Par Alain Bihr
Depuis la COP (Conference of Parties) 21 qui s’est tenue à Paris en novembre 2015, toutes les parties signataires de l’accord alors conclu se sont engagées à promouvoir des politiques visant à contenir « l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels [tout] en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels ». Au cœur de ces politiques gît l’impératif de « décarboner l’économie », notamment la production d’énergie, en réduisant substantiellement et rapidement le recours aux énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) dont la combustion émet des gaz à effet de serre (GES), au premier chef du dioxyde de carbone (CO2), dont l’accumulation dans l’atmosphère est responsable du changement climatique. Cela suppose de leur substituer des énergies « renouvelables »[1].
Ces dernières sont multiples. La principale d’entre elles est l’énergie fournie par le rayonnement solaire qui se présente à nous sous différentes formes. Les unes sont directes : l’énergie thermique et la biomasse végétale, qui concentre l’énergie solaire par l’intermédiaire de la photosynthèse et peut nous fournir du bois, du méthane ou de l’éthanol, qui sont autant de combustibles [2]. Les autres sont indirectes : l’électricité photovoltaïque, éolienne (les courants atmosphériques procèdent, outre de la rotation de la Terre, des différences de températures, de densités et partant de pressions entre zones atmosphériques, générées par le rayonnement solaire) ou hydroélectrique (l’énergie solaire est le moteur de l’évaporation de l’eau et partant des précipitations pluvieuses et neigeuses sur les sommets, générant les cours d’eau qu’exploitent les centrales hydroélectriques). Viennent ensuite la géothermie, superficielle ou profonde, et son équivalent maritime (exploitant la différence de température entre eaux de surface et eaux profondes, ce qui n’est cependant possible qu’en zone tropicale) [3]. Enfin l’énergie cinétique des mouvements des mers et océans (vagues, houles, marées, courants marins, etc.), engendrés par les vents et par des phénomènes astronomiques (la rotation de la Terre, l’attraction du Soleil et de la Lune) : énergie énorme, convertissable en électricité par l’intermédiaire d’hydroliennes ou turbines hydrauliques, mais dont l’exploitation n’est encore que très peu développée.
Substituer les sources d’énergie renouvelables aux sources d’énergie fossiles revient donc, en bonne partie, à remplacer l’exploitation de l’énergie solaire sous forme de stocks constitués, directement ou indirectement, par elle au cours de l’histoire de la Terre (charbon, pétrole et gaz naturel procèdent de la fossilisation de la biomasse antérieure) à son exploitation sous forme de divers effets produits par son flux actuel. De fait, à elle seule, l’énergie solaire serait très largement en mesure de couvrir l’ensemble des besoins énergétiques de l’humanité actuelle et future :
«L’énergie solaire totale absorbée chaque année par l’atmosphère terrestre, les océans et les masses terrestres est d’environ 122 PW·an [PW : pétaW = 1015W], soit 3 850 zettajoules (1021 joules, ou ZJ). En 2002, cela représente plus d’énergie en une heure que la consommation humaine sur une année. Pour comparaison, le vent contient 69 TW·an [TW : téraW = 1012W], soit 2,2 ZJ et la photosynthèse capture environ 95 TW·an, soit 3 ZJ par an dans la biomasse. La quantité d’énergie solaire atteignant la surface de la planète est si importante que, en un an, elle représente environ deux fois l’énergie obtenue à partir des ressources non renouvelables de la Terre — charbon, pétrole, gaz naturel et uranium combinés — exploitées de tout temps par l’homme. L’énergie totale utilisée par l’homme représente en effet, en 2005, 0,5 ZJ, dont 0,06 ZJ sous forme d’électricité »[4].
Certes, cette gigantesque puissance mise à notre disposition par le Soleil n’est sans doute qu’en partie exploitable. « Le World Energy Assessment des Nations unies mentionne un potentiel technique de 7 600 exajoules/an [exajoule ou EJ = 1018 joules], soit dix-huit fois les besoins mondiaux en énergie (…) Des chercheurs de l’Institut de thermodynamique de Stuttgart avancent une estimation de 5,9 » (Tanuro, 2012 : 86).
