Opinion. «La présence de troupes états-uniennes en Israël montre qu’une guerre plus large se rapproche»

Le THAAD lors de son premier déploiement en Israël en 2019, sous Donald Trump. (Photo du Département US de la Défense)

Par Patrick Cockburn

La décision du président Joe Biden d’envoyer en Israël un système de défense antimissile avancé, géré par une centaine de soldats états-uniens, constitue une étape importante vers l’engagement direct des Etats-Unis dans une guerre régionale au Moyen-Orient.

C’est la première fois que les Etats-Unis envoient leurs troupes en Israël depuis le début de la guerre de Gaza, le 7 octobre 2023, bien que la Maison Blanche ait déclaré en octobre qu’il n’y existait «aucun plan ou intention» de le faire.

En outre, ces soldats seront potentiellement engagés dans des hostilités armées contre l’Iran dans le cas d’une attaque israélienne de représailles attendue sur le pays, provoquant une nouvelle contre-attaque par des missiles balistiques iraniens.

Les critiques affirment qu’en donnant au Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou une police d’assurance sous la forme d’un soutien militaire américain, cette initiative encouragera Israël à poursuivre l’escalade de la guerre. Netanyahou peut considérer avec certitude que, quoi qu’il fasse à Gaza, au Liban et contre l’Iran, il ne risque pas grand-chose puisqu’il est effectivement sous la protection militaire des Etats-Unis.

Joe Biden a ordonné dimanche que le système THAAD (Terminal High Altitude Area Defence), avec son personnel opérationnel, soit déployé en Israël. Sa détermination à continuer d’apporter un soutien inconditionnel à Israël, en dépit de sa position de plus en plus agressive, susciterait des inquiétudes au Pentagone [1].

De hauts fonctionnaires affirment que l’armada navale des Etats-Unis ainsi que les avions de combat (y compris les avions ravitailleurs) encouragent Israël à élargir sa campagne au Liban et à risquer une guerre avec l’Iran. Le général Charles Q Brown, président de l’état-major interarmées, a soulevé cette question lors d’une réunion au Pentagone et à la Maison Blanche, ont indiqué des responsables au New York Times du 4 octobre 2024.

[Le chapeau de l’article mentionné d’Helene Cooper et d’Eric Schmitt est le suivant: «Des responsables militaires se demandent si l’envoi de forces supplémentaires au Moyen-Orient contribue à prévenir une guerre beaucoup plus étendue ou s’il enhardit Israël.» Ils concluent: «Le général Brown, le secrétaire à la Défense Lloyd J. Austin III et d’autres responsables ont tenté de trouver un équilibre entre l’endiguement du conflit et l’enhardissement d’Israël, a déclaré un haut responsable de l’armée des Etats-Unis. Un autre responsable a déclaré qu’il était plus facile pour Israël de passer à l’offensive lorsqu’il sait que “Big Brother” n’est pas loin.» Réd.]

L’envoi d’un système de défense antimissile géré directement par des forces états-uniennes est le dernier développement en date d’une guerre dans laquelle le soutien des Etats-Unis à Israël est de plus en plus manifeste, malgré les appels répétés de Joe Biden à Netanyahou pour qu’il fasse «preuve de retenue» et appelle à un cessez-le-feu. Bien qu’Israël ait toujours fait exactement le contraire de ce que Joe Biden demande publiquement, le président a toujours approuvé a posteriori ce qu’Israël a fait.

Cette attitude contradictoire a conduit les commentateurs à clouer au pilori la politique des Etats-Unis, la qualifiant soit d’inefficace, soit d’hypocrite. «Si les Etats-Unis veulent réellement désamorcer la violence et empêcher une guerre régionale, leur politique a été un échec humiliant», m’a dit un analyste. «Mais si la véritable politique des Etats-Unis est de chercher à vaincre le Hamas, le Hezbollah et l’Iran face à Israël, alors elle s’en porte plutôt bien.»

