Myanmar. Le statut de la junte à l’ONU

Par Frontier Fridays

Cette semaine du 9 au 16 septembre, les Nations unies ont évité, pour le moment, de prendre une décision concernant le représentant du Myanmar à l’ONU; des membres de la Force de défense populaire et des civils auraient été massacrés dans la région de Magway; l’armée a coupé l’internet dans plusieurs districts alors que des combattants de la résistance ont démoli des tours de téléphonie. Les audiences ont repris pour les responsables du gouvernement renversé. (Réd. Frontier Fridays)

Coup de pied dans la fourmilière de l’ONU

Selon Foreign Policy, les Etats-Unis et la Chine ont conclu un accord permettant à l’ambassadeur du Myanmar auprès des Nations unies, Kyaw Moe Tun, de conserver son siège, pour le moment, sans prendre de décision officielle quant à la reconnaissance du Gouvernement d’unité nationale (NUG) ou de la junte militaire. Kyaw Moe Tun est resté fidèle au gouvernement civil depuis le coup d’Etat et restera en quelque sorte dans les limbes, en tant que représentant du Myanmar, mais pas en tant que représentant du NUG.

Selon l’article, l’épreuve de force sur la question de la reconnaissance est reportée au moins jusqu’en novembre 2021, date à laquelle la Commission de vérification des pouvoirs [qui est composée de 9 membres] de l’ONU doit se réunir. A ce moment-là, la junte aura l’occasion de présenter une demande pour son propre ambassadeur. Toutefois, ce statut marqué par l’incertitude pourrait persister grâce à une diplomatie créative. «Nous sommes intéressés par le maintien du statu quo aussi longtemps que possible», a admis un diplomate d’un pays impliqué dans les négociations.

Juste avant l’annonce de la nouvelle, le NUG a publié une déclaration très ferme, condamnant les violations des droits de l’homme commises par la junte et l’«incapacité» de la communauté internationale à résoudre la crise. La déclaration indique que certains Etats ont autorisé les militaires à «participer officiellement à certaines réunions internationales», ce qui constitue probablement une allusion à l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), tandis que d’autres continuent à nouer des liens économiques et militaires, ce qui pourrait être une référence à la Russie et à la Chine.

«On ne peut évidemment pas compter sur la communauté internationale pour intercéder en faveur du mouvement démocratique et pour garantir la sécurité et le bien-être de la population du Myanmar face à l’attaque frontale et brutale de la junte militaire», indique la déclaration. Elle défend la décision du NUG de déclarer la guerre. La déclaration conclut en appelant la communauté internationale à «reconnaître le NUG comme le gouvernement légitime du peuple».

Violence extrême à Magway

Selon les rapports, entre 15 et 22 personnes ont été tuées dans le district de Gangaw dans la région de Magway (centre du pays) à la fin de la semaine dernière – certains membres des forces de défense populaires locales, d’autres non-combattants. Des photos ont circulé sur les médias sociaux ces derniers jours, montrant des corps étendus sur le sol et empilés. Des habitants ont déclaré à l’Associated Press (AP) que les violences ont éclaté après l’arrivée de plus de 100 soldats de la Tatmadaw (Forces armées) dans six villages du district, le 9 septembre. Selon un habitant, 11 membres de la PDF (People’s Defence Force, aile militaire du NUG), armés d’armes artisanales et d’armes à feu à percussion ont été tués ce jour-là, tandis que quatre autres ont été tués le lendemain. Il a ajouté que parmi les victimes figuraient au moins cinq élèves de 9e et 10e années.

The Irrawaddy a fait état d’un bilan de 22 morts, dont des adolescents et des non-combattants, tandis que 20 maisons ont été brûlées par la Tatmadaw dans le village de Myintha, où se sont déroulées les violences. Le ministère des Droits de l’homme du NUG, quant à lui, a indiqué que 11 des 18 personnes – dont la mort a été confirmée – avaient moins de 18 ans, tandis qu’une autre personne avait plus de 80 ans. Il a également indiqué que 36 maisons avaient été brûlées au total dans deux incendies criminels différents.

Cet incident est une nouvelle démonstration du mépris odieux de l’armée pour la vie humaine. Mais il démontre également le risque que le NUG a pris en déclarant la guerre avant d’avoir réellement renforcé sa capacité à la mener. La déclaration est susceptible d’avoir à la fois contrarié l’armée et galvanisé les combattants de la résistance. Dans les zones où les PDF ne sont pas formées et sont mal équipées, c’est une recette pour plus de massacres.