Remplacer les énergies fossiles par des énergies « renouvelables » ?
Dans ces conditions, substituer totalement les énergies « renouvelables » aux énergies fossiles, en remédiant du coup aux multiples maux écologiques engendrés par le recours à ces dernières semble a priori de l’ordre du possible. Des simulations en ce sens ont été tentées. Par exemple, en supposant que soit nécessaire à l’échelle mondiale à l’horizon 2030 une puissance de l’ordre 17 TW (térawatt = 1012 watts), que l’usage exclusif d’énergie électrique produite par des sources renouvelables (solaire, éolien, géothermique et hydroélectrique) pourrait ramener à 11,5 TW :
« une combinaison de quelque 3,8 millions de grandes éoliennes (5 MW), de 49 000 grandes centrales solaires à concentration (300 MW), de 4 0000 centrales solaires photovoltaïques, de 1,7 milliard d’installations photovoltaïques sur les toits, de 5 350 centrales géothermiques, de 900 centrales hydroélectriques, de 49 0000 hydroliennes, et 720 000 dispositifs utilisant l’énergie des vagues (tous énumérés par ordre décroissant de leur contribution à la demande totale) seraient plus que suffisants pour produire une telle puissance » (McCarthy, 2015 : 2492).
Le tout en ne faisant appel qu’à des technologies existantes et éprouvées. Et, selon les auteurs de la même simulation, la production et l’installation d’un tel système énergétique coûteraient (hors frais de transports) quelque 100 000 milliards de dollars (Md$) sur vingt ans, soit des investissements à hauteur de quelque 5 000 Mds par an (Ibid.). Une simulation plus récente conduit à des estimations du même ordre :
« Dans son dernier rapport sur l’énergie, Bloomberg (New Energy Outlook 2021) estime qu’une économie mondiale en croissance nécessitera un niveau d’investissement dans l’approvisionnement et les infrastructures énergétiques compris entre 92 000 et 173 000 milliards de dollars au cours des trente prochaines années. L’investissement annuel devra plus que doubler, passant d’environ 1 700 milliards de dollars par an aujourd’hui à une moyenne comprise entre 3 100 et 5 800 milliards de dollars par an » (Durand, 2021).
Cependant, la réalisation d’un tel projet se heurterait à des problèmes gigantesques. Les moindres sont d’ordre technique. C’est que toutes les sources d’énergies « renouvelables » ici mises en œuvre exploitent des flux et non des stocks d’énergie. Ce qui implique de disperser les foyers de production le long de ces flux sur toute la surface de la Terre (bien qu’inégalement : certaines localisations sont plus favorables que d’autres) et implique de les mettre en réseau pour leur permettre de s’additionner et se soutenir réciproquement. Cela est par ailleurs rendu indispensable du fait de l’intermittence de la plupart d’entre elles (à l’exception de la géothermie) : la lumière solaire ne nous parvient qu’en partie les jours où le ciel est couvert et surtout pas la nuit sur la moitié de la Terre ; le vent ne souffle pas en permanence ; le débit des cours d’eau varie selon les saisons, etc. ; il faut donc compenser les creux de production des unes par les crêtes de production des autres. Enfin, essentiellement productrices d’électricité, ces énergies se heurtent au fait que l’électricité ne se stocke pas, peu ou mal : elle se consomme de préférence dans le temps même où elle est produite. Elle peut cependant se stocker indirectement en étant convertie en différentes formes d’énergie potentielle : mécanique (des volants d’inertie, des retenues d’eau alimentées par de l’eau pompée en aval et activant des centrales hydroélectriques lorsque celle-ci est relâchée, la compression de gaz dans d’anciennes mines) ou chimique (dans des piles et accumulateurs ou sous forme d’hydrogène pouvant servir dans des piles à combustible). La solution de l’ensemble de ces problèmes techniques passerait par la réalisation des réseaux d’électricité dits intelligents (pilotés informatiquement) ou smart grids et de capacités de stockage massives, les deux à l’échelle de continents entiers.
