pas nommés par un comité aux ordres de Pékin, comme cela a été décidé cet été, mais par le peuple.

A l’annonce de cette réforme électorale, fin août 2014, des militants pro-démocratie, le mouvement Occupy Central with Peace and Love, avaient promis de réagir, menaçant justement d’occuper Central, le centre d’affaires de Hong Kong. La mobilisation  était prévue pour le 1er octobre. Mais les étudiants ont pris les devants.

Le mouvement a pourtant peu de chances d’obtenir gain de cause, estime le New York Times. Peu importe, répond une étudiante. «Si je ne manifeste pas, je suis sûre que je le regretterai plus tard.»

Echo d’une autre étudiante, cette fois dans les colonnes du South China Morning Post : «Je ne peux pas rester silencieuse. Quand la société est divisée, je refuse d’être du mauvais côté.»

Une division de la société, c’est justement ce à quoi on est en train d’assister à Hong Kong. «La question de l’élection de 2017 a accentué les clivages dans la ville», souligne le Wall Street Journal.

Pendant que les étudiants protestent, 70 hommes d’affaires et investisseurs, les plus puissants d’Hong Kong, ceux qui tiennent les rênes du pouvoir dans la ville, sont à Pékin. Visite à l’invitation du président chinois, depuis mars 2013, Xi Jinping.  Du jamais vu depuis 2003, précise le South China Morning Post.

Pour le China Daily qui suit la ligne imprimée par Pékin, il s’agit de rassurer les milieux économiques, inquiets d’une éventuelle déstabilisation de la ville très mauvaise pour les affaires. Xi Jinping a donc affiché sa détermination. Il reste sur la même orientation par rapport à Hong Kong. La théorie «un pays, deux systèmes» reste de mise. Hormis cette histoire de candidats désignés pour 2017, pas question d’imposer les méthodes chinoises à la Zone administrative spéciale. Hong Kong conservera bien son administration et son système judiciaire.

Mais il faut lire entre les lignes de ce discours rassurant, décrypte Willy Lam, professeur à l’Université chinoise de Hong Kong, dans les colonnes du Wall Street Journal. Il y a en effet un deuxième message plus subtil, explique-t-il. Et c’est: si vous ne soutenez pas Pékin à 100%, alors il pourrait y avoir des conséquences sur vos intérêts et vos affaires à Hong Kong, mais aussi plus largement en Chine.

Le China Daily rappelle ainsi qu’il n’y a pas si longtemps de cela, Hong Kong, frappée par la crise asiatique en 1997, était à genoux. Et à chaque fois que l’île a eu besoin d’aide, le gouvernement central a répondu présent invariablement, souligne le quotidien. En témoignent les 30 mesures mises en places en 2012 pour soutenir le commerce, la finance, l’éducation, la science, la technologie ou bien encore le tourisme, détaille le China Daily.

Ou comment faire pression très adroitement sur les milieux économiques…

Il faut dire que les autorités de Pékin sont dans une situation délicate. Comme l’explique Willy Lam, toujours dans le Wall Street Journal, «elles savent que la population est très mécontente du processus électoral. Elles ont donc besoin de ces gros bonnets qui jouissent d’un grand prestige et ont une influence considérable afin de convaincre l’opinion publique.» La convaincre de ne pas descendre dans les rues.

Le message semble en tout cas être bien passé. Plusieurs membres de la délégation ont pris la parole hier. Certains pour critiquer les étudiants et leur demander d’œuvrer de manière plus constructive au développement de Hong Kong

D’autres pour souligner que le suffrage universel, c’est quand même déjà pas si mal. Un point de vue repris par le China Daily ce 23 septembre qui rappelle que c’est Pékin qui l’a autorisé alors que la déclaration commune sino-britannique ne l’y obligeait pas. C’est un changement majeur par rapport à ce qu’a connu Hong Kong quand elle était une colonie britannique, estime le journal. Les 28 gouverneurs successifs venaient tous de Londres sans que la population soit consultée à aucun moment.

Alors aujourd’hui le suffrage universel, «une voix, un homme», c’est une vraie avancée démocratique, conclut le journal [1]. (France Culture, Revue de presse internationale, 23 septembre 2014)

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[1] La formule One man, one vote, traditionnelles formule anglo-saxonne, a une double signification liée: un suffrage universel qui implique que tout individu – initialement masculin: one man (d’où la formulation présente liée au droit de vote des femmes: One person, one vote) – a le droit de suffrage; une égalité formelle du suffrage dans le sens où la voix d’un ouvrier a la même «valeur» que celle d’un industriel. Ce qui marque une rupture avec le suffrage censitaire, entre autres.  Les nombreux débats sur ce thème ne sont pas abordés ici. (Réd. A l’Encontre)

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