Les nouveaux sans-domicile américains

Par Elizabeth Schulte

Toutes les grandes villes des Etats-Unis – même celles qui sont très connues pour leur richesse et pour leur opulence – sont en train de devenir des lieux où l’on peut avoir faim et être sans domicile.

Au cours de l’année 2009, on a assisté aux Etats-Unis à une augmentation moyenne vertigineuse de 26% des demandes d’aide d’urgence de nourriture, selon les résultats récents de l’Enquête sur la faim et le phénomène des sans-domicile conduite par la Conférence des Maires des Etats-Unis. Cela représente la plus forte augmentation moyenne de la demande au cours des 18 dernières années.

L’enquête, basée sur les données des 27 plus grandes villes des Etats-Unis, a constaté que les trois-quarts de ces villes connaissaient une forte augmentation du nombre de familles vivant sans domicile. Le nombre de ces familles vivant dans la rue y apparaît en effet stupéfiant, même si plusieurs villes ont prétendu que le nombre de personnes vivant sans domicile était resté le même ou qu’il avait même diminué.

La moitié des villes concernées par l’enquête ont déclaré que la demande d’assistance alimentaire avait augmenté de 30% et plus. Dans le comté de Hennepin, qui comprend la ville de Minneapolis (Etat du Minnesota), il y a eu une augmentation de 49% des demandes d’assistance alimentaire, demandes qui se concentrent dans l’aire urbaine de Minneapolis. Le Programme de Coupons Alimentaires est poussé jusqu’à ses limites, puisque, comme l’a déclaré au Minneapolis Star Tribune Bill Brumfield, le directeur régional des services humains et de la santé publique du comté de Hennepin, «ce genre d’événement – une perte d’emplois par la classe moyenne –  n’était initialement pas prévu».

Quant à Denise Jourdain, récemment licenciée par une organisation à but non-lucratif, elle a raconté comment elle s’était rendue dans un centre de distribution alimentaire du Catholic Charities à Minneapolis pour demander des coupons de nourriture, après avoir remis sa démarche au lendemain durant trois mois. Mais «la crainte de ne pas avoir assez de nourriture» l’a finalement poussée là-bas, comme elle l’a dit à un journaliste en ajoutant: «Que se passera-t-il si je n’ai pas de travail à la fin du mois ? Il faut que je fasse cela

Le rapport de la Conférence des Maires des Etats-Unis a établi que 22 villes sur 23 faisaient état d’une augmentation du nombre de personnes recourant à l’assistance alimentaire pour la première fois. Nashville a connu une augmentation de 74% de ces premières demandes, Seattle une augmentation de 30% et Los Angeles et Detroit des augmentations de 10 à 15%.

Selon le rapport des maires, des gens qui, il y a une année encore, distribuaient eux-mêmes des repas, se trouvent aujourd’hui à les demander:

«Six villes ont déclaré que des familles de la classe moyenne qui avaient l’habitude de distribuer des paniers de nourriture étaient maintenant obligées de demander elles-mêmes de l’assistance. La demande croissante provenant de familles de la classe moyenne a créé de nouveaux défis pour la distribution de ces paniers-repas. San Francisco a ouvert cinq nouveaux centres au cours de l’année dernière afin de pouvoir servir toutes les nouvelles personnes obligées de demander de l’aide en raison de la récession. La ville a même lancé une campagne médiatique agressive pour promouvoir ces distributions de paniers-repas, parce que beaucoup de gens ne savaient même pas qu’il existait des possibilités d’assistance.

La ville de Dallas rapporte que les familles de la classe moyenne ayant besoin d’assistance ne sont pas familiarisées avec la manière d’accéder aux services sociaux, qu’elles attendent trop longtemps avant d’essayer, et qu’elles n’hésitent pas à faire connaître leur point de vue sur les conditions d’accès aux services sociaux.»

De plus, les gens qui ont faim visitent plus souvent qu’auparavant les centres de distribution. La ville de Providence, dans l’Etat de Rhode Island, a rapporté le fait «qu’autrefois les gens s’organisaient pour venir chercher en même temps leur panier-repas et leurs coupons alimentaires, mais que maintenant elles devaient revenir plus tôt parce qu’en raison de l’augmentation du coût de la nourriture, leurs coupons ne permettaient pas de tenir jusqu’à la distribution prochaine.»

Lorsqu’on a demandé aux responsables municipaux quelles étaient. selon eux, les raisons de l’augmentation de la faim parmi leurs citoyens, 92% des villes interrogées ont dit que le chômage était la première cause, devant les loyers élevés (60%) et les bas salaires (48 %). Trente-deux% des villes ont cité les coûts médicaux élevés comme étant une des raisons principales de la faim – ce qui représente une forte augmentation par rapport à 2008 où seulement 8% des villes avaient désigné les factures médicales comme étant un élément responsable de la faim.

Les familles plus que les personnes seules sont en train de devenir le nouveau visage des sans-domicile aux Etats-Unis. San Francisco, Sacramento, Nashville, Dallas, Boston, Kansas City et Charleston, toutes ces villes ont évoqué des augmentations à deux chiffres du nombre de familles n’ayant plus de domicile.

A Norfolk, dans l’Etat de Virginie, où le nombre de personnes vivant sans domicile a augmenté de 15% au cours des douze derniers mois, la population de ces sans-domicile a changé, selon Linda Jones de l’Union Mission Ministries (structure chrétienne qui distribue de la nourriture, des habits, des hébergements) locale. Il y a plus de femmes et de jeunes qui perdent leur domicile, comme celle-ci l’a expliqué au journal Virginian-Pilot.

A la mission, des hommes dorment sur le sol du hall d’entrée et les femmes dorment dans des bureaux ou des chambres d’hôtel – presque 300 personnes chaque nuit. Ce nombre représente une augmentation de 10% par rapport à l’année précédente.

Norfolk avait déjà été durement touchée en 2007, lorsqu’un site d’assemblage de camions de Ford avait été fermé. Maintenant, les temps sont encore plus durs. Selon Linda Jones, les dons de privés en faveur de la mission auraient diminué de 23% en 2009. En 2008, l’organisation fournissait 2500 cartons de nourriture à des familles pendant les vacances [1], alors que l’année suivante, seuls 1’000 cartons étaient disponibles pour répondre à des besoins en si forte augmentation.

La crise de Norfolk représente un cas tout à fait ordinaire. Les exécutifs municipaux ont été obligés d’être «créatifs» pour répondre à la demande d’hébergement où passer la nuit. Sept villes, toujours selon la même enquête des maires américains, ont expliqué comment elles convertissent des immeubles commerciaux en des gîtes temporaires pour essayer de répondre aux besoins.

De nombreuses villes, incluant Detroit, Los Angeles et Nashville ont dit que de nouvelles villes de tentes pour les sans-domicile avaient fait leur apparition et d’autres villes, telles que Sacramento et Des Moines, ont déclaré quant à elles que les cités de tentes déjà existantes étaient en train de s’agrandir. (Traduction A l’Encontre)

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Elizabeth Schulte a écrit cet article pour l’hebdomadaire Socialist Worker (USA)

1. La Fair Labor Standards Act aux États-Unis ne prévoit pas de paiement pour du temps non travaillé. «Un avantage» comme les vacances est une question à régler entre l’employeur et l’employé, ou le représentant des employés. De plus, des différences importantes existent entre les divers Etats. Deux semaines de vacances après 5 ans de travail… est une «norme acceptable» (Réd).

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