Plus délicats apparaissent les problèmes que soulèverait le financement d’un tel projet. Celui-ci supposerait, comme on l’a vu, des investissements massifs de capitaux, demandant à être stimulés, soutenus et garantis par les Etats sous forme d’aides et de subventions, d’autant plus que ces investissements impliqueraient de lourdes immobilisations (une importante composante fixe de capital constant). Or, si une partie du capital tire d’ores et déjà profit du développement des énergies « renouvelables » et est certainement prête à s’y investir encore davantage (d’autant plus que le prix des installations productrices d’énergies « renouvelables », notamment solaires et éoliennes, ne cesse de baisser), il n’en va pas de même du capital industriel qui se valorise actuellement par l’exploitation des énergies fossiles, adossé à la partie du capital financier qui lui sert de banquier ou qui spécule sur le cours de ses actifs. Tous ces capitaux ont tout à craindre du développement des « énergies » renouvelables, qui non seulement leur prennent d’ores et déjà des parts de marché mais menacent de dévaloriser l’immense stock de leurs capitaux fixes en fonction avant qu’il n’ait eu le temps de s’amortir, stock matérialisé dans le système énergétique actuel [5], et de dévaloriser de même les réserves de combustibles fossiles sur la valorisation desquelles ils ont trouvé à se financer (sous forme de prêts, d’obligations ou d’actions). Comptant parmi les plus gros capitaux (les capitaux les plus concentrés), constituant le plus souvent des monopoles au niveau national et formant de véritables oligopoles au niveau mondial, les compagnies charbonnières, pétrolières et gazières (idem pour les compagnies nucléaires) disposent d’un pouvoir économique et politique considérable, capable d’entraver l’évolution des législations au niveau des Etats et de saboter les négociations internationales, comme en témoigne leur intense lobbying dans le cadre de la mise en œuvre de la Conférence cadre des Nations Unies sur le changement climatique par les COP successives. Elles peuvent d’ailleurs faire valoir qu’elles continuent à fournir plus des quatre cinquièmes de l’énergie consommée dans le monde (cf. infra), que leurs produits sont faciles à stocker et à transporter et que, contrairement aux énergies « renouvelables », les énergies fossiles ne sont pas tributaires des aléas climatiques et répondent donc aux exigences de continuité et de célérité du procès capitaliste de production – en passant évidemment sous silence, en déniant ou en minimisant les dégâts écologiques qu’elles provoquent comme elles ne cessent de le faire depuis des lustres.
Dans ces conditions, d’une part, ces entreprises transnationales ne participeraient que marginalement au financement du développement des énergies « renouvelables ». D’autre part, elles useraient de tout leur poids politique pour freiner ce développement (notamment pour limiter autant que possible les réductions d’émissions de GES) ; et leur pression serait d’autant plus efficace que l’Etat serait amené à jouer un rôle clef dans le passage d’un système énergétique basé sur les énergies fossiles à celui fondé sur les énergies « renouvelables ». C’est qu’une telle transition ne pourrait être laissée au bon soin du seul marché ; elle supposerait l’intervention des Etats pour orienter et soutenir les investissements de capitaux dans le cadre de véritables politiques industrielles, pour faire évoluer les législations et réglementations des marchés de l’énergie, pour surveiller la régulation des smart grids et les sites de stockage d’énergie, pour prendre en charge pour partie au moins les programmes de recherche scientifique et de recherche-développement rendus nécessaires par les bouleversements techniques occasionnés par cette transition, etc. Enfin, la dévalorisation des capitaux de ces transnationales du charbon, du pétrole et du gaz impliquerait tout aussi bien la destruction de la masse considérable de capital fictif dont les actifs (titres de crédit ou de propriété) reposent sur ces industries, qui feront eux aussi défaut pour financer le développement des énergies « renouvelables ».