D’autres incidents d’une extrême violence similaire ont été signalés au cours de la semaine dans la région de Magway. Toujours à Gangaw, 50 maisons auraient été incendiées dimanche et lundi (12 et 13 septembre) dans le village de Hnankha. Des troupes de la Tatmadaw auraient abattu un jeune de 13 ans et un autre de 18 ans lors d’un raid, avant de brûler vif un homme dans sa maison, dans le district de Myaing. A Salin, un membre du comité exécutif de la Ligue nationale pour la démocratie aurait reçu une balle dans la tête lors d’un raid sur son domicile.

Mais les forces de résistance ont affirmé avoir remporté quelques victoires. Un rapport des PDF indiquant avoir tué une quinzaine de soldats le 10 septembre près de Hnankha. La Force de défense du peuple Yaw a déclaré avoir tué six soldats dans une embuscade contre un convoi militaire circulant entre Kalay et Gangaw.

Plongée dans l’obscurité

La junte semble avoir réagi à la montée des tensions au sein du Myanmar en procédant à des coupures ciblées de l’Internet, cela dans plusieurs communes des régions de Sagaing, Mandalay et Magway.

La résistance perturbe également les canaux de communication, en continuant à détruire des tours de télécommunication dans tout le pays, en se concentrant sur la firme Mytel, liée à l’armée. Dans le district de Tedim, dans l’Etat Chin, deux groupes de résistance auraient détruit plusieurs tours Mytel dans le centre-ville, affirmant par la suite ne pas pouvoir accéder à Internet avec les cartes SIM Mytel. Les habitants de la capitale de l’Etat Chin, Hakha, ont déclaré ne pas pouvoir l’utiliser depuis vendredi 10 septembre.

L’opérateur mobile norvégien Telenor a clarifié les raisons de la vente de son activité au Myanmar, déclarant à Reuters qu’il se retirait du pays pour éviter d’éventuelles sanctions de l’Union européenne (UE) et se rendre complice de violations des droits de l’homme. «Depuis que les militaires ont pris le pouvoir, il est clair pour nous que notre présence impliquerait que Telenor Myanmar active des équipements et des technologies d’interception à l’usage des autorités du Myanmar», a déclaré Jorgen Rostrup, directeur de Telenor Asia. Il a ajouté que le fait de s’y conformer violerait l’embargo sur les armes imposé, en 2018, par l’UE au Myanmar. Cela constituerait également une «violation complète de nos valeurs et principes». Telenor a également publié une déclaration, confirmant que l’entreprise n’a pas encore activé les équipements d’interception, et «ne le fera pas volontairement».

Aung San Suu Kyi absente du tribunal

Les audiences concernant Aung San Suu Kyi et d’autres dirigeants du gouvernement civil ont repris cette semaine, après avoir été interrompues pendant deux mois en raison du Covid-19. La conseillère d’Etat renversée a manqué la séance de lundi en raison de sensations vertigineuses.

«Ce n’est pas qu’elle soit en mauvaise santé», a déclaré l’avocat Khin Maung Zaw à Myanmar Now, qui a également confirmé qu’elle était entièrement vaccinée contre le Covid-19. «Elle se sent juste malade et avec de forts vertiges. Elle a aussi le nez qui coule et elle a dit qu’elle se sentait vraiment mal. Elle n’a pas de maladie grave pour autant.» Elle a pris des médicaments contre le mal des transports et était de retour au tribunal mardi 14 septembre.

Au cours de sa brève rencontre avec les avocats, Aung San Suu Kyi a également rejeté les arguments selon lesquels elle aurait eu des réunions ou des négociations de haut niveau avec des responsables du régime, selon The Irrawaddy. Des rumeurs ont circulé en juillet selon lesquelles elle aurait rencontré Min Aung Hlaing, tandis que certains médias ont rapporté en août qu’elle avait rencontré les ministres de l’Information et des Finances de la junte.

Dans une autre mise au point des tribunaux, l’affaire concernant le conseiller économique australien d’Aung San Suu Kyi, Sean Turnell, aurait été transférée de Yangon à Nay Pyi Taw. Sean Turnell est coaccusé dans le cadre des poursuites engagées contre Aung San Suu Kyi au titre de la loi sur les secrets officiels et est détenu à la prison d’Insein, à Yangon, depuis peu après le coup d’Etat. (Lettre d’information de Frontier publiée le 17 septembre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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