Les sanctions contre les oligarques russes. Oligarques russes et américains planquent différemment leurs actifs

Par Robert Reich

Nous sanctionnons les oligarques russes à tour de bras, en espérant que c’est un moyen d’amener Poutine à arrêter son attaque meurtrière contre l’Ukraine.

Mais pour que cette tactique fonctionne, deux conditions doivent être remplies: premièrement, les Etats-Unis et leurs alliés doivent être en mesure de localiser et d’immobiliser les richesses oligarchiques russes. Deuxièmement, les oligarques russes doivent avoir suffisamment de pouvoir pour arrêter Poutine.

Prenons ces conditions une par une.

Pouvons-nous localiser et immobiliser les richesses des oligarques russes?

Anecdotiquement, les sanctions contre les oligarques semblent fonctionner. Dimanche dernier, l’industriel milliardaire Oleg Deripaska (sur la liste des sanctions américaines) et le banquier Mikhail Fridman (sur celle de l’UE) ont tous deux demandé publiquement la fin de la guerre de Poutine.

L’homme d’affaires milliardaire Roman Abramovitch a mis en vente son club de football anglais (Chelsea) et s’est engagé à reverser les recettes à «toutes les victimes de la guerre en Ukraine». Le banquier et entrepreneur Oleg Tinkov a déclaré la semaine dernière à ses 634 000 followers sur Instagram que «des innocents meurent en Ukraine maintenant, chaque jour, c’est impensable et inacceptable».

Mais ces sanctions sont-elles vraiment mordantes? C’est là qu’intervient la comparaison entre les oligarques russes et les oligarques américains.

Alors que les oligarques russes (les 0,01% les plus riches de Russie) ont caché environ 200 milliards de dollars à l’étranger (plus de la moitié de leur patrimoine financier), les oligarques américains – les 765 milliardaires américains – ont caché 1200 milliards de dollars (environ 4% de leur patrimoine), principalement pour éviter de payer des impôts.

Alors que les oligarques américains placent leurs revenus et leur fortune dans des paradis fiscaux tels que les îles Caïmans, les oligarques russes ont caché leurs actifs les plus précieux aux Etats-Unis et dans l’Union européenne. La raison pour laquelle ils agissent ainsi est éloquente: les démocraties occidentales respectent l’Etat de droit.

En vertu de l’Etat de droit, avant qu’un gouvernement puisse saisir des biens, il doit suivre des procédures juridiques longues et élaborées. Par conséquent, les gouvernements américains et européens ont les mains liées lorsqu’il s’agit de prendre le contrôle des actifs des oligarques russes.

La législation américaine fait qu’il est même difficile de découvrir ce que les oligarques russes possèdent aux Etats-Unis, car ils ont dissimulé leurs actifs derrière des trusts complexes et des sociétés écrans.

Les lois américaines régissant les impôts, les sociétés, les transports et les banques sont merveilleusement pratiques pour les oligarques du monde entier. Un jet privé sur six aux Etats-Unis, par exemple, est enregistré par le biais de trusts, de sociétés du Delaware et même d’adresses de boîtes postales, ce qui rend presque impossible la découverte de leurs véritables propriétaires.

Ce n’est pas un argument contre les sanctions contre les oligarques russes. C’est juste que nous devons être lucides quant à la difficulté de le faire.

Les oligarques russes ont-ils assez de pouvoir pour arrêter Poutine?

Les oligarques étatsuniens ont un poids politique énorme. Lors de l’élection présidentielle de 2012 (la plus récente pour laquelle nous disposons de données détaillées sur les contributions individuelles), les 0,01% des Américains les plus riches – les 1% les plus riches des 1% les plus riches – ont représenté 40% de toutes les contributions de campagne.

Qu’ont obtenu les oligarques américains de ces contributions de campagne? Les taux d’imposition les plus bas sur les revenus les plus élevés depuis plus d’une génération – et les plus bas parmi toutes les nations riches. Ils ont également obtenu un IRS [Internal Revenue Service – agence fédérale de collecte de l’impôt sur le revenu] si appauvri en ressources qu’il est à peine capable de faire respecter la loi.

Les oligarques russes qui ont juré fidélité à Poutine ont sans doute moins de pouvoir politique en Russie que les oligarques américains aux Etats-Unis.

Dans la Russie de Poutine, le pouvoir est exercé par un cercle étroit de fonctionnaires et de généraux nommés par Poutine, qu’il a largement puisés dans l’ancien KGB. Selon plusieurs spécialistes russes avec lesquels j’ai discuté ces derniers jours, ce cercle est devenu très restreint ces derniers mois et ne compte plus qu’une demi-douzaine de personnes.

Nous devons utiliser tous les moyens à notre disposition pour que Vladimir Poutine mette fin à la guerre brutale qu’il a déclenchée. Mais il s’avère difficile d’utiliser des sanctions contre des oligarques spécifiques pour que Poutine s’arrête.

Nous devrions peut-être être plus ambitieux. Mon collègue de Berkeley, Gabriel Zucman [qui collabore avec Thomas Piketty], recommande que les Etats-Unis et l’Union européenne gèlent tous les avoirs offshore des ressortissants russes dépassant 10 millions de dollars. Cela concernerait environ 10 000 à 20 000 Russes qui ont le plus profité du pouvoir de Poutine.

Pendant ce temps, les sanctions globales contre l’économie russe ont un effet. Au cours de la semaine dernière, elles ont provoqué l’effondrement du rouble et décimé les marchés russes.

Mais le poids du fardeau est surtout tombé sur les épaules des Russes ordinaires, dont beaucoup ont déjà souffert du régime brutal de Poutine.

Comme nous l’avons vu en Corée du Nord et en Iran, les dictatures ne dépendent pas de l’approbation populaire. En fait, des difficultés généralisées peuvent conduire à encore plus de répression et de violence. Nous devons nous rappeler que Poutine n’est pas synonyme du peuple russe. (Article publié par le Guardian, le 9 mars 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

Robert Reich a été secrétaire au Travail entre 1993 et 1997 sous Bill Clinton. Il est professeur de politique publique à l’Université de Californie à Berkeley et auteur de Saving Capitalism: For the Many, Not the Few et The Common Good. Son dernier ouvrage, The System: Who Rigged It, How We Fix It, est paru en 2020.

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