Les problèmes les plus sérieux que ne manquerait pas de rencontrer ce dernier seraient cependant d’ordre géopolitique. D’une part, l’indispensable déploiement de réseaux continentaux d’unités de production ou de stockage d’énergie électrique à partir de sources renouvelables supposerait une coopération intense et fiable, à la fois technique, juridique et administrative, entre Etats-nations, en dépit des conflits d’intérêts qui pourraient continuer à les opposer, notamment quant à la localisation de ces unités, source de revenus fiscaux et gage de synergies socio-économiques. D’autre part, le déploiement de tels réseaux et capacités de stockage serait gourmand en emprise sur les surfaces terrestres et maritimes (le nouveau système énergétique couvrirait 2 % de la surface terrestre totale dans le scénario précédent selon McCarthy, 2015 : 2493, soit quelque 10 millions de km²), en risquant de se faire au détriment des autres usages de ces dernières et des populations qui ont le moins de moyens de défendre leurs droits d’usage traditionnels sur ces espaces. Il affecterait en priorité les zones rurales, qui offrent de l’espace disponible à faible prix, en y créant une source certaine de conflits au sein des Etats comme entre eux, notamment dans les rapports entre formations centrales et formations périphériques, qui concentrent les localisations les plus favorables à certaines énergies « renouvelables » (notamment le solaire). Enfin, le fait que cette emprise s’effectuerait notamment sur des parties du globe (telle la haute mer) ou des phénomènes naturels (tels la lumière solaire, le vent, la houle ou la chaleur terrestre), qui étaient jusqu’alors juridiquement des res communes, des choses communes n’appartenant à personne et librement disponibles pour tous et qui vont se trouver privatiser à des fins de valorisation, est également susceptible d’aviver de tels conflits ; pensons en particulier aux espaces maritimes situés hors des zones d’exclusion économique sur lesquels pourraient vouloir s’installer des mégafermes d’éoliennes géantes. Toutes ces occurrences renvoient en définitive à la traditionnelle contradiction entre la socialisation des forces productives qu’induisent le développement de la production capitaliste et le cadre maintenu des rapports capitalistes de production, de propriété et de fragmentation de l’espace mondial en Etats-nations souverains dans lequel ce développement a lieu.
Ajoutons qu’une pareille exploitation à échelle planétaire des énergies « renouvelables » ne saurait méconnaître leur empreinte écologique* qui est rien moins que négligeable. La combustion de la biomasse émet des particules fines. La construction des barrages des retenues d’eau alimentant les centrales hydroélectriques, nécessitant des masses énormes de béton, émet de grandes quantités de CO2 ; ces retenues peuvent elles-mêmes détruire ou bouleverser gravement des écosystèmes sur de vastes étendues et générer des émissions de GES (notamment de méthane par décomposition de matières végétales). Les alternateurs des éoliennes tout comme les cellules photovoltaïques sont très gourmands en terres rares dont l’extraction est extrêmement polluante ; les pales des éoliennes, constituées de fibres de verre, de fibres de carbone, de résines polyester et de résines d’époxy, ne sont pas recyclables ; leur mouvement génère des sons de basse fréquence et des infrasons capables de nuire à la santé d’êtres humains et d’animaux d’élevage vivant à leur voisinage ; ce même mouvement présente des dangers pour les oiseaux et les chauves-souris ; etc. (Bouglé, 2019 : Chapitre 1 à Chapitre 4).
Signalons enfin que les énergies « renouvelables » sont extrêmement gourmandes en métaux de toutes sortes (fer, cuivre, manganèse, nickel, etc.), bien au-delà des simples terres rares. Sous ce rapport, outre qu’il ferait appel à l’une des industries parmi les polluantes qui soient, l’extraction minière, leur déploiement à vaste échelle se heurterait à une barrière physique autant qu’économique : l’incapacité à extraire du sous-sol les minerais nécessaires et le coût exorbitant et croissant de cette extraction. Ce qu’a reconnu à demi-mot le directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie : « les données montrent un décalage entre les ambitions climatiques de la communauté internationale et la disponibilité des métaux critiques qui sont essentiels à la réalisation de ces ambitions » (cité par Pitron, 2023 : 251).
