Occupy et les droits des femmes

Par Leela Yellesetty

Parmi les différents types de problèmes sociaux soulevés par le mouvement Occupy, il existe un débat qui traverse le mouvement lui-même: la question des inégalités hommes-femmes. Nous publions ici l’article d’une militante d’Occupy mis en ligne sur le site socialistworker.org le 13 décembre 2011.
Sur l’impact d’ensemble du mouvement Occupy et sa dynamique, nous ferons le point au travers d’autres contributions dans les mois à venir. (Rédaction A l’Encontre)

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Les femmes constituent la majorité des 99%.

Nous sommes toujours payées, en moyenne, seulement 77 cents pour 1 dollar gagné par un homme (ce chiffre tombe à 68 cents pour les femmes afro-américaines et à 58 cents pour les Latinas). Lorsque l’on intègre à ce chiffre l’impact de la procréation et le fait que les femmes supportent encore le poids du travail domestique non payé, ce chiffre diminue encore. Une étude mesurant l’impact cumulé sur 15 ans de la différence de revenu indique que les femmes, en fait, gagnent 38 cents pour chaque dollar gagné par un homme.

Cela ne devrait pas être une surprise puisque l’on vit dans l’un des seuls pays au monde – avec le Swaziland et la Papouasie-Nouvelle-Guinée – dans lequel les employeurs ne doivent pas aménager des congés maternité payés.

Les femmes subissent d’une façon disproportionnée les conséquences des coupes budgétaires qui lacèrent le filet de sécurité sociale. Au niveau national, près des deux tiers des bénéficiaires du Supplemental Nutrition Assistance Program [1] sont des femmes. Les femmes et les personnes de couleur sont également surreprésentées dans les emplois du secteur public et, de ce fait, sont particulièrement vulnérables devant la vague de licenciements et de diminutions des salaires qu’entraînent les réductions budgétaires. Selon le Département fédéral du travail, sur les 378’000 suppressions d’emplois dans le secteur public des Etats entre juillet 2009 et mars 2010, 72% étaient des femmes.

Dans mon propre Etat, Washington, les femmes constituent 54% des personnes inscrites auprès du programme gouvernemental Medicare Health Care. Le dernier budget proposé par le gouverneur de l’Etat inclut des coupes à hauteur de 2 millions de dollars dans le secteur des soins à la maternité et aux enfants ainsi que de 1,8 million dans le planning familial – en plus d’une suppression complète du Basic Health Program, fournissant une couverture médicale aux habitant·e·s les plus pauvres de l’Etat. Ces coupes affectent à nouveau, répétons-le, de façon disproportionnée les femmes.

Et cela alors que le 1%, ici dans l’Etat de Washington, continue de récolter les avantages offerts par de généreuses niches fiscales ainsi que par la plus injuste structure d’impôts du pays. Dans cet Etat résident quatre des 23 personnes les plus riches du pays : Bill Gates, Jeff Bezos [fondateur et président d’Amazon.com], Steve Ballmer [CEO de Microsoft] et Paul Allen [cofondateur de Microsoft et patron d’un empire financier dans le domaine des hautes technologies]. Il semble qu’il y ait ici aussi un déséquilibre entre les sexes…

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Pour toutes ces raisons et pour d’autres encore, il n’est pas surprenant qu’un nombre important de femmes soient engagées, et animent le mouvement Occupy tant au niveau local que national.

Pourtant, ce mouvement n’est pas à l’abri du sexisme, diffus dans la société dans son ensemble. Un exemple à ce sujet a été la vidéo sexiste intitulée Hot Chicks of Occupy Wall Street [littéralement les «poulettes chaudes d’OWS»] sur laquelle j’ai écrit un article il y a quelques mois (No place for sexisme in Occupy). Il a aussi été rapporté des cas de harcèlements et d’agressions sexuels lors des occupations. D’une façon plus générale, malgré les exemples incroyables de leadership féminin, le leadership le plus entendu et visible à Seattle, et je soupçonne qu’il en soit de même ailleurs, est toujours exerçé de façon disproportionnée par des hommes blancs.

Il n’est donc pas surprenant qu’au cours de l’évolution du mouvement Occupy un débat sur la question de l’égalité de genre ait surgit ainsi que sur la façon dont cette question est en rapport avec les intérêts des 99%.

La question est devenue prioritaire à Seattle autour de celle des reproductive rights [2]. Je fais partie du groupe Seattle Clinic Defense qui s’est constitué au début de l’année 2011 pour défendre les cliniques des attaques menées par les bigots «anti-choix» [contre le droit à l’avortement, qui se dénomment «pro-life», pro-vie] qui tiennent régulièrement des piquets à l’entrée des cliniques.

Nous avons décidé de publier notre récente action – un contre-piquet face à la campagne «40 jours pour la vie» (40 jours de harcèlement en réalité) menée par des militant·e·s contre l’avortement – sur le site d’Occupy Seattle dans sa rubrique «agenda militant». Ce calendrier est ouvert à tous les groupes militants de la région qui peuvent informer sur leurs activités et actions – des groupes socialistes, par exemple, y ont publié l’annonce de nombreux cours de formation et de meetings, ce qui n’a suscité aucune controverse même si tout le monde dans le mouvement ne se considère pas comme socialiste.