L’envoi du système THAAD par les Etats-Unis est probablement motivé par la crainte que l’attaque de 180 missiles balistiques iraniens le 1er octobre n’ait été plus fructueuse que ce qui avait été admis à l’époque. De nombreux missiles visant des bases aériennes israéliennes semblent être passés au travers, bien que les Forces de défense israéliennes (FDI) aient minimisé les dommages causés.

La réaction de l’Iran à l’implication accrue des Etats-Unis dans la guerre sera déterminante. D’une part, l’Iran a jusqu’à présent cherché à ne pas riposter directement contre les Etats-Unis; le président iranien Masoud Pezeshkian a déclaré à l’Assemblée générale des Nations unies à New York, fin septembre, que l’Iran «ne tombera pas dans le piège de la guerre» en déclenchant une guerre à grande échelle entre les Etats-Unis et l’Iran. D’autre part, les dirigeants iraniens pourraient conclure que ce n’est qu’en frappant les Etats-Unis qu’ils peuvent espérer forcer Washington à freiner Israël. [2]

Le soutien de Joe Biden à Israël a nui à Kamala Harris auprès des Arabes-Américains et des jeunes électeurs. Mais si des soldats américains, comme ceux chargés des batteries antimissiles, devaient être tués ou blessés au cours des trois semaines précédant l’élection présidentielle du 5 novembre, l’entrée en guerre des troupes américaines constituerait alors un enjeu politique majeur. (Article publié par INews, le 14 octobre 2024; traduction par la rédaction A l’Encontre)

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[1] Ynetnews du 14 octobre 2024 (version anglaise du quotidien Yediot Aharonot) écrit : «L’aide du CENTCOM (United States Central Command) pour abattre les deux précédentes attaques de l’Iran [la dernière date du 4 octobre] contre Israël a presque épuisé le stock d’intercepteurs de la Sixième Flotte, ce qui rend nécessaire un soutien supplémentaire à Israël dans le cadre de représailles potentielles contre Téhéran. L’accord conclu entre Israël et les Etats-Unis sur le déploiement du système THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) dans le pays découle autant d’une nécessité américaine que d’un besoin israélien.» Yossi Yehoshua, dans Ynetnews du 15 octobre, écrivait: «Deux semaines après que l’Iran a lancé un barrage d’environ 200 missiles sur des cibles israéliennes, l’horloge tourne vers une réponse stratégique. Comme l’a révélé Ynet, le Premier ministre Benyamin Netanyahu, le ministre de la Défense Yoav Gallant et le chef d’état-major de Tsahal Herzi Halevi se sont réunis en secret dans une base du Corps de renseignement dimanche, disséquant les détails complexes d’une frappe potentielle à l’intérieur des frontières iraniennes.»
Haaretz, du 12 octobre, soulignait que «La décision des Etats-Unis de déployer le système [THAAD] en Israël fait l’objet de “discussions avancées mais pas encore finalisées”, dans le cadre des préparatifs en vue d’une éventuelle frappe israélienne sur l’Iran et d’une riposte iranienne potentielle. Une source de sécurité [israélienne] a déclaré que si cette initiative était menée à bien, ce serait la première fois que le système THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) serait déployé de manière opérationnelle en Israël. […] En 2019, le système avait été déployé en Israël dans le cadre d’un exercice de défense aérienne conjoint entre Tsahal et l’armée états-unienne. Cet exercice a eu lieu après que le président de l’époque, Donald Trump, avait annoncé son intention de retirer la plupart des forces des Etats-Unis de Syrie.» (Réd.)

[2]  Les spéculations ayant trait aux options présentes des diverses fractions du régime théocratico-militaire iraniens renvoient à des débats au sein des cercles dirigeants – entre autres aux prises de position des Gardiens de la révolution exprimées sur leur site et dans leur journal, Javan – qui transpercent dans la presse. De nombreux analystes soulignent qu’une attaque israélienne, suivant sa forme et ses objectifs, attisera les sentiments nationalistes, malgré le large discrédit du régime auprès de la population. (Réd.)

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