L’introuvable « transition énergétique »
De tous ces problèmes, les partisans les plus lucides des « énergies » renouvelables sont pour partie conscients. Aussi n’ambitionnent-ils nullement, au rebours du scénario précédent, de porter leur développement au niveau de puissance auquel sont parvenues les énergies fossiles. Dans la « transition énergétique » qu’ils appellent de leurs vœux, le développement des énergies « renouvelables » ne vient qu’en troisième lieu : doit primer selon eux la sobriété énergétique, doublée de l’amélioration de l’efficacité (du rendement) des équipements producteurs d’énergie, soit la réduction de la production et consommation d’énergie et non pas la production et consommation d’énergie additionnelle. Autrement dit, ils préconisent de se soucier tout d’abord de produire des négawatts avant de produire des mégawatts, selon l’heureuse formule de l’association négaWatt (Association négaWatt, 2015) [6] ! Mais, ce dont ils ne se rendent pas nécessairement compte, une pareille démarche est précisément incompatible avec le maintien de l’échelle actuelle de développement du procès de reproduction du capital et, plus encore, avec l’objectif de poursuivre une « croissance » économique continue : de perpétuer indéfiniment l’accumulation du capital, impliquant une augmentation non moins continue de la production et de la consommation d’énergie, qui fait de la sobriété énergique une pure utopie dans le cadre du capitalisme.
Et, sous ce rapport, la notion de « transition énergétique » est des plus fallacieuses. Succédant à celle de « crise énergétique » apparue à la suite des chocs pétroliers des années 1970 (Fressoz, 2022), elle suggère en effet qu’il s’agirait simplement aujourd’hui de substituer des sources d’énergie renouvelables aux sources d’énergie fossiles : de passer de celles-ci à celles-là comme la première « révolution industrielle » nous aurait fait passer du bois au charbon et la seconde du charbon au pétrole. Or :
« La mauvaise nouvelle est que si l’histoire nous apprend bien une chose, c’est qu’il n’y a en fait jamais eu de transition énergétique. On ne passe pas du bois au charbon, puis du charbon au pétrole, puis du pétrole au nucléaire. L’histoire de l’énergie n’est pas celle de transitions, mais celle d’additions successives de nouvelles sources d’énergie primaire. L’erreur de perspective tient à la confusion entre relatif et absolu, entre local et global : si, au XXe siècle, l’usage du charbon décroît relativement au pétrole, il reste que sa consommation croît continûment, et que globalement, on n’en a jamais autant brûlé qu’en 2013 » (Fressoz, 2014 : 1-2).
Car, dans le cadre maintenu des rapports capitalistes de production, il n’y a pas plus moyen de passer aujourd’hui des énergies fossiles aux énergies « renouvelables » qu’on n’est passé avant-hier du charbon au pétrole et hier du pétrole à l’énergie nucléaire. Les secondes viennent aujourd’hui s’additionner aux premières, comme avant-hier le charbon au bois et hier le pétrole au charbon, pour répondre à chaque fois à la soif inextinguible d’énergie d’un capital voué à élargir sans cesse l’échelle de sa reproduction (Marx, 1991 : 663-664). Ce qui explique d’ailleurs qu’en dépit d’un développement vigoureux de l’éolien et du solaire au cours de ces trois dernières décennies, la part des énergies fossiles a à peine diminué en demeurant écrasante dans le mix énergétique mondial, ainsi qu’il apparaît dans le tableau ci-dessous.
Rappelons pour conclure que l’industrie pétrolière ne fournit pas seulement ce qui reste aujourd’hui le principal combustible mais aussi la matière première de toute la pétrochimie. Sous ce rapport, elle est non moins indispensable au développement capitaliste, puisqu’elle rend possible aussi bien la production des engrais dont se gave l’agro-industrie que les plastiques qui constituent un des matériaux phares de l’industrie et du commerce capitalistes. Et, de ce point de vue, les énergies « renouvelables » ne présentent aucune alternative aux hydrocarbures. (14 octobre 2024)
Bibliographie
Association Négawatt (2015), Manifeste Négawatt : en route pour la transition énergétique, Arles, Acte Sud.