Nous avons rapidement réalisé, toutefois, que les mêmes règles ne s’appliquaient pas lorsqu’il était question des droits à l’avortement. La publication des activités menées par le groupe de défense des cliniques sur le calendrier a presque aussitôt provoqué un débat massif sur la page Facebook d’Occupy Seattle. Le principal instigateur de ce débat était un bigot pur et simple qui croit clairement que les fœtus sont une partie plus importante des 99% que les femmes vivantes.

Mais je crois que ce qui m’a le plus consternée ainsi que d’autres militant·e·s anti-sexistes a été le nombre de personne qui nous ont dit que même si elles nous soutenaient personnellement, elles ne pensaient pas vraiment que ces questions devaient être introduites dans le mouvement Occupy parce qu’elles sont considérées comme secondaires et porteuses de divisions, que le mouvement devrait se centrer exclusivement sur l’avidité des entreprises et sur les questions qui unifient les 99%.

J’ai été reconnaissante de remarquer que je n’étais pas la seule personne à trouver cet argument pour le moins problématique. Ainsi que quelqu’un l’a écrit sur Internet: «Les reproductive rights [voir note 2] sont au centre de l’égalité économique des femmes. Ce n’est pas une question vague en rapport avec celle-ci – ils figurent véritablement au cœur de la capacité des femmes à travailler, à planifier, à contrôler leurs vies. Les attaques contre l’accès au contrôle des naissances, aux examens annuels, et, oui, à l’avortement, sont des attaques directes contre les femmes pauvres qui comptent sur les services gratuits que procure le Planned Parenthood [planning familial]. Ce n’est pas une question secondaire pour le mouvement Occupy – à moins de considérer que les femmes sont secondaires pour ce mouvement. Les banques ne sont pas la seule affaire qui nous concerne et ce serait une immense erreur que nous ferions en imaginant qu’elles le sont.»

Je suis convaincue qu’elle met le doigt sur le problème. En dépit des obstacles croissants mis devant le droit à l’avortement, des périodes d’attente et de conseils à la négation du remboursement des coûts par les assurances privées – plus de 80 lois ont été votées à ce sujet au cours de l’année, plus du double de l’année précédente –, les femmes continuent à recourir aux avortements. Une femme sur trois y aura recours pendant sa vie – ce qui n’en fait pas précisément un événement rare.

Selon un rapport récent du Guttmacher Institute, la demande augmente de façon disproprotionnée parmi les femmes pauvres dans le sillage de la crise économique. Ce ne devrait pas être une surprise lorsque l’on sait que le coût moyen pour élever un enfant jusqu’à 18 ans (les coûts liés à l’éducation ne sont pas compris dans ce chiffre) est estimé à 226’920 dollars [près de 218’ooo francs] par le Département fédéral de l’agriculture.

A elle seule cette statistique devrait rendre claire comme de l’eau de roche pourquoi le droit de décider si et quand vouloir des enfants est une précondition fondamentale pour l’égalité des femmes dans la société. Ainsi que le déclare, sans équivoque possible, un rapport récent des Nations unies: «Les lois qui pénalisent et restreignent l’IVG [interruption volontaire de grossesse] sont des exemples types d’obstacles inadmissibles à la réalisation du droit des femmes à la santé et doivent être abrogées. Ces lois constituent une violation de la dignité et de l’autonomie des femmes en restreignant fortement leur liberté de décision en matière de santé sexuelle et génésique. » [3]

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Ce raisonnement ne peut gagner la conviction au sein du mouvement Occupy du jour au lendemain. La teneur de ce débat et le caractère défensif qu’il prend même parmi les militant·e·s «pro-choix» dans le mouvement témoignent à quel point la droite a avancé sur la question de l’avortement au cours des dernières décennies.

En ce sens, il est absolument exact que l’avortement est devenu une question qui divise – et le 1% n’aime rien mieux que de nous maintenir divisés. L’avortement et d’autres questions jetant prétenduemment la «discorde» parmi nous constituent un moyen clé dans leur stratégie nous amenant à nous combattre les uns les autres plutôt que de nous attaquer à eux. Toutefois, la seule voie pour réaliser une véritable unité des 99% se réalisera sur le base de la défense des droits des opprimé·e·s, non en les ignorant.

Nous voulons convaincre les hommes dans le mouvement que le sexisme se maintient au détriment d’eux-mêmes – parce que c’est le cas. Qui bénéficie du fait que la grande majorité des coûts pour nourrir et élever la prochaine génération de travailleurs et travailleurses reposent sur les familles? Réponse: le 1%, qui s’épargne l’obligation de payer la garde des enfants de la classe laborieuse et les congés maternité des travailleuses ou encore qui ne paie pas les impôts destinés à financer les programmes publics fournisant des services dans ces domaines.