Bouglé Fabien (2019), Éoliennes : la face noire de la transition écologique, Monaco, Éditions du Rocher.
Durand Cédric (2021), « Le dilemme énergétique. (Et la voie d’une transition écologique démocratique) », https://alencontre.org/, 8 novembre 2021.
Fressoz Jean-Baptiste (2014), « Pour une histoire désorientée de l’énergie », 25es Journées Scientifiques de l’Environnement – L’économie verte en question, Créteil.
Fressoz Jean-Baptiste (2022), « La “ transition énergétique ”, de l’utopie atomique au déni climatique, USA, 1945-1980 », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, n°69-2.
Marx Karl (1991 [1883]), Le Capital. Livre I, Paris, Presses universitaires de France.
McCarthy James (2015), « A socioecological fix to capitalist crisis and climate change? The possibilities and limits of renewable energy », Environment and Planning, volume 47.
Pitron Guillaume (2023), La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, 2eédition actualisée et augmentée, Paris, Les liens qui libèrent.
Tanuro Daniel (2012), L’impossible capitalisme vert, Paris, La Découverte.
Tanuro Daniel (2020), Trop tard pour être pessimistes ! Ecosocialisme ou effondrement, Paris, Textuel.
Notes
[1] Les guillemets dont j’assortis ce terme s’expliquent par le fait que, strictement parlant, aucune énergie n’est renouvelable : on ne peut pas consommer deux fois le même kWh d’électricité, qu’il soit généré par des panneaux photovoltaïques ou par une centrale hydroélectrique, pas plus qu’on ne peut brûler deux fois le même kg de bois ou de charbon. Qui plus est, la thermodynamique nous enseigne que, si elle se conserve quantitativement au cours de ses transformations, l’énergie se dégrade qualitativement (elle est de moins en moins utilisable pour un travail donné) en finissant toujours par se dissiper sous forme de chaleur. Sont tout au plus renouvelables les sources d’énergie.
[2] Contrairement à celle du charbon, du pétrole et du gaz naturel, la combustion de la biomasse* végétale n’aggrave pas l’effet de serre naturel puisqu’elle ne fait que renvoyer dans l’atmosphère la quantité de dioxyde de carbone qui a été nécessaire à sa production, à condition toutefois de remplacer les arbres, arbustes, etc., que l’on consomme (consume) par des plantations nouvelles équivalentes en masse.
[3] Remarquons au passage que ces deux premières sources d’énergie renouvelables sont d’origine… nucléaire : l’énergie solaire procède des réactions de fusion nucléaire qui sont au cœur de l’activité du Soleil et l’énergie géothermique des réactions de fission nucléaire (impliquant l’uranium 235 et 238, le thorium 232 et le potassium 40) qui se produisent au sein du noyau terrestre.
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89nergie_solaire consulté le 21 décembre 2023. Le joule (symbole J) est l’unité d’énergie dans le Système international d’unités physiques. C’est l’énergie délivrée par une puissance d’un watt pendant une seconde. Ainsi 1kWh = 3 600 000 J = 3,6 mégajoule (3,6 MJ).
[5] « L’ampleur physique de l’actuel système énergétique basé sur les combustibles fossiles est en effet énorme. Il y a des milliers de grandes mines de charbon et de centrales électriques au charbon, quelques 50 000 champs pétrolifères, un réseau mondial comptant au moins quelque 300 000 km d’oléoducs et 500 000 km de gazoducs et 300 000 km de lignes de transmission » (GIEC, Rapport spécial 1,5°C, résumé pour les décideurs, cité par Tanuro, 2020 : 105).
[6] Cf. aussi https://negawatt.org/IMG/pdf/synthese-scenario-negawatt-2022.pdf
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