Joan Williams illustre bien cela dans son livre Reshaping the Work-Family Debate [Repenser le débat travail-famille]: «Beaucoup d’américain·e·s actifs/ves dans des emplois non qualifiés doivent bricoler en permanence pour la garde des enfants, avec parfois jusqu’à cinq arrangements différents – un pour chaque jour de la semaine. Ou alors ils organisent une répartition des moments de travail où lorsque maman travaille à tel moment, papa travaille à un autre moment, de telle sorte que l’un s’occupe de la garde des enfants pendant que l’autre travaille. Il n’est pas facile de vivre ainsi: tout le monde finit épuisé et de nombreux parents ne se voient pas pendant la journée. Par ailleurs, si l’un des parents est contraint d’effectuer des heures de travail supplémentaires, la famille doit choisir entre le travail de maman ou celui de papa, dans une situation où les deux ont besoin d’un emploi pour survivre.»

Le 1% profite également des inégalités salariales entre les hommes et les femmes. Cette dynamique se remarque bien lorsque l’on observe les tendances salariales au cours des années 1970. Bien que l’écart entre les salaires des hommes et des femmes s’est réduit au cours de cette période, cela est dû avant tout à une chute des salaires des hommes, non à une croissance des salaires des femmes. En d’autres termes, l’arrivée sur le marché du travail d’une force de travail féminine à bas salaire a entraîné, en réalité, également une diminution des salaires des hommes – tout cela, encore une fois, pour le plus grand profit du 1%.

Il y a donc de solides arguments à avancer pour prouver que les inégalités de genre font entièrement partie des inégalités économiques dans leur ensemble. Combattre les unes ne peut être séparé d’un combat contre les autres. En tant que socialiste, c’est une chose que je n’ai eu de cesse de soutenir pendant des années. Ce qui est maintenant intéressant c’est qu’il ne s’agit plus d’un raisonnement abstrait. Nous sommes en fait dans une situation où nous pouvons réaliser ce combat unifié.

Le résultat de ce débat a été qu’une poignée de personnes d’Occupy Seattle a participé à notre action de défense des cliniques, l’une des actions que nous avons voulu organiser pour sensibilier à ces questions Occupy Seattle. Ainsi, j’ai ensuite assisté le lendemain, ainsi que d’autres membres du groupe de défense des cliniques de Seattle, à la réunion fondatrice du Caucus de l’égalité hommes-femmes.

Notre première étape fut l’organisation de réunions pour former les personnes du mouvement sur les raisons pour lesquelles nous devons relier les questions de l’égalité hommes-femmes avec celles de la justice sociale et économique. Nous nous sommes également mobilisés récemment pour occuper le Capitole de l’Etat pour nous opposer aux dernières discussions sur les coupes budgétaires et pour tenter de sauver le Seattle Central Community College Childcare Center, dont la fermeture était prévue pour la semaine prochaine.

A partir de début janvier, nous avons prévu de tenir des réunions autour de la question de la reproductive justice, conduisant à une grande marche pour fêter l’anniversaire de l’arrêt Roe versus Wade [arrêt de 1973 de la Cour suprême américaine considérant que les lois restreignant ou interdisant l’avortement sont en contradiction avec le 14e amendement de la Constitution et doivent donc être abolies], le 22 janvier. Il s’agit de marquer une importante occasion d’unifier le mouvement Occupy avec les centaines de jeunes activistes qui ont participé à la Marche pour le choix [droit à l’avortement] et la Marche des salopes [mouvement de manifestations féministes parti du Canada début 2011 qui a été suivi dans de nombreux pays du monde] le printemps dernier.

Ainsi que le montre notre expérience à Seattle, il est nécessaire de défier le sexisme parmi ceux qui se considèrent comme faisant partie du mouvement Occupy et de débattre avec d’autres militant·e·s sur pourquoi le mouvement devrait intégrer dans son combat celui pour l’égalité de genre. Ces arguments valent la peine en ce qu’ils créent la base pour un mouvement fort – un mouvement qui voit la lutte contre l’oppression comme étant centrale pour la libération des 99%. (Traduction A l’Encontre)

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[1] Programme d’assistance alimentaire destiné aux familles à faibles revenus ou sans revenu, piloté par le Département fédéral de l’agriculture, mais sous la responsabilité de chacun des Etats. En 2010, 64,7 milliards de dollars d’aide alimentaire ont été distribués; en juin 2011 le nombre d’américain reçevant une aide alimentaire s’élevait à plus de 45 millions. Dans les Etats de Washington D.C. et du Mississippi, un cinquième de la population est bénéficiaire de ce programme. (réd)
[2] Par l’expression reproductive rights, on peut entendre les droits liés à l’avortement, au contrôle des naissances, c’est-à-dire la capacité pour les femmes à décider quand elles veulent avoir des enfants, ainsi que tout ce qui est lié à la «santé sexuelle et reproductive» (génésique), c’est-à-dire les examens médicaux gynécologiques en général, et au droit à jouir d’une vie sexuelle épanouie sans mise en danger de la santé et de l’intégrité physique et psychique des individus. (réd)
[3] Rapport intermédiaire établi par Anand Grover, rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme, sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, conformément aux résolutions 15/22 et 6/29 du Conseil des droits de l’homme, pt. 21, page 9 de la traduction française, http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/66/254&Lang=F (réd.)